I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE

Auteur : Jean Echenoz

Titre : Ravel

Éditeur : Éditions de Minuit

Année : 2006

Désignation générique : Roman

Quatrième de couverture : « Ravel fut grand comme un jockey, donc comme Faulkner. Son corps était si léger qu’en 1914, désireux de s’engager, il tenta de persuader les autorités militaires qu’un pareil poids serait justement idéal pour l’aviation. Cette incorporation lui fut refusée, d’ailleurs on l’exempta de toute obligation mais, comme il insistait, on l’affecta sans rire à la conduite de poids lourds. C’est ainsi qu’on put voir un jour, descendant les Champs-Élysées, un énorme camion militaire contenant une petite forme en capote bleue trop grande agrippée tant bien que mal à un volant trop gros.

Ce roman retrace le dix dernières années de la vie du compositeur français Maurice Ravel (1875-1937).»

II- CONTENU GÉNÉRAL

Résumé de l’œuvre : À l’aube de s’embarquer sur le bateau qui le conduira en Amérique pour sa tournée, nous découvrons un Ravel très ordonné qui ne déroge pas à ses habitudes. C’est ainsi qu’il profite de la traversée, réussissant à (mal) dormir, faisant des représentations musicales, se promenant sur le pont, etc. Arrivé aux États-Unis, il ne comprend pas l’anglais, mais c’est avec grande admiration qu’il est reçu. Il fait plusieurs spectacles qui sont acclamés par le public et reviens à Paris épuisé. Chez lui, il est un peu désœuvré. Il prend un café avec un de ses amis, invite des gens chez lui. Il compose le boléro, pièce qu’il juge dénuée de valeur, mais qui est acclamée par tous comme un chef-d’œuvre. Le compositeur a de plus en plus de mal à dormir. Il n’est souvent pas d’accord avec l’interprétation de ses pièces. Puis, Ravel perd progressivement la capacité de composer, de jouer du piano, de se souvenir des gens, de signer son propre nom, jusqu’à ne plus savoir ouvrir une porte. Ses proches tentent désespérément de le soigner, et tentent le tout pour le tout en le faisant opérer au cerveau. C’est raté et ça le tue.

Thème(s) : Musique classique, voyage en bateau, célébrité, dégénérescence cérébrale, création, insomnie, modes : vestimentaire et musicale.

III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION

Explication (intuitive mais argumentée) du choix : Jean Echenoz est l’auteur de Des éclairs, œuvre qui a déjà été analysée dans la liste du RANX. Ravel fait partie de la même trilogie que cette œuvre. Ce sont des biographies inventées. Courir n’a pas été retenu.

Appréciation globale : Roman très court qui se lit très bien. Il est facile de s’y laisser entraîner, d’être diverti et de rire (sauf lorsque l’opération cérébrale est décrite : il s’agit d’un roman désagréable pour le lecteur ou la lectrice).

IV – TYPE DE RUPTURE

A) Rupture actionnelle : Bien qu’il ne soit pas incapable d’agir, il semble que le compositeur ne contrôle pas vraiment sa vie. Le roman s’ouvre sur son départ pour l’Amérique, là où les gens l’acclament et le demandent à plusieurs évènements. Mais à aucun moment il n’est écrit, par exemple : «Ravel avait décidé de faire tel ou tel concert.» Il semble plutôt subir la fatigue, la mauvaise nourriture et la compagnie de ses admirateurs. Quand il rentre, il est complètement désœuvré. Son emprise sur son sommeil est pratiquement nulle, il ne sourit pas au bon moment sur les photos (il ne sourit pas lorsque tout le monde sourit et sourit lorsque personne ne sourit), puis, il est mauvais au piano et cela empire. Le contrôle extrême qu’il exerce sur son apparence ne serait-il pas sa seule emprise réelle sur la vie? Du moins, c’est une hypothèse. De plus, Ravel entre en processus de dégénérescence et perd progressivement la capacité de faire les choses les plus simples.

« […] [O]n lui a monté un itinéraire aberrant. C’est un parcours aussi déconcertant que celui d’une mouche dans l’air et qui va lui faire effectuer, du glacial au tropical, des allers-retours absurdes, escales incertaines et dérivations incongrues au fil de vingt-cinq villes traversées.» (p.54)

«[S]es chaussures vernies sans lesquelles il n’est rien» (p.81)

« Il vaut quand même mieux que ce soit Marguerite qui s’occupe des billets car il oublie tout : ses rendez-vous, ses chaussures vernies, ses bagages, sa montre, ses clefs, son passeport, son courrier dans sa poche. Ce qui peut poser des problèmes : reçu partout fêté à volonté, convié chez les puissants, Ravel a tendance à oublier les invitations officielles qu’il néglige, et on l’attend en vain. Le roi de Roumanie ne le prend pas trop mal, mais le premier ministre polonais en fait toute une histoire. » (p.99-100)

« Voici que certains gestes familiers, en principe vivement accomplis sans y penser, commencent à se ralentir ou à manquer leur but. » (p.106)

« On part à sa recherche, on le trouve en train de faire la planche et se laissant dériver en attendant les secours. On l’extrait de là, on lui demande comment ça va, il répond simplement qu’il ne sait plus nager. » (p. 107)

B) Rupture interprétative : Le protagoniste, au fur et à mesure que l’histoire avance, comprend de moins en moins de chose. Cela commence lorsqu’il est de passage en Amérique (il ne sait pas communiquer en anglais). Plus loin, il ne comprend pas pourquoi le boléro est aussi populaire à l’instar de sa sonate pour gaucher qui n’est pas appréciée. Puis, sa dégénérescence le fait oublier les personnes qu’il connait et même ses propres compositions. Il est progressivement arraché du monde.

«Ça marche extraordinairement. Cet objet sans espoir connaît un triomphe qui stupéfie tout le monde, à commencer par son auteur.» (p.79-81)

«Hélène a remarqué l’an dernier que Ravel manifeste à présent, de temps en temps, une sorte d’absence devant sa propre musique. » (p.100)

«Quand Wittgenstein, vexé, lui écrit que les interprètes ne doivent pas être des esclaves, Ravel lui répond en cinq mots. Les interprètes sont des esclaves. » (p.101)

«Quand il va au concert et qu’on joue l’une de ses œuvres, il arrive encore qu’il se demande encore si c’est bien de lui ou, ce qui n’est pas mieux, il murmure pour lui seul que tout de même c’était beau. » (p.110)

« Il répond simplement qu’il attend, mais sans préciser quoi. Il vit dans un brouillard qui l’étouffe chaque jour un peu plus […]» (p.111).

V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES

Narrateur extradiégétique. Bien qu’il soit en partie omniscient, il avoue à plusieurs reprises qu’«on» ne connaît pas telle ou telle chose sur Ravel.