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ranx:perdus

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Les personnages que nous qualifions ici de Perdus ne sont pas si nombreux dans notre corpus, mais sont extrêmement intéressants. En effet, le « Perdu » est un personnage soudainement frappé de problèmes mémoriels qui l’amènent à tout remettre en question. Identité, famille, repères : tout est devenu incertain et le personnage doit donc avancer avec prudence. Nous notons au passage que le problème mémoriel n’est pas une condition sine qua non pour l’appartenance à cette catégorie. D’autres situations particulières peuvent aussi causer la remise à zéro des connaissances et la désorientation complète qui caractérisent ce personnage. Par exemple, Max (Au piano, Jean Echenoz [2003]) n’est pas touché par des problèmes de mémoire, mais sa situation particulière – une réincarnation – lui cause le même genre de désagréments. Dans plusieurs cas relevés, il se rappelle vaguement l’existence d’une épouse qu’il cherche à retrouver, se demande s’il l’a en fait tuée et même s’il en a réellement déjà eu une. Par le fait de ces problèmes mémoriels souvent narrés à la première personne, la ligne entre possibles et réalité est souvent floue. L’histoire elle-même est une reconstitution progressive et partielle de l’identité et de l’univers de ce personnage.

Des exemples notables :

Au piano – Jean Echenoz ;

Dans la première partie, Max, pianiste, n’a plus que quelques semaines à vivre avant d’être violemment tué, mais ne le sait pas encore. Il vit avec une femme qu’on apprendra être sa sœur, rêve à Rose, rencontrée il y a trente ans, suit une voisine, la femme au chien, sous la surveillance de son imprésario et d’un assistant qui doit veiller à ce qu’il ne boive pas trop avant les concerts et qui le pousse sur scène pour l’obliger à jouer, ce qui terrorise Max. Dans la deuxième, mort, il attend dans un centre sous la supervision de Béliard, où l’on va décider s’il ira « dans le parc » ou « dans la section urbaine » et fait l’amour avec Doris Day, infirmière dans l’au-delà. Dans la troisième et dernière partie, il « ressuscite » en Amérique du Sud et se retrouve finalement à Paris à travailler comme barman dans un hôtel de passes. Son ancien assistant, ignorant qu’il était mort, le reconnait, le fait engager comme pianiste. Béliard apparait, puisque se faire reconnaitre et reprendre son ancienne occupation sont interdits (on a modifié le visage de Max). Max croit à nouveau reconnaitre Rose, mais Béliard apparait et la ramène dans l’au-delà, geste cruel qui fait réaliser à Max qu’il est probablement en enfer. La réincarnation du personnage lui cause une rupture mémorielle qui le désoriente, étant donné le fait que son ancienne vie lui est inaccessible. Le fait que des fragments de mémoires s’offre à sa conscience est la source du problème de désorientation.

Certainement pas (Aline [Mademoiselle Rose]) – Chloé Delaume ;

Le docteur Lenoir, dans une enquête inspirée du jeu de Clue, tente de démontrer qu'il a été assassiné par six personnes avec six armes différentes. Les personnages sont alors tour à tour présentés. Une amnésie rétrograde est la cause de la rupture mémorielle du personnage d’Aline. Elle est en déconnexion avec sa personnalité, la personne qu’elle a été. Elle a besoin des autres pour savoir qui elle est. L’oubli la rend vulnérable, ayant pour seul repère son corps, qui lui est pratiquement inutile. Elle se rappelle aussi plusieurs éléments relevant de la culture populaire, eux aussi d’une utilité discutable, cette connaissance du fictif ne lui offre aucune piste quant à son propre passé : « Ainsi Aline Maupin ne savait plus rien d'elle, mais du reste du monde n'avait rien oublié. Elle se souvenait des guerres, de l'âge du capitaine, de la règle de trois et de Coco Chanel [et la liste continue]. » (p.41)

Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier - Patrick Modiano

Daragane n'est plus interessé aux autres ou au monde. Jusqu'à ce qu'il se fasse entraîner dans un genre d'enquête qui le mènera dans les dédales de ses souvenirs oubliés. Son amnésie est la cause de sa confusion. Il est étranger à son passé et donc, perdu: «Mais ces souvenirs se dérobaient à lui au fur et à mesure, comme des bulles de savon ou les lambeaux d’un rêve qui se volatilisent au réveil.» (p.15), «Il se demandait si cette femme était la même que celle qu’il avait connue, enfant, à Saint-Leu-la-Forêt. Et lui, qui était-il? Quarante ans plus tard, quand l’agrandissement de la photomaton lui tomberait entre les mains, il ne saurait même plus que c’était lui, cet enfant-là.» (p.100)

Sous-catégorie « Où est ma femme !? »

Les restes de Muriel – Patrick Boulanger ;

Marc a oublié le suicide de sa femme, enceinte de 7 mois. Il vit seul dans son appartement avec pour seule compagnie ses hallucinations. Ce trou mémoriel, et ensuite son retour, lui causent une déconnexion évidente et une rupture comportementale. Il vit alors avec les fantômes de son passé.

La volière – Annie Chrétien ;

Le personnage du traducteur ne se rappelle pas d’ou est passée sa femme. Des êtres merveilleux lui rendent visite et il ne sait plus faire la différence entre fiction et réalité. Son amnésie semble en effet être la source de toute rupture, même si celui-ci accuse sa femme prétendument disparue, mais qui pourrait bien n’être que momentanément absente. Il est chez lui, son travail n’avance pas, et il se demande : « Le traducteur s'était-il vengé? […] Était-il ce genre d'homme? Était-il le plus cruel des deux? […] Il ne se souvenait plus de rien, ne se rappelait pas. Vide, vide, vide. Une coquille vide, une tête emmurée. […] Quel genre de famille avaient-ils formée? Par quel genre d'absence étaient-ils habités? » (p. 58).

S comme Sophie – Pierre de Chevigny.

« Le narrateur a un fils de trois ans et deux maîtresses. Il pense souvent à une ancienne amoureuse, du nom de Sophie, qui l’a quitté ou… qu’il a tuée à coups de couteau, il ne sait trop. Il a entrepris une thérapie avec une psychologue chez qui il se rend régulièrement. Il se dit fou. » (quatrième de couverture) Le personnage narrateur ne se souvient pas de ce qui est arrivé à cette femme qu’il a connu. Est-elle partie, l’a-t-il tuée? En proie à des hallucinations, cette confusion semble découler des ce trou dans sa mémoire. Ce qu’il voit ne peut jamais être une certitude, pour le lecteur comme pour le narrateur. Ces visions pourraient en effet relever de la volonté à combler la mémoire fragmentaire du personnage.

ranx/perdus.1453227534.txt.gz · Dernière modification : 2018/02/15 13:56 (modification externe)

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