**I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE** **Auteur** : Gaétan Soucy **Titre** : Music Hall! **Éditeur** : Boréal **Année** : 2002 **Désignation générique** : Roman **Quatrième de couverture :** «Nous sommes à New York, à la fin des années vingt, en compagnie d'un drôle d'engeance: une équipe de démolition. Il y a d'abord les funérailles d'une petite fille, tuée par l'effondrement d'un escalier. Le cortège du deuil ondule lentement parmi les trous et les terrains vagues; des échauffourées éclatent entre ces deux clans maudits que sont les démolisseurs et, en face d’eux, les «démolis», les expulsés. Il y a Xavier X. Mortanse qui, quand on le lui demande, affirme être un immigré hongrois de fraîche date. C’est ce qu’il croit. Il se souvient de s’être réveillé un jour sur un quai d’Amérique, des carrés de chocolat au fond d’une poche, son prénom tatoué sur le poignet. Innocent absolu, horrifié par la vie, Xavier rentre chaque soir soûlé de poussière et d’humiliations dans sa chambrette au huitième étage, à côté de celle de Mademoiselle Peggy Sue Ohara qui le regarde si doucement. Il y a aussi, sous la terre, un coffret fermé à clef. Dans le coffret, une grenouille sortie d’un dessin animé des années cinquante. Mais comment résumer les ombres et les lumières de ce roman hors du commun? Music Hall! est une véritable féérie à la mesure de New York, peuplée d’énigmes et d’effroi. C’est aussi un des chants les plus purs qu’il ait été donné de lire sur la souffrance mentale, la solitude humaine et la stupeur d’exister.» **II- CONTENU GÉNÉRAL** **Résumé de l’œuvre :** Dans la première partie (Joies et mystères de la démolition), Xavier X. Mortanse est persécuté par ses nouveaux collègues de travail, à l’exception de Léopold, aussi appelé le Philosophe, qui est gentil avec lui. C’est ce dernier qui a fait de lui un apprenti démolisseur, pour le sortir de la misère, mais il ne considère pas que son protégé soit fait pour ce rude et violent métier. Lorsque Xavier se fait pousser par un de ses collègues, il tombe dans un trou et remarque un petit coffret qui s’agite. Il s’empresse de le cacher (les ouvriers n’ont pas le droit de s’emparer des objets qu’ils trouvent). Il s’endort à l’abri des regards, se réveille dans la soirée. Il rencontre le Philosophe et sa femme, qui semblent chercher des objets pour les revendre et un couple s’intéresse étrangement à lui. Il ramène le coffret chez lui (il renferme une grenouille chantante), dans sa minuscule chambre, essoufflé d’avoir échappé à la nuit et à ses personnages menaçants. Chaque soir, Xavier écrit à sa sœur Justine, restée en Hongrie. Il se fait battre par Lazare, son contremaître, et se lie quelque peu d’amitié avec Peggy Sue, sa voisine (une très jolie coiffeuse qui rêve de devenir écrivaine). Peggy l’invite à sortir, un soir prochain. Cela rend Xavier nerveux (il tente de se suicider, échoue, est effrayé d’avoir manqué mourir). Dans la deuxième partie (Le Mandarin rafistolé), Peggy achète des habits à Xavier (ce qu’il ne veut pas, jusqu’à ce qu’elle lui dise qu’il n’aura pas à se montrer nu devant elle), ils mangent au restaurant (Xavier ne se nourrit que de légumes), puis, vont au music hall, où la pièce présentée (Le Mandarin rafistolé) ne manque pas d’émouvoir Xavier à l’extrême. Les démolis sont également présents (dont Lazare), et ces derniers sabotent l’établissement pour avoir l’autorisation de le démolir. C’est la bousculade, Xavier et Peggy manquent se faire tuer, des rats tombent du plafond, mais Xavier n’en est pas très ému : la pièce l’a bouleversé. Lazare rencontre Peggy (elle est seule car Xavier a oublié ses vêtements à la réception) et la brutalise : il en est amoureux (d’un amour étrange, obsessionnel). Xavier arrive sur le moment, Peggy griffe Lazare, ils repartent en taxi, malgré le désir de Xavier d’aider son contremaitre (il n’a pas compris la situation et trouve horrible de le laisser dans un pareil état). De retour chez eux, Xavier s’endort, Peggy commence à le déshabiller pour qu’il soit plus confortable, mais Xavier se réveille, est très fâché contre elle, l’insulte, et lui dit qu’il ne veut plus jamais la voir. Au matin, il découvre son amie brûlée, en train de mourir, tandis que Lazare est pendu au plafond de sa chambre. Xavier passe douze jours à ne pas travailler, car il est bouleversé de ce qui s’est passé. Puis, il veut retourner travailler… Dans la troisième partie (Les clauses inquiétantes), Xavier réalise que son équipe de démolition n’est plus au même endroit. Il entreprend donc de la retrouver dans la ville, ne s’imaginant faire autre chose de sa vie. Ses économies fondent très rapidement. Il rencontre un aveugle qui se fait des tisanes avec les sous qu’il a obtenu en quêtant. Ce dernier s’attache à Xavier, mais tente à un moment de s’emparer de Strapitchacoudou (sa grenouille), certain qu’elle peut rapporter beaucoup d’argent. Finalement, Xavier se fait repérer par Cagliari, un riche propriétaire d’un music hall, où il veut que Xavier et sa grenouille se donnent en spectacle. Cagliari donne mille dollars à Xavier qui s’empresse de les distribuer aux démolis (victimes des démolisseurs). Lors de la représentation, Strapitchacoudou ne fait que croasser. Xavier se rend chez Cagliari, ce dernier lui propose de travailler au Magestic pour le rembourser. Lorsqu’il retourne chez lui, une affiche des démolisseurs est affichée sur sa porte : l’immeuble sera démoli sous peu (des rires machiavéliques sont glissés dans le message). Dans la quatrième partie (Les ovations indifférentes), Xavier travaille au Magestic. Un soir, il rencontre un homme qui le reconnait comme un dénommé Vincent, natif de Montréal. Puis, des gens l’obligent à se battre sur un ring de boxe. Il se fait massacrer et se réveille chez lui, malade (il vomit du sang). Son autre voisine (Rosette) l’emmène chez le médecin. Ce dernier lui annonce qu’il a attrapé le bacille de K. (maladie dont il peut mourir s’il ne se guérit pas). Sa voisine tente de le soigner, mais lorsqu’elle tente de lui faire manger du steak, ce dernier entrevoit un cheval en décomposition et rejette son plat. Il retrouve son ami aveugle et désire remettre sa démission au Majestic. Lorsqu’il y est, il va aux toilettes dans le bureau de Cagliari, en ressort et est accusé d’avoir tué Cagliari. Le meurtrier (Rogatien Long d’Ailes), s’était caché dans la pièce et sort de sa cachette pour avouer son crime. Il prend Xavier en otage et ils partent (Rogatien avait une arme). Rogatien Long d’Ailes s’excuse à Xavier. Il semble que ce soit de sa faute si Xavier est un personnage étrange, qui n’a pas vraiment de passé. Xavier s’arrange avec un démolisseur pour rester dans une chambre qui ne sera pas démolie tout de suite. Justine lui a laissé une lettre : elle viendra lui rendre visite. Lorsque cette dernière apparaît à sa porte, il s’avère que c’est une vieille femme. Elle lui dit la vérité : Xavier n’est pas Xavier, il est son fils Vincent, du moins, avant que Rogatien Long d’Ailes, son ancien petit ami, décide de faire de lui ce qu’il est. Elle veut le tuer, mais à la dernière minute, elle laisse son arme sur la table et retourne chez Léopold le Philosophe, où elle loge. Ce dernier, à la recherche de Xavier depuis qu’il ne vient plus au chantier, lui avoue ne pas savoir lire et que si près de la mort, il n’a rien compris à la vie. Justine se suicide. Xavier lit la lettre de Rogatien. Il découvre que ce dernier, tentant une expérience, a redonné la vie à Vincent, le fils de Justine (qu’il n’a jamais cessé d’aimer), en lui greffant différents organes qui proviennent de différentes personnes (son nom est un acrostiche de leurs noms). Xavier va mourir, car son corps est en dégénérescence : c’est ce que Rogatien avait constaté avant que Xavier ne se sauve de l’entrepôt qui servait de laboratoire. La créature dépérit dans sa chambre plusieurs jours avant de sortir dans la rue achalandée lors du passage de Marie Piquefort. La foule l’attend avec bonheur. Xavier se fait intimider par des enfants, retourne au chantier de démolition, enterre sa grenouille et meurt. **Thème(s)** : La démolition, l’amitié, la pauvreté, l’opacité et l’étrangeté du monde, le mythe de Frankenstein, la mort, la violence, le caractère impitoyable de l’homme, le caractère bon et charitable de l’homme. **III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION** **Explication (intuitive mais argumentée) du choix** : Ayant d’abord lu //l’Acquittement//, du même auteur, je me suis dit que peut-être ce type de personnage était déconnecté, mais l’œuvre ayant été publiée avant 2000, il a fallu que je me serve d’une œuvre plus récente pour analyser le personnage soucyen. Justement, les critiques et résumés de Music Hall semblaient correspondre à notre sujet de recherche. À la lecture, il est si difficile de saisir et de comprendre Xavier X. Mortanse que la fiche sur sa possible déconnection au monde est ici entreprise, mais reste hypothétique. De plus, la fin fait de lui un être différent du genre humain. Nous intéressons-nous à des cas aussi particuliers? Ce que je veux dire, c’est qu’ici, la déconnection au monde est expliquée. Le lecteur ne reste pas dans le néant. Xavier est le même genre de créature que celle du Dr. Frankenstein. **Appréciation globale :** Un roman drôle (à ne pas lire dans une bibliothèque : possibilité de rire fort). Plusieurs passages méritent d’être lus et relus. Parfois, la surcharge d’informations et de personnages peut être déstabilisante, mais on s’y retrouve quand même. Meilleur passage du livre (subjectif) : « Enfin, il arriva ceci dans la rue qu’en croisant un monsieur sans traits remarquables, qui allait sa serviette sous le bras, l’apprenti fut saisi d’une pensée à la fois dérangeante et banale, savoir pourquoi était-il lui-même Xavier plutôt que cet homme-là? Et c’est précisément ce qui miraculeusement se produisit, à l’instant même, Xavier devint cet homme et cet homme devint Xavier, mais comme ni l’un ni l’autre ne conservaient aucun souvenir d’avoir été celui qu’ils n’étaient plus, et n’avaient plus d’autres souvenirs ou caractères que les souvenirs et caractères qui étaient ceux de celui qu’ils étaient devenus, rien ne fut changé au bout du compte dans l’ordre infime de l’univers, et chacun passa sa route sans s’être aperçu de rien.» (p.228) **IV – TYPE DE RUPTURE** A) Xavier est capable d’agir, mais il agit bizarrement : comment agir de façon «normale» si son interprétation est erronée? B) La rupture est interprétative. Xavier ne comprend pas le monde qui l’entoure. Il croit venir de la Hongrie, mais ses souvenirs sont flous, incertains, et rares. À un moment, il lit un article sur la Hongrie et se demande pourquoi ils ne parlent pas du fleuve St-Laurent. Sa mémoire est comme un trou et il oublie souvent des choses évidentes (le nom de famille de Peggy Sue devient Sous, ou encore, la disposition des rues). Il ne comprend pas les codes culturels et ne semble pas disposé à les comprendre (cela est surtout visible lors de sa sortie avec Peggy). Mais bien plus que cela, il ne comprend pas l’humain (donc, ne se comprend pas lui-même?). Ses interprétations sont presque toutes faussées, étranges. Il voit Lazare, le contremaitre qui le maltraite, comme son ami, comme quelqu’un qui est violent parce qu’il mange des saucissons. Lorsqu’il perd son équipe de démolition, il erre dans la ville, semblant la chercher, mais quand il la trouve finalement, il dit qu’il ne reconnait pas ses anciens collègues, que ce n’est pas eux, et continue son chemin. On se rend compte que ce qu’il écrit sur l’enveloppe depuis le début, lorsqu’il écrit à Justine, est ceci : « Ma sœur/ À la campagne/ Hongrie» (p.227). « Xavier tourna en rond une couple d’heures, étranger à ce qui l’entourait, au décor, aux gens qui l’animaient, à leurs motivations incompréhensibles.» (p.206) «Il regarda autour de lui. D’abord étonné de se trouver là, et surpris d’être encore, envers et contre tous, la personne qu’il était. Tout, autour, lui paraissait incongru et bizarre.» (p. 208) Lorsqu’il se bat sur le ring, Xavier ne comprend pas du tout ce qui se passe. Son entraîneur lui dit de surveiller les poings et le visage, mais Xavier comprend qu’il faut surveiller les jambes. «Il était dans le ring et, en même temps, quelque part dans la salle, à regarder tout ça, comme dans un rêve. Tout fonctionnait maintenant au ralenti : les visages et les bourdonnements de la salle, et Doug Fairbrown qui continuait à sautiller autour de lui comme un Kangourou. À petits pas chavirés, l’apprenti retourna dans son coin et se pencha pour sortir d’entre les câbles. ─ Où tu t’en vas? Lui cria l’entraîneur […]. ─ Wonhmmftrui. L’entraîneur lui retira le citron de la bouche. ─ En Hongrie, répéta Xavier somnambuliquement.» (p.298) «Il devait se rendre à l’évidence : sa tête pour une bonne part ne lui appartenait pas. Ça pensait, ça sentait, ça éprouvait et ça se tourmentait, sans qu’il n’y soit pour grand-chose, à vrai-dire. […] Les pensées se mettaient en branle d’elles-mêmes» (p.301). «Cette chose étrangère était en train de mourir, et comme c’était lui qui vivait dedans, qui continuait à y vivre incompréhensiblement, elle était aussi en train de le tuer.» (p.377) D’autres personnages, moins importants, auraient également pu être analysés comme étant déconnectés : Lazare (surtout), Ariane (décédée), Léopold (lorsqu’il parle avec Justine ou lorsqu’il cherche Xavier), Jeff (il perd la mémoire plus vite que Xavier). Jeff, justement, dit à Xavier qu’il « […] aime les nuages qui s’en vont. Les nuages qui nous rendent visite, et puis qui se défont.» (p. 257) Cela le rend sympathique pour le personnage principal. Allégorie des souvenirs? **V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES** La narration extradiégétique permet de suivre plusieurs personnages, et si le lecteur est un peu confus au début, il se rend compte, au fil du texte, que le récit est truffé de coïncidences et que les personnages sont tous liés ensemble. Des expressions bien connues sont déformées, pour illustrer le propos. Par exemple : «accumuler un tel paquet de montants» (p.253), «il prit tout de même son courage à deux jambes» (p.253), «en proie à l’envie d’escampette» (p.325). Cela rend étrange ce qui est bien connu. Forte présence de monologues rapportés indirects (traces formelles de la subjectivité des personnages). Dans les passages descriptifs, «etc.» ou «ainsi de suite» sont des synonymes fréquemment utilisés, comme pour marquer un prolongement qui va de soi, mais qui est tout de même très flou. Cela crée un sentiment d’urgence, de vitesse, mais aussi d’ambiguïté.