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EXERCICE POUR UNE POÉTIQUE DU PERSONNAGE DÉCONNECTÉ : MISE EN COMMUN (ÉQUIPE DE QUÉBEC)
Document 1 (D1) (François Blais), Une vie inutile (UVI) (Simon Paquet), Les Algues (LA) (Nicolas Bouyssi), Ravel (R) (Jean Echenoz)
1. Propriétés du personnage
Caractéristiques physiques :
On observe deux tendances opposées : soit les descriptions physiques des personnages sont presque absentes ou du moins très diluées (comme échappées) à l’intérieur du roman (LA, UVI), soit elles sont d’une extrême précision : poids et taille exacts, couleur des yeux, des cheveux, matériaux, couleur et coupe des vêtements, etc. (D1, R). Toutefois, on peut dire que les descriptions sont en général partielles (aucune idée des traits des visages des personnages, hormis dans le cas de Ravel) et « périphériques », c’est-à-dire qu’elles s’attardent plus aux vêtements ou à l’air général des personnages qu’aux détails de leur personne.
Dans Document 1, la description des personnages est présentée par la narratrice comme une corvée inévitable; pour faciliter le processus, elle a recours à un questionnaire trouvé sur Internet. Sa description est donc sous forme de liste, très technique.
Ravel constitue l’exception au sien de la sélection ; la description du personnage est exhaustive et très précise (approche biographique oblige?).
Points communs (présents dans au moins trois romans sur quatre) :
- les personnages ont entre 30 et 50 ans - les personnages aiment peu leur apparence ou en sont extrêmement préoccupés car ils ont peur de déplaire (la perception des autres est très importante, surtout dans les deux romans français; les personnages des romans québécois, eux, savent déjà qu’ils projettent une image lamentable) - tous sont malades ou hypocondriaques, leur corps est inadapté à leurs activités, faible, ou ils sont pathologiquement lâches - la plupart sont insomniaques et/ou fumeurs
Caractéristiques psychologiques (psychologie fixe ou évolutive) :
Points communs :
- Insomnie, paresse, nervosité, distraction chronique. - Ressentent à un moment ou à un autre de l’ennui, de la déprime, de la tristesse. - Amorphes (de par leur nature (D1) ou par la force des choses (R, UVI) - Manquent cruellement de passions, de courage et d’ambition. - Tous sont taciturnes, routinier, voire casaniers (Normand de UVI dit d’ailleurs qu’il ferai un bon prisonnier). Presque tous ont de petites obsessions; l’imprévu les plonge dans l’angoisse. - Lucides, les personnages reconnaissent l’échec généralisé qui, dans la plupart des cas, caractérise leur vie (sur le mode pathétique ou humoristique). Ils sont conscient qu’ils sont définis par le regard des autres; ceux des romans québécois savent très bien quelle image ils projettent, tandis que ceux des romans français s’efforcent de projeter une bonne image, mais ignorent comment ils sont perçus. - Tous, sauf Ravel, se trouvent lamentablement banals…
Psychologie fixe ou évolutive : En général, difficile de trancher; s’il y a évolution, elle est minime, éphémère, suivie d’une régression. Quand l’évolution est positive (D1, UVI), elle n’a que peu d’effet sur la destinée des personnages qui, malgré leurs efforts, reviennent à la situation et à leur état d’esprit initiaux. En général, les changements positifs dans leur psychologie mènent quand même à une série d’échecs. Dans les romans français, on a plutôt affaire à des dégradations lentes de la psychologie des personnages (la confusion et une apparente névrose dans LA, la démence dans R). L’état psychologique des personnages est tout en montagnes russes.
Caractéristiques relationnelles :
Points communs :
- Apprécient, ou préfèrent, par dépit, la solitude. - Sans être complètement détachés ou asociaux, les personnages sont plutôt froids et distants (Ravel a un détachement distingué, élégant, tandis que Tess de D1 a carrément « l’air bête»). - Aucun n’est marié ou en couple (si l’on exclut la relation fusionnelle ambiguë de Tess et Jude et les poupées de Martin dans LA), mais certains entretiennent des fantasmes étranges (LA, UVI) ou apparaissent comme asexués (Tess dans D1, Ravel). - Relations familiales conflictuelles. - Entretiennent un attachement plus profond aux objets et aux animaux qu’aux autres personnes. - Les contacts avec les inconnus sont en général assez difficiles, soit à cause de leur aversion pour les gens, soit à cause de leur maladresse. De plus, leurs contacts avec autrui manquent d’équilibre : soit les personnages reçoivent beaucoup plus d’attention qu’ils n’en voudraient, soit pas assez (quand ils ne se font pas tout simplement ignorer). Les gens leur témoignent soit trop d’amour et d’intérêt (R, D1), soit pas assez de compassion, voire même de la haine (UVI).
Cadre où il évolue : Tous les personnages sont, à un moment ou à un autre, sortis de leur cadre par un voyage, d’obligation ou d’agrément, ou par un désir de fuite (réelle ou fantasmée). Seul le personnage de Martin (LA) est motivé par une quête inconnue du lecteur. Ces voyages sont comme des parenthèses dans leurs vies.
Les cadres des personnages sont radicalement opposés : alors que Ravel évolue avec l’élite artistique de son temps, Tess, Jude et Normand ont en commun le milieu ouvrier québécois (appartements minuscules, bars miteux, emplois aliénants, réseau social limité, etc.). Le personnages de LA, lui, passe tout le roman en dehors de son cadre de vie normal qui est à peine mentionné (on sait qu’il vient de Metz).
Les domiciles des personnages sont décrits, sauf dans le cas de LA. Les lieux sont en général décrits avec beaucoup de précision (noms propres des villes, des rues, etc.) ainsi que les moyens de transport (marques des voitures, tracé et durée des trajets, etc.).
Trois des récits se déroulent à l’époque contemporaine (bien que ce ne soit pas précisé très explicitement); R prend évidemment place entre 1927 et 1937. Les années sont précisées.
Un discours (manière de s'exprimer, contenu véhiculé, niveaux de langue, etc.) : Registre standard la plupart du temps; très homogène dans les romans français; dans les romans québécois, on observe de soudains passages dans un registre soutenu ou familier (particulièrement dans D1 qui imite le discours oral), surtout dans les dialogues.
Les personnages (D1, UVI, LA) ont un discours très lucide, sarcastique; ils mettent en évidence leurs défauts et leurs échecs. Leurs réflexions et leurs questionnements sont livrés au lecteur (personnages écrivains livrent leur processus de création entre autres).
Une identité (onomastique, désignations) : Les personnages ne sot désignées que par leur prénom, qui est soutiré de peine et de misère (D1) ou échappé par hasard dans un dialogue (UVI, LA, R); il n’y a que Ravel qui est plutôt désigné par son nom. Les patronymes de tous les autres personnages sont inconnus.
Le nom s’avère parfois problématique (Normand appelé ainsi en l’honneur d’Aznavour se fait débaptiser régulièrement; Martin reste longtemps anonyme), et les personnages ne semblent pas vouloir livrer leur identité facilement (Tess, Martin, et, sur un mode différent (failles de l’Histoire), Ravel).
Un rôle dans l’action : Dans trois cas sur quatre, les personnages sont les narrateurs de leur propre histoire; Tess (et Jude) et Normand sont explicitement ceux qui rédigent les romans. Dans le cas de Ravel, il est l’objet de la narration; c’est sa vie qui est au centre du récit. Dans tous les cas, les personnages sont soumis aux évènements (même dans le cas de Ravel, car la fatalité de sa mort plane sur le roman).
Un passé/une hérédité : En général, on a peu de détails; aucun personnage ne garde de souvenir positif de son enfance. Les parents sont mentionnés, mais peu présents en général. Dans le cas (exceptionnel) de Ravel, le passé du personnage est connu, mais oublié par ce dernier.
Le personnage de Normand semble ressembler beaucoup à son père, qu était profondément inutile.
Leur passé laisse peu de traces dans la vie des personnages; seules les dettes d’étude de Normand et de Tess (pour des études inutiles à l’université) constituent de réelles traces de leur passé.
Une situation/classe sociale, un métier :
Les deux romans québécois dépeignent de vrais losers de la classe ouvrière (sauf Jude qui est sur le BS), tandis que les deux romans français dépeignent des personnages qui ont un certain succès (la situation du personnage de LA est inconnue, comme tout le reste d’ailleurs; une de nos hypothèses est qu’il a un emploi et un entourage stable à Metz, mais la nature de cet emploi est inconnue).
2. Textualisation des procédés de caractérisation
Focalisation (point de vue, restriction de champ, intériorité) : Très majoritairement interne. Le degré d’introspection est variable (selon la façon du personnage de percevoir le monde?); presque nul dans LA, très profond dans D1. Toutefois les narrateurs nous livrent uniquement ce qu’ils ont envie de nous livrer…
DansLA, le lecteur en sait moins que le personnage, ainsi que dans D1, mais Tess joue avec cet avantage et reporte sans cesse la divulgation des informations. Dans le cas de Ravel, ce que l’on ne sait pas est souligné par le narrateur qui établit ainsi une distance historique par rapport au personnage. Toutefois, les hypothèses du narrateur (quant à la vie amoureuse de Ravel par exemple) sont fortement orientées.
Narration : Surtout autodiégétique. Généralement, beaucoup de détails triviaux en ralentissent le rythme, qui s’accélère de nouveau lors de la narration des évènements.
Discours (direct, indirect, indirect libre) : Mélange de direct et d’indirect, sauf dans Ravel où tout le discours est indirect.
Niveaux de langue (régionalismes, accents, aspects populaires, jargon, argot) : Généralement standard/littéraire, sauf que les romans québécois se permettent des mélanges de registres parfois flamboyants (D1) ou des tournures plus familières (cohérent avec le contexte d’énonciation).
Identification directe (nom propre, descriptions définies)/indirecte (selon ses actions, émotions) : Directe, généralement assez stable. On remarque toutefois une certaine distance des personnages par rapport à eux-mêmes (omission du « je » dans la phrase, fusion de Tess et de Jude en un seul « on », perosnnage de LA qui parle parfois de lui-même à la 3e personne, etc.)
Introduction (première occurrence) : Assez rapide en général. Dans les romans français, les personnage sont mentionnés après une séquence descriptive assez longue. Dans D1, Tess est consciente des codes et de la nécessité de se présenter, même si c’est une corvée.
Scènes de révélation : Aucune qui concerne directement le personnage principal; celle dans LA nous apprend que Pierre et Élisabeth sont des mannequins.