Fiche de lecture : =====1. Propriétés du personnage===== __Caractéristiques physiques :__ Il doit avoir plus ou moins cinquante ans... (allusion à une chanteuse quinquagénaire qu'il voit à la télé depuis qu'il est enfant, p. 151). Il porte une boucle d'oreille au lobe gauche. « Le reflet de mon visage n'a rien de particulier dans le miroir de la salle d'eau. Je fais mon âge. Je ne suis pas pâle, je n'ai pas l'air triste, avec des rides bizarres qui me lacèrent les joues et le milieu du cou. Mais j'ai des plaques rouges sur les pommettes et de part et d'autre de mes sourcils; et mes gencives paraissent gonflées. » (p. 20) Souffre de séborrhée, d'allergies et, visiblement, d'une autre maladie qui provoque des saignements (maux qui le forcent à prendre régulièrement soin de lui, à appliquer des crèmes, palper ses gencives enflées, etc.). Le personnage est aussi probablement hypocondriaque car il a peur d'éprouver des symptômes qui ne se manifestent pas (ganglions enflés par exemple) et parle beaucoup de la maladie (p. 54-55, etc.): « Depuis quinze jours, je refais des rêves où j'ai le cancer. Une obsession pareille en dit suffisamment sur mon milieu. » (p. 37)(aisé?) . « Depuis hier, ma tête est de temps à autres sujette à des étourdissements. Ma gorge me brûle et le nez me pique dès que j'éternue. J'ai peur d'avoir attrapé la crève, à moins que ce soit une allergie - ou bien l'effet inattendu de mon départ de Metz. » (p. 19) Il a des poches sous les yeux, ne dort pas assez. p. 106 : n'a jamais tenu à se comporter comme une personne robuste. Il ne s'aime pas (pas son physique du moins : « Quand on ne s'aime pas, on ne retient que le désagréable. mais on s'accommode des ruses stupides qu'on réinvente quotidiennement pour différer sa propre destruction. » (p. 139)) __Psychologiques__ Il est sujet à des crises d'angoisse ponctuelles. Il admet entretenir certaines obsessions (sans préciser lesquelles) et affirme les assumer mieux que la femme octogénaire qui a subi plusieurs chirurgies plastiques. Il cherche à éviter toute subjectivité qui faussera son jugement sur les gens et les choses:\\ À la fin du siècle dernier, à Kernevec'h, les vieux n'étaient pas aussi nombreux. "On y scrutait parfois des filles en bikini, maillot une pièce, bronzant seins nus, etc. Je le constate sans éprouver de regrets particuliers. Qu'il y ait maintenant autant de vieux à Kernevec'h n'est pas une mauvaise chose." (15)\\ "J'aime bien glaner le maximum d'informations sur les inconnus sans qu'ils le sachent. C'est un moyen de remettre en cause le fonctionnement merdeux et arbitraire de mon cerveau. Chaque fois que j'y pense, j'en tire la conclusion que c'est impossible: on ne peut pas juger de manière irréversible les hommes, les choses, et encore moins les paysages en moins de dix secondes. Un truc a dû se fausser dans le fond de mon crâne quand j'étais petit. Il faut maintenant que j'examine longuement les choses pour essayer d'être impartial, comme si j'étais anesthésié." (23-24)\\ Sa difficulté à juger les gens et les choses fait en sorte qu'il n'est pas à l'aise avec sa perception et n'a pas confiance en cette dernière : « Il a tendance à me répugner. Je me sens gêné par ce que je pense de lui. Comment tempérer mon opinion? » (p. 32) ; il "refuse de faire confiance aux apparences".\\ Il part du principe que tout ce qu'il perçoit est anodin. Par exemple, lorsque le soldat, à deux reprises à l'intérieur de quelques secondes, déboule dans son champ de vision pour lui faire des clins d'oeil, Martin imagine qu'il s'agit là d'un tic. (122) Il est incapable d'agir sans se poser de questions; chaque geste, chaque interaction, est questionné, décortiqué, interprété : "Je m'interroge, pendant que je la coiffe [Élisabeth], sur l'intérêt de la plupart de mes mouvements. Je serai content le jour où quelque chose se sera produit dans ma vie sans que je me sois posé la moindre question. Mais en même temps, agir sans me poser de questions, même si c'est ce que je vise depuis longtemps, je ne crois pas encore en être capable. Je suis peut-être trop exigeant avec moi-même. Mais je ne vois pas comment faire autrement." (60-61)\\ À un moment, il est même excité d'avoir agi par réflexe: "Pour me distraire, je fais la première chose qui me traverse l'esprit. J'empoigne une fourchette et je la plante dans un coin de table. Mon geste, inoffensif, ne laisse pas de trace. Je me sens tout excité" (118) À certains moments, on dirait même qu'il souffre d'un complexe d'infériorité: "J'en ai assez de me remettre en question, de douter de moi, de me dire que j'ai tort. Assez, lorsque j'écoute les gens de Metz et de la Maxe, de me dire qu'ils ont raison, qu'ils en savent plus que moi, qu'ils sont plus intelligents, meilleurs, plus mûrs, plus avancés - qu'ils réussissent alors que je rate ce que j'entreprends. J'en ai assez d'être secret, d'être timide, de me replier, de croire que je suis mauvais. Assez d'être jaloux de ce pour quoi je n'ai pas d'estime, des gens que je n'apprécierai jamais." (67) Le personnage semble en quête de confiance en lui-même; il semble vouloir exercer une certaine autorité sur ce qu'il pense, dit et fait car, au début du roman du moins, ses actions semblent échapper en partie à son contrôle (rituels, tics, etc.). Parfois, on ne sait trop s'il est paranoïaque ou hypocondriaque...:"je ne sais plus quoi faire pour que mes gestes et mes mouvements ressemblent à des réflexes et non à des symptômes, histoire de passer inaperçu." (158) Tant qu'à pitcher des maladies mentales, en voici une de plus: à voir sa quasi-absence d'émotions, il est peut-être psychopathe en plus ! Après avoir tué le maire: "L'odeur de merde ainsi que la vue du sang coagulé autour de sa bouche manquent pour un temps de me faire vomir. J'éructe un peu mais je continue. Il y a tellement d'odeurs, tellement de choses à voir, il y a tellement de sentiments en moi qui sont ambivalents. Est-ce du plaisir ? Est-ce de l'horreur ?" (217) __Relationnelles__ Martin semble avoir une femme et un garçon, Élisabeth et Pierre, mais on comprend rapidement qu'il s'agit de pantins grandeur nature qu'il traite à peu près comme de vrais êtres humains, jusqu'à ce qu'il les démembre pour les mettre dans ses valises. Néanmoins, Élisabeth et Pierre sont les seuls pour qui Martin éprouve de l'attachement. Il accorde beaucoup d'importance à la façon dont les autres le perçoivent, comme pour compenser sa propre inaptitude à juger les choses et les gens: « Je me demande ce qu'au juste il pense de moi, si par exemple la forme de mon visage, ma coupe de cheveux ou mon allure lui inspirent confiance, et ce qu'il pourrait répondre à la question de l'impression que je leur donne, à lui et à sa femme, maintenant qu'on se croise quotidiennement. » (p. 81;voir aussi p. 28, 101, etc.) En fait, il semble avoir des relations avec les autres simplement parce qu’il veut savoir ce qu’ils pensent de lui. Difficile de parler, surtout à un(e) inconnu(e). La vendeuse, par exemple.\\ Parfois, aussi, même dans ses rapports avec les gens qu'il connaît, il préfère se réfugier derrière une façade d'indifférence. Lorsque la patronne cherche quelqu'un pour la conduire quelque part, par exemple, il continue de manger méticuleusement ce qui se trouve dans son assiette jusqu'à ce que la patronne "cesse d'attendre de [lui] quoi que ce soit" (105).\\ Il n'aime plus parler car le temps qu'il trouve les formulations appropriées, les occasions de les prononcer se perdent. (p. 109)\\ Mais il essaie d'apprendre, d'améliorer ses relations avec les autres: "Au fond, quand on rencontre un inconnu, étant conscient qu'on va produire sur lui une impression, on tente de jouer sur elle, avec plus ou moins d'adresse. Autrement dit, on ne procède pas comme moi. On ne reste pas dans l'ombre, passif, dans le but que l'autre en vienne à ne plus savoir ce qu'il doit penser." (177-178) Pas bon pour interpréter les apparences, les comportements et les pensées des gens qu'il côtoie: \\ "Pour le moment il n'y a que la perspective de comprendre pourquoi je suis revenu à Kernevec'h qui me motive et neutralise mes crises d'angoisse. J'essaie de dire tout ce que je pense des gens que je croise, et je suppose qu'une telle étape est nécessaire pour me sentir enfin autorisé à les juger, et à trouver un peu de sens à ce que je fais. Mais je ne suis pas très doué pour la psychologie. Je suis même parfaitement nul." (107)\\ Il part du principe que tout ce qu'il perçoit est anodin. Par exemple, lorsque le soldat, à deux reprises à l'intérieur de quelques secondes, déboule dans son champ de vision pour lui faire des clins d'oeil, Martin imagine qu'il s'agit là d'un tic. (122)\\ Quand il décrit un autre personnage, il ne fait pratiquement aucune inférence, pratiquement aucune déduction; il se base uniquement sur ce que ses yeux voient. Par exemple, après avoir décrit en détail le soldat, Martin dit: "Je ne sais même pas si je le trouve beau." (149) === Le cadre dans lequel il évolue === Normalement, Martin habite en périphérie de Metz, dans le quartier la Maxe. Il loge dans un deux-pièces d'une résidence nouvelle, avec parking. Le temps du roman, cependant, il fait le touriste à Kernevec'h, un petit village côtier des Côtes-d’Armor, en Bretagne. Durant un peu plus d'une semaine. Le séjour en Bretagne du personnage est comme une parenthèse dans sa vie; on s'imagine qu'il a une vie relativement normale, mais désagréable, ou du moins stressante à Metz; il mentionne un collègue (p. 20), sa famille (p. 40), etc. Le fait qu'il soit préoccupé essentiellement par la maladie peut laisser croire qu'il est d'un milieu assez aisé pour être épargné par des tourments plus triviaux, comme l'argent (voir p. 37). === Son but === "À force d'analyser minutieusement les deux étages de cet hôtel, j'espère que ne resteront que le solide, que l'essentiel, que la clarté. C'est mon idée." (50) C'est une quête de compréhension, de saisie de lui-même qui motive ses vacances en Bretagne: "Je refuse que mon séjour aux //Coquillages// se borne au compte rendu borné de la routine ou des actions des autres. J'ai un espoir. Car si je comprends ce qui préside aux choix de ces broutilles que je stocke sans cesse depuis dix ans sur des carnets et des fichiers informatiques - si je comprends pourquoi je suis revenu ici après autant d'années, je fais le pari qu'avant le terme de mon séjour j'aurai enfin en main la clé de voûte de ma personnalité." (102) === Son rôle dans l'action === Il est le narrateur de son histoire. Toutefois, il ne semble pas en être en pleine possession. Il cherche qui il est et ce qui le pousse à agir. Il est plutôt à la traine des événements. === Son discours === Rien de particulier. === Constante dans son comportement === Il semble privilégier l'inaction au mouvement: Il envie les reptiles qui peuvent "ne rien faire sans se poser de questions" (ne rien faire au sens de "faire rien"). Son comportement est régi par une série de rituels qui lui permettent de contrôler son angoisse (peur de l'opinion des gens, etc.): "D'abord, j'en ai assez d'être désorienté. Ensuite, c'est la culpabilité qui me rend passif et illogique. Et tous les rituels qui me font tenir depuis quelques années vont disparaître dès que je pourrai. Je dois être capable d'être inactif plus de cinq minutes sans m'angoisser." (99) === Identité et désignations === Du fait de la narration autodiégétique, le narrateur/personnage principal se désigne uniquement par le "je". Et comme le roman ne contient pas de dialogues (personne ne s'adresse ou ne réfère directement à lui, donc), il faut attendre la page 135 pour connaître son nom: "Mon interlocuteur s'inquiète de savoir comment je m'appelle. Je lui donne mon nom - je m'appelle Martin -, et en échange, par politesse, je m'enquiers du sien." === Passé/hérédité === Enfant, il est déjà venu en colonie de vacances dans les environs de Kernevec'h. Il ne semble pas en garder de très bons souvenirs, mais on n'en sait pas plus. Martin mentionne aussi sa famille, mais avec peu de détails et un dédain certain (p. 40). Il a déjà séjourné dans un sanatorium. === Situation, classe sociale, métier === Il réfère une fois à "l'endroit où [il] travaille" (141), sans donner davantage de précision. En fait, on ne sais rien du tout de sa vie quotidienne à Metz. Divergence: Myriam écrit qu'on se doute qu'il a un emploi et un entourage stables. Personnellement (Seb), j'ai l'impression qu'il vit en reclus et qu'il ne peut avoir de relations stables avec qui que ce soit. Bon, ce n'est pas extrême comme divergence... === Psychologie fixe ou évolutive === Évolutive, jusqu'à un certain point. Lorsque la ville est en feu, il cesse de tout analyser avant d'agir et "laisse libre cours à [s]es pulsions. [Il] ne surveille pas l'exactitude de ce qu['il] tente, histoire de voir ce que ça donne." (203) À la fin du livre, il semble trouver une certaine sérénité à travers son aventure et ses actions, alors qu'il est seul avec Élisabeth et Pierre, sa seule famille. Mais globalement, c'est très difficile de dire si sa psychologie est fixe ou évolutive. Il est tellement bizarre et sa narration est tellement ambiguë qu'on peine à savoir si ce qu'il décrit ou raconte est arrivé comme il le décrit ou raconte... ==== 2. Textualisation des procédés de caractérisation ==== === Focalisation === Interne, mais on a peu d'indications sur l'intériorité du narrateur. Celui-ci, la plupart du temps, décrit ce et ceux qu'il voit.\\ Le lecteur en sait toutefois moins que le personnage. Le narrateur nous livre ses questionnements et plusieurs de ses pensées, mais il nous laisse aussi beaucoup de vides et d’absences. Il n’explique pas ses comportements, ni sa relation avec Élisabeth et Pierre, ce qui force le lecteur à interpréter et à supposer plusieurs éléments de réponse. === Narration === Autodiégétique. === Discours === Direct, indirect et indirect libre. === Niveaux de langue === Standard, rien de particulier. === Identification === Généralement directe; dans quelques cas, surtout quand le personnage parle de sa santé, il adopte une certaine distance par rapport à son corps (p. 19 : « ma tête est sujette à des étourdissements »). p. 75 : le personnage parle indirectement de lui-même en se désignant comme « un type tout seul qui passe sa vie à édifier l'équivalent moral d'une cathédrale en allumettes, dont on ne saisit ni les tenants ni les aboutissants, c'est une curiosité.[…] Un type auquel on ne peut pas s'identifier, un type dont on ne sait rien est une curiosité. » p. 178 : se compare aux gens normaux en employant le « on » : « Autrement dit, on ne procède pas comme moi. » === Introduction (première occurrence) === "Je", p. 11 (la 3e page du roman), après avoir consacré les premières pages du roman à la description de la salle à manger de l’hôtel Les Coquillages et des personnes qui y sont présentes. === Scène de révélation/dissimulation/travestissement, qui mène à une identification normale, fausse, empêchée, différée === Pas pour lui, mais pour Pierre et Élisabeth, on peut dire que chaque fois qu'il en parle, il s'agit d'une dissimulation ou d'un travestissement, même si on comprend assez vite la supercherie "involontaire".