Enfin! Quelque chose sur les personnages des romans contemporains!

Cet ouvrage étudie les lieux et personnages types, leurs origines et leurs représentations, que l’on retrouve en abondance dans les romans urbains contemporains, ainsi que les figures d’anti-héros et de super-héroïnes qui leur correspond bien souvent. Parmi les personnages types : les flâneurs, les consommateurs, les détectives et les serial killers, les passantes et les femmes fatales, les sans-abri, les immigrés et les banlieusards.

Le flâneur : individu qui déambule dans la ville au gré du hasard et de ses humeurs changeantes. Il ne poursuit aucun but en particulier si ce n’est de tuer le temps. « La mobilité de son regard lui permet de découvrir de nouvelles réalités sur la ville moderne ». (81). Son seul travail est l’observation. Sa devise est d’être hors de chez lui mais de se sentir partout chez lui. D’être au centre du monde et de rester caché du monde. Il se caractérise par son oisiveté, il ne circule pas par utilité, marche seulement pour le plaisir de marcher. Il s’oppose donc à l’homme « actif », traverse la ville tout en s’en absentant puisqu’il échappe à ses lois. Il échappe également aux contraintes de la vie de couple puisqu’il est généralement un célibataire invétéré. Étant totalement disponible, il erre à la recherche d’une occupation, d’une rencontre ou d’une cause à adopter. Cette disponibilité particulière le rend apte à occuper des rôles très variés; il apparaît comme un personnage indéterminé qu’il s’agit de remplir progressivement de sens. Ici sont cité en exemple les protagonistes de La télévision, Les Atomiques, Mon grand appartement, Morsure de l’aube, Les grandes blondes, etc.

Le consommateur : Nombreux sont les récits dont les personnages consomment pour acquérir une identité et s’exprimer aux yeux du monde. « Se différencier revient à s’affilier à un modèle et donc à se dessaisir de toute singularité réelle […]. Au lieu de servir la singularité de l’individu, ces différences marquent son obéissance à un code, son intégration à un système de valeurs qu’il a fait sien. » (92). Ici on cite les récits les personnages de Poupées, Ali le Magnifique et 99 F.

Le détective : Beaucoup de récit contemporain mettent en scène des personnages de détective au caractère atypique, anecdotique ou parodique. Ceux-ci s’écartent des rôles stricts fixés par le genre du roman policier et deviennent des personnages caricaturaux, sans épaisseur, ni illusion référentielle. On pense aux détectives présents notamment dans L’homme qui tuait des voitures, d’Éric Le Braz, ainsi que dans les romans de Daniel Pennac ou de Jean Echenoz.

Le serial Killer : la mise en scène de ce personnage controversé s’avère un trait caractéristique de l’ère de la surmodernité (105). Il permet de produire un effet de réel dans le récit et d’énoncer un propos critique sur la société. Bien souvent, celui-ci tue par démence ou par désespoir plutôt que par intérêt. On le munit d’une psychologie complexe et nuancée, oppressée par la société, au point de parfois le rendre attachant pour le lecteur. Il canalise sa frustration par le passage à l’acte; le choix de ses victimes est généralement aléatoire. On cite en exemple les tueurs des romans d’Éric Le Braz, Virginie Despentes et de Paul Smaïl.

Passante et femme fatale : La passante et la femme fatale sont des archétypes qui partagent de nombreux points communs. « Mais alors que la passante est dotée d’un caractère individuel et s’humanise progressivement à mesure qu’on découvre ses traits, la femme fatale reste cantonnée dans un rôle de séductrice qui détruit les hommes. Fugitive et sans filiation, étrangère à l’univers domestique, elle offre son corps au regard de la foule urbaine et attire le flâneur qui rêve de la retenir […] » (123). Elle se fonde selon le fantasme masculin et incarne une image déformée de la féminité… (125).

Le sans-abri : Ce personnage frappe par son omniprésence dans les récits urbains contemporains. Souvent, il est doté d’une épaisseur psychologique et d’arguments visant à le disculper de la responsabilité de sa situation, rejetant la faute sur divers facteurs sociaux inévitables. Impuissant et improductif, il mène une vie solitaire et vaine. La perte de sa sexualité peut être liée à un refus de toute consommation; il apparaît comme étant (ou comme devant être) détaché du monde matériel. En effet, « pour les personnages itinérants, la vie à la rue commence généralement par un apprentissage progressif du renoncement à tout ce qui n’est pas indispensable à la survie » (135). Ils se posent, par leur inadaptation, en hors-la-loi.

Le banlieusard : Concerne souvent des personnages adolescents qui cherchent à rompre les liens familiaux pour se libérer d’une filiation qui les inscrit d’emblée dans le camp des dominés. La famille apparaît donc pour eux comme un anti-modèle. Ce type de personnage montre peu de variété d’un récit à l’autre; il se conforme généralement à des modèles négatifs de vandalisme, violence, délinquance, ou trafic de stupéfiants. Toutefois, certains récits multiplient les exemples positifs : force de travail, brillantes études, réussites dans les domaines du sport ou de la musique, etc. Sont notamment cités ici les personnages d’Izzo, Salvayre et Smaïl.

LES ANTI-HÉROS :

Jusqu’à présent il était surtout question de personnages dotés d’une véritable épaisseur humaine, suscitant une forte illusion référentielle et susceptibles de susciter des questions sur le plan social. « Au contraire, les récits contemporains abondent également en personnages qui, par leurs défauts ou simplement par leur caractère ordinaire, favorisent peu l’identification du lecteur. Certains d’entre eux sont des êtres trop insignifiants […]. Ces personnages sont des anti-héros que, dans le langage populaire, il est convenu d’appeler des losers dans la mesure où leurs tentatives d’intégration à la société sont vouées d’emblée à l’échec, ou parce qu’ils aspirent vainement à établir de véritables rapports affectifs avec autrui. » (155).

Je reprends encore les mots de l’auteure : Les récits qui disqualifient leurs personnages pour créer un effet de distanciation, le font généralement en se référant à des normes extratextuelles préexistantes qui s’inscrivent dans 4 domaines privilégiés (Hamon) : le regard, le langage, le travail et l’éthique. Vincent Jouve (Poétique des valeurs) propose de remplacer le terme éthique, par lequel Hamon entend le rapport de l’individu aux principes et aux lois, par celui de rapport à autrui. Justement, dans les romans contemporains, les personnages semblent moins disqualifiés par leur savoir-faire ou savoir-être que par rapport à la nature et aux modalités de leurs relations à autrui. (155-156).

Les récits d’Oster, Benacquista et de Toussaint mettent l’accent plutôt sur l’inefficacité du faire de leurs personnages. La maladresse de ceux-ci les transforme en anti-héros dont le manque de débrouillardise devient une source constante d’hilarité et d’ironie.

D’autres textes font vivre à leurs personnages des phénomènes surnaturels qui ne sauraient se produire dans le monde du lecteur (Truismes, Poupées, Les grandes blondes, La sorcière). Ses personnages sont disqualifiés par leur rapport au monde environnant et donc, sont aussi des anti-héros. La solitude sociale les affecte.

Enfin, on retrouve des textes qui font appel à des clichés empruntés à la culture populaire : aux genres paralittéraires, au cinéma, à la publicité et à la bande dessinée. Le lecteur a du mal à prendre ces personnages au sérieux parce qu’ils ne sont que des enveloppes vides, déshumanisés et parodiés. Les super-héros, policier, enquêteur, journaliste ou espion se donnent à voir comme des êtres sans intériorité; on montre leur décalage par rapport aux rôles thématiques qu’ils devraient normalement endosser. Par exemple, l’immortalité des super-héros de bande dessinée est tournée en dérision. Les noms propres peuvent aussi contribuer à rompre l’illusion référentielle. Exemples : Les Atomiques d’Éric Laurent, Un An d’Echenoz, les romans de Pennac, etc.

Les super héroïnes : Parallèlement, on assiste à l’émergence d’une nouvelle génération de super-héroïnes, fortes et autonomes, mais pas plus vraisemblables que leurs collègues masculins. Elles sont toutefois plus efficaces et indestructibles. Elles réussissent là où les hommes ont déclaré forfait. Elles travaillent souvent en tandem avec un coéquipier masculin qu’elles devancent régulièrement. Elles sont issues de la culture populaire (de Wonder woman et du journalisme super-héros). Ces personnages héritent de l’apparence d’une pin-up et de l’efficacité calculée d’une femme fatale. Elles provoquent le même effet que l’anti-héros : détruire l’effet de réel. Ces deux modèles, paradoxalement, sont donc complémentaires.