== I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE == Auteur : Nicolas Bouyssi Titre : Le Gris Éditeur : P.O.L Collection : Année : 2007 Éditions ultérieures : Désignation générique : Roman Cote : DEUX ÉTOILES ==Quatrième de couverture : == « Un homme qui va décider un jour d'aller plus loin. » == II- CONTENU GÉNÉRAL == == Résumé de l’œuvre : == Le personnage principal cherche une Idée. Une Idée qui guidera sa vie et changera la société. Voilà son projet, son objectif : la trouver. Pour cela, il a quitté sa vie, son travail, sa maison, sa conjointe, Anne, avec qui il prévoyait faire des enfants. Pour voir s’il trouverait plus facilement en changeant de contexte. Il demeure maintenant dans une ancienne tour de logements sociaux. Il dort dans un sac de couchage avec des chats errants et se nourrit de nourriture volée. Car depuis trois mois, il s’est mis à voler : avec d’autres gars, il dévalise les camions de livraison au service des grandes surfaces. Il n’aime pas ça, participe aux vols sans conviction, presque contre son gré. Ses complices, eux, prétextent agir contre le capitalisme; un discours politique monté de toute pièce motive leur démarche. De plus en plus de gens s’adonnent à ce genre de vol, à un point tel que la police doit prendre des mesures spéciales pour protéger les livreurs. Au fil du récit, s’apercevant que sa subjectivité lui échappe de plus en plus et croyant que le vol et la violence ne constituent pas la bonne méthode, le personnage tente d’échapper à cette vie dans laquelle il s’est empêtré. Anouck, une fille qui l’intéresse beaucoup, est pour lui comme un appel d’air. Même si elle trempe également dans le monde du vol, il décide finalement d’être sincère avec elle. Si le fait d’être incompris d’Anne l’avait conduit au fatalisme, il a maintenant en face de lui une femme qui peut le comprendre. À la fin du récit, il tentera d’aider ses complices voleurs à se sauver de la police tout en tentant de se sauver lui-même de sa situation. ==Thème(s) : == La société, la subjectivité, l’identité, l’action « il y a les tenants de l’action, ceux qui croient en la volonté et qui considèrent comme nihilistes ou défaitistes ceux qui n’agissent pas. Il y a également les tenants de la contemplation, ceux qui croient au primat de l’imagination et qui disent que l’action conduit à l’outrance ou à la catastrophe. Les déprimés et les stressés, me suis-je redit. Il n’est pas étonnant que notre époque pense qu’il n’y a plus d’histoire, puisqu’en étant déprimé on n’agit plus et qu’en étant stressé on ne contemple plus; on vit dans un monde qui n’a plus de volonté et plus de regard […] » (p. 204). == III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION == == Explication (intuitive mais argumentée) du choix : == Animé par une quête identitaire et idéologique, le personnage-narrateur s’est coupé de sa vie d’avant et depuis, son agir s’avère problématique. La coupure qu’il a instaurée entre lui et le monde social est manifeste : menant une vie itinérante, où plus rien ne le guide, il n’a plus de repère identitaire (le lecteur ne connaîtra jamais son vrai prénom). Il est incapable de rester seul, mais ne veut rien dévoiler de sa personne. La révolte qu’il ressent contre la société est d’ailleurs à la source de sa rupture. Selon lui, ses problèmes découlent du fait qu’il réside dans son siècle; il a l’impression de perdre sa subjectivité et jette tout le blâme sur la société. Il ne sait nullement comment agir pour être fidèle à lui-même. Or, en tentant d’être marginal, il s’aperçoit qu’il n’agit plus selon ses propres aspirations, qu’il ne contrôle pas davantage sa vie et que sa quête identitaire et idéologique ne lui permet pas de trouver la bonne façon d’agir. Remettant constamment son action en question, il semble attendre que les choses se résolvent sans son intervention et tend à choisir la fuite et l’inaction. == Appréciation globale : == Moins intéressant que Les Algues (autre roman de Bouyssi) mais tout de même susceptible de faire partie du projet. == IV – TYPE DE RUPTURE == == Validation du cas au point de vue de la rupture : == ==a) actionnelle : remise en question de l’intention (et éventuellement de la motivation); logiques cognitives/rationnelles ou sensibles; présence ou absence d’un nœud d’intrigue et d’une résolution; difficulté/incapacité à s’imaginer transformer le monde (à s’imaginer le monde transformable), etc.== ==b) interprétative : difficulté/incapacité à donner sens au monde (à une partie du monde) de façon cohérente et/ou conforme à certaines normes interprétatives; énigmaticité et/ou illisibilité du monde; caducité ou excentricité interprétative; etc.== ==Rupture actionnelle :== a)La rupture du personnage-narrateur se manifeste par son agir. Il a quitté sa vie, s’est marginalisé, mais ne sait toujours pas quoi faire. Il se rend compte que ses actes ne répondent pas à ses déterminations et par conséquent, les remet en question : « en quoi ai-je avancé? Je me suis allié avec des fripouilles, j’ai volé dans des supermarchés, j’ai mis au point une organisation dont je ne profite pas, toujours parti ailleurs que là où je le souhaiterais, à remplir mes journées de choses que je ne veux pas faire, à mettre ma volonté et dépenser mon énergie au service de causes que je ne soutiens pas, de situations non désirées, où je ne me reconnais pas, où je ne m’incarne pas, où je me vide et m’étiole au contraire. » (p. 58). De plus, dans cette vie-ci, il ne vit pas vraiment : « depuis plusieurs mois, j’habite dans des sortes de limbes; le réel que je côtoie se déplie sans être enthousiasmant […]. » (p.90). Il prend conscience d’avoir accumulé les deuils et de vivre maintenant loin de tout. Il trouve que sa vie est pauvre, questionne son utilité à exister. En fait, lorsque commence le récit, le personnage est à la recherche d’un tableau (l’autoportrait d’un peintre) aperçu dans un château alors qu’il avait 12 ans. Aux dires de sa mère, à l’époque, ce tableau semblait le représenter dans le futur, alors qu’il aurait 30 ans (l’âge qu’il a approximativement alors qu’il raconte ce récit). Ainsi. Puisqu’il ne sait pas quoi faire pour trouver son idée géniale, il entend se laisser influencer par ce qu’il apprendra de la vie du peintre de l’autoportrait, Jacques Dorelet. Or, il découvre par la suite que la vie du peintre était banale, aussi banale que la sienne et donc, non seulement il ne peut s’en inspirer, mais a l’impression d’être le Jacques Dorelet, c’est-à-dire l’homme commun, de son époque. Peu à peu, le personnage se dit que « [l]’action n’est peut-être plus la bonne solution » (p.97), et « [l]’inaction est en train de [l]e tenter » (p.97). Lors d’un vol il ne fait rien, et lorsque son compère vient le visiter pour l’accuser de n’avoir rien fait et de ne plus être des leurs, il ne fait rien pendant un long moment avant de finalement trouver un moyen de se débarrasser de lui. Aussi, dès qu’il a une idée d’action, il questionne l’intérêt de la commettre et en fin de compte, ne la fait pas. Il semble plutôt attendre qu’il se passe quelque chose sans qu’il ait à agir. Il pense que son corps et son esprit seront influencés par les lieux qu’il fréquente : « si dans trois mois rien n’arrive, si mon corps n’a rien produit qui me satisfasse, je recule, j’abandonne, je recherche un métier, j’arrête de me prendre pour ce que je ne suis pas […]. Je passe un concours puis j’achète une maison et je fais des enfants. » (p. 103) La dernière phrase de ce passage est en italique dans le texte, comme s’il s’agissait d’une autre voix que la sienne, comme si c’est ce que la société lui prescrivait plutôt que ce qu’il se prescrivait lui-même. Bref, le personnage est plutôt indéterminé à agir : « J’étais toujours dans l’incohérence, je ne prévoyais toujours rien. » (p.208). Vers la fin du récit, il se trouve à la croisée des chemins, doit en quelque sorte choisir son camp, ou disons, l’orientation que prendra sa vie. Ne voulant ni finir en prison par respect pour son ancienne vie, ni trahir la bande qu’il veut pourtant quitter, le personnage tente de fuir. == V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES == == Validation du cas au point de vue narratif/poétique (voix, fiabilité du narrateur, registres fictionnels, temporels, type de configuration narrative, etc.) == Narration autodiégétique. Roman faiblement configuré. La fin n’amène aucune véritable résolution : le comportement du personnage-narrateur est inattendu et ne permet pas de savoir ce qui adviendra des personnages.