Auteur : Greene, Mark
Titre : Le ciel antérieur
Éditeur : Seuil
Collection : -
Année : 2013
Éditions ultérieures : -
Désignation générique : roman (couverture)
Quatrième de couverture :
Dans son bureau parisien, Pierre Orangel, éditeur vieillissant, reconstitue le parcours d’un de ses auteurs, disparu quelques années plus tôt. Marc Williams est-il mort ? A-t-il choisi le silence ? Se cache-t-il sous une fausse identité ? Et dans quel but ?
Nous apprendrons bientôt que les réponses sont à chercher du côté de l’Auvergne, dans un camping de bungalows abandonné, sur les hauteurs du Forez…
Au même moment, dans le quartier de Brooklyn, à New York, Felicia Lascaux, jeune écrivain à succès, est hantée par un étrange visiteur…
Ce roman, qui conjugue l’ampleur des grands espaces et l’énigme de la création individuelle, nous livre l’histoire de trois aventuriers de l’écriture, happés, entre ciel et terre, par le vertige de l’inconnu.
Franco-américain, Mark Greene est né en 1963 à Madrid. Il est l’auteur du Lézard (Fayard, 2004), des Maladroits (Fayard, 2007) et d’un recueil de nouvelles, Les Plaisirs difficiles (Seuil, 2009).
Résumé de l’œuvre :
Le roman est centré autour de trois personnages: Marc Williams, un écrivain bizarroïde et inconnu du public, en apparence effacé mais qui se révèle être plutôt un idéaliste à tendance mégalomane; Félicia Lascaux, jeune écrivaine ayant connu du succès et une brève aventure avec Marc, amoureuse déçue d'un bonze de la télé française, elle s'est exilée à New York où elle a perdu toute inspiration littéraire; Pierre Orangel, petit éditeur parisien homosexuel et vieillissant qui a publié Marc et Félicia. Les trois personnages ne se reverront pas durant six ans. Pendant ces années, Orangel repense au type étrange qu'était Marc Williams dont il a refusé de publier le troisième roman et il regrette à longueur de soirée n'avoir jamais pris le temps d'écrire lui aussi un livre. Ce n'est pas la partie la plus palpitante… Félicia, elle, finit par retrouver l'inspiration grâce à Marc Williams dont elle imagine la présence à ses côtés. William, enfin, a disparu dans la région de Clermont-Ferrand, où il a rejoint deux étranges admirateurs exhibitionnistes. Là-bas, il finit par mettre en place un atelier d'écriture qui ressemble par certains côtés à une secte. Ils sont huit à vivre dans un ancien camping de nudistes, occupant leurs journées à s'expurger de leurs démons grâce à la vie simple et la communion avec la nature, noircissant des pages et des pages de texte. Mais quand des éoliennes sont élevées près de leur havre de paix créative, les campeurs littéraires vont les saboter, ce qui mène finalement à la dissolution du groupe
Thème(s) : Littérature, édition, création, sectarisme, amour, camping (?).
Explication (intuitive mais argumentée) du choix :
Les trois personnages principaux ont été qualifiés d'antihéros par la critique, mais à mon avis seul Marc Williams est un personnage déconnectés. Les deux autres passent leur temps à se questionner sur eux-mêmes et ne font pas grand-chose, certes, mais Marc agit souvent de façon peu cohérente et semble en inadéquation avec le monde qui l'entoure. Quoique que ça ne soit pas très spectaculaire, d'où sa cote de 3, tout juste la note passage.
Appréciation globale :
Ça va, mais ce n'est pas un roman à proprement parler excitant. Au risque de perpétuer un cliché (j'assume mon crime), je dirais que ça fait très “français”: peu d'action, beaucoup, beaucoup, beaucoup de psychologie (mais curieusement, surtout pour les deux personnages non déconnectés), très urbain mis à part la vie au camping. Finalement, oui, il faut bien l'admettre, c'est longuet, et l'auteur aurait facilement pu raconter la même histoire de façon beaucoup plus efficace et ramassée.
La rupture (autant actionnelle qu'interprétative) de Marc se traduit souvent par une indétermination du personnage, laquelle est résumée par Pierre Orangel:
a) actionnelle : Remise en question de la motivation ); logiques cognitives/rationnelles ou sensibles; présence ou absence d’un nœud d’intrigue et d’une résolution; difficulté/incapacité à s’imaginer transformer le monde (à s’imaginer le monde transformable), etc.
Quand Pierre Orangel rencontre Marc pour la première fois, ce dernier lui fait l'impression d'un jeune homme discret, réservé. Mais les romans qu'il lui soumet (surtout le deuxième; voir résumé p. 31-40) sont très étranges, notamment parce que les actes des personnages sont extrêmes et surtout ne sont jamais expliqués, justifiés. Or, plus le roman avance, plus Marc tend à ressembler à ces personnages à la motivation problématique.
Ainsi, quand Orangel voit Marc pour la dernière fois, il se fait la réflexion suivante: “Williams avait changé. Il était gouverné par d'autres besoins, d'autres impératifs. Il avait largué les amarres.” (94) À partir de cet instant et plus encore lorsqu'il va vivre au camping, Marc se met en effet à agir de façon encore plus étrange, injustifiée.
Par exemple, il affirme souhaiter que “l'étendard de la subversion” (184) flotte sur le camping, mais à aucun moment auparavant il n'a manifesté la moindre tendance à la subversion (en fait, il a manifesté très peu d'émotions de tout le roman). Au contraire, son caractère réservé suggérait plutôt qu'il était du type à faire peu de vagues, à demeurer dans l'ombre.
Un peu plus loin, il précise ce qu'il imagine pour le camping, mais il semble que ses intentions et ses souhaits découlent d'un impératif inconnu, un peu comme un gourou qui obéirait à d'obscurs commandements d'une entité supérieure:
Autre exemple de ce problème de motivation: Quand les autres membres du groupe proposent d'aller saboter les éoliennes, Marc ne donne à aucun moment son avis; il ne semble ni enthousiaste ni inquiet, simplement un brin curieux: “Ainsi, pensai-je, nous nous apprêtions à commettre un forfait. Toucher aux câbles de la Loi. Quelles en seraient les conséquences ? Nous verrions bien.” (260)
b) interprétative :
Tandis qu'on connaît dans les moindres détails les pensées de Pierre Orangel et de Félicia Lascaux, celles de Marc Williams sont globalement assez peu exprimées.
De plus, Marc ne semble pas avoir envie de comprendre ce qui se passe autour de lui, il se contente de suivre les événements, du moins jusqu'à l'époque de l'atelier d'écriture, alors qu'il prend les choses en main. Par exemple, lorsqu'il va rejoindre ses admirateurs louches à Clermont-Ferrand, quantité d'indices suggèrent que ceux-ci sont des exhibitionnistes aux méthodes un peu spéciales, mais Marc ne remarque rien d'anormal ou, en tout cas, n'en fait pas part. Et quand le couple commence son manège (dans un lieu public, se déshabiller prestement, courir un peu, sentir la liberté sur chaque pore de la peau exposée, prendre une photo et se sauver avant que la police n'arrive), Marc ne s'en formalise pas le moins du monde, n'a pas l'air surpris du tout. En fait, il les aide un peu, prenant quelques photos, sans jamais se questionner ou interroger le couple, comprendre leur geste, etc. Dans ces moments, il a un peu l'allure d'un simple spectateur.
Narration autodiégétique pour chacun des personnages. Chaque chapitre est narré par un personnage différent est commence avec un en-tête de la sorte: “Marc Williams, le 21 mars 2013, à la tombée de la nuit, camping des Ors noirs, domaine de la Rigaudière, Puy-de-Dôme”, ce qui est à mon avis parfaitement inutile puisque le roman n'emprunte pas la forme du journal, qu'il n'est pas difficile d'identifier le personnage qui raconte et que le roman ne change rarement de lieu et jamais de date (les quelque dix années de l'histoire sont racontées sur le mode rétrospectif).
Contrairement aux schémas plus classiques du genre “trois personnages aux antipodes finissent par se rencontrer” ou “trois personnages se croisent à répétition mais ne se (re)connaissent pas”, les trois personnages du Ciel antérieur passent le roman à s'éloigner l'un de l'autre. Nous, en tant que lecteur, on espère vaguement des retrouvailles qui ne viendront finalement jamais. Donc, déception.
Il n'y a somme toute pas de nœud d'intrigue ni de résolution dans le Le ciel antérieur. À la fin, Marc se dit qu'il pourrait incendier tous les bungalows afin de mettre un point final, parce qu'“il faut mettre un point final aux choses, sinon il n'y a pas moyen de repartir quoi que ce soit. […] Un point final, comme s'il s'agissait d'une oeuvre […], une oeuvre qui méritait un certain respect, une oeuvre à part entière…” (271) Mais le roman se termine plutôt avec la dissolution du groupe d'écriture, et Marc reconsidère son intention de brûler le camping: il décidera quand le soleil sera levé. C'est tout. On ne sait pas, tout comme on ignore si les membres du groupes auront des problèmes à cause de leur acte de sabotage.
L'auteur a été comparé à quelques reprises à Patrick Modiano à cause ses personnages à la fois ordinaires et empreints d'une profonde étrangeté.