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I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Patrick Modiano
Titre : L’herbe des nuits
Éditeur : Gallimard
Année : 2012
Désignation générique : Roman
Quatrième de couverture : «“Qu’est-ce que tu dirais si j’avais tué quelqu’un?” J’ai cru qu’elle plaisantait ou qu’elle m’avait posé une question à cause des romans policiers qu’elle avait l’habitude de lire. C’était d’ailleurs sa seule lecture. Peut-être que dans l’un de ses romans une femme posait la même question à son fiancé. “Ce que je dirais? Rien.”»
II- CONTENU GÉNÉRAL
Résumé de l’œuvre : Le narrateur, grâce à un carnet noir dans lequel il a l’habitude de noter des noms, des lieux, ou des moments, retrace une période de sa vie pendant laquelle il était le copain de Dannie, une jeune femme aux drôles de fréquentations. Ils louent des chambres d’hôtel sous des noms empruntés à l’insu d’hommes louches liés à Dannie (Aghamouri, Duwelz, Marciano, Chastagnier et «Georges»). Le récit est présenté de façon non linéaire à l’histoire. Ainsi, on sait que Langlais, un inspecteur, a interrogé Jean après cette étrange fréquentation, au sujet d’un meurtre commis par Dannie (ce qui nous est donné de savoir ensuite). Jean lui déclare qu’il ne sait pas où se trouve son amie. Il se les quelques semaines passées à La Barberie, à la maison de campagne aux parents de Dannie (mais était-ce vraiment le cas?) et les choses qu’il y a oublié (un manuscrit, une lumière ouverte). Ils vont à l’ancien appartement de Dannie et elle récupère des objets à l’insu de la propriétaire qui la croit morte. Puis, un soir, Aghamouri raconte à Jean comment Dannie s’est mise dans le pétrin (des problèmes d’immigration, une faute grave,…), mais ce dernier ne semble pas s’en préoccuper tant que ça. Dans son carnet noir, le narrateur note également des noms de rue, de bâtiments, ainsi que les données qu’il recueille sur des personnes mortes depuis longtemps (Baronne Blanche, Jeanne Duval, etc.). Dans le temps présent, il rencontre Langlais de façon hasardeuse, à place d’Italie. Ce dernier, retraité, lui donne le dossier de l’affaire sur laquelle il l’a interrogé. Jean découvre les multiples identités de Dannie.
Thème(s) : Imprécision des souvenirs, temps qui s’empile dans Paris, convergence et étrangeté du temps, immigration, Maroc, études, fréquentations louches, enquête (toutes sortes d’enquêtes).
III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix : Patrick Modiano est l’auteur de L’Horizon et d’Accident nocturne, deux œuvres dans lesquelles le personnage est déconnecté. À première vue, L’herbe des nuits ressemble à ces deux romans.
Appréciation globale : Lecture agréable, étrange impression de flotter dans l’intemporel. Personnage tout aussi attachant qu’étrange.
IV – TYPE DE RUPTURE
A) Rupture actionnelle : Sans être tout à fait incapable d’agir, le narrateur est superstitieux face au temps (il ne note pas les rendez-vous pour le pas les figer s’il veut qu’ils aient lieu, par exemple). Puisqu’il ressasse les souvenirs d’il y a une cinquantaine d’année, il n’a aucune emprise sur ces évènements qui appartiennent au passé. Dans le temps réel, le narrateur subit et accepte son sort (par exemple, lorsqu’il rencontre Langlais, ses «droits sont insuffisants» et il ne peut l’inviter à manger, par exemple). Il croit aux hasards prévus. Donc, ne s’oppose pas aux choses et croit qu’elles sont telles quelles, inchangeables. Agir est superflu. La seule chose que Jean fait vraiment, c’est peut-être de noter plein de mots hétéroclites dans son carnet noir pour avoir une emprise sur le temps et démêler tout cela un jour.
Répétition de la question : «À quoi bon?» (p. 45-62-70-83-129-148)
«Ils ne sauraient jamais que le temps palpite, se dilate, puis redevient étale, et peu à peu vous donne cette sensation de vacances et d’infini que d’autres cherchent dans la drogue, mais que moi je trouvais tout simplement dans l’attente.» (p.106)
B) Rupture interprétative : Le carnet noir et la mémoire embrouillées et vieillissante du narrateur sont les seuls repères que nous avons face à l’histoire. Il s’avère dès lors que la réalité du récit est insaisissable, ou plutôt, qu’elle l’est seulement par les impressions floues, imprécises, subjectives du narrateur. Le temps est à la fois l’allié et l’opposant du narrateur. Il semble que ce soit, comme dans la plupart des romans de Modiano, l’élément le plus important et le plus insaisissable du récit. Il se meut sans cesse, faisant de la vie quelque chose d’étrange à notre conception humaine. C’est comme si les époques se succédaient comme un palimpseste. Parfois, à des moments et des endroits précis, le temps est aboli et retrouvé (lors de la dernière rencontre avec Langlais, par exemple). Habituellement, un récit raconté au passé est fiable, mais ce n’est pas le cas chez Modiano. De plus, Jean semble avoir été confus sur le moment, lorsqu’il écrivait les pages du carnet.
«Oui, c’était comme si je voulais laisser, noir sur blanc, des indices qui me permettraient, dans un avenir lointain, d’éclaircir ce que j’avais vécu sur le moment sans bien le comprendre. Des appels de morse tapés à l’aveuglette, dans la plus grande confusion.» (p.42)
« […] [J]’avais l’habitude de vivre sans le moindre sentiment de légitimité, […]» (p.50).
«Il n’y a jamais eu pour moi ni présent ni passé. Tout se confond […]» (p.56).
«Tous ces gens que j’ai croisés, je les voyais de très loin.» (p.79)
«J’avais parfois l’impression de perdre la mémoire et de ne plus bien comprendre ce que je faisais là.» (p.108)
V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES
Narrateur autodiégétique.
Souvent, pour se définir ou pour s’exprimer sur une situation, des mots sont placés entre guillemets, comme si le narrateur était un enfant et qu’il découvrait de nouveaux mots qui ne collent pas tout à fait à son vocabulaire. Par exemple : «les mains propres» (p.98), «dans une sale histoire» (p.116). En lien avec cela, il note des mots d’argots dans son carnet : «Bahut, la chtourbe, les bourres, à dache.» (p.121)
Le narrateur soulève plusieurs questionnements, au fil du texte. Des questions sont posées, mais les réponses restent évasives, inexistantes.
Souvent, des paroles ou des expressions prononcées par d’autres personnages ressurgissent des années plus tard dans les pensées du narrateur, en lien avec une situation.
Vers la fin, le narrateur semble s’adresser à Dannie.