I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE

Auteur : Catherine Mavrikakis

Titre : Deuils cannibales et mélancoliques

Éditeur : Trois

Collection : aucune

Année : 2000

Éditions ultérieures : publié ultérieurement chez Héliotrope

Désignation générique : roman

Quatrième de couverture : Le récit empoisonné est un genre qu'il nous faut réinventer. Pourtant, j'ai peu à dire. Très peu à dire et même la cruauté ne me donne pas beaucoup de satisfaction. Je ne sais jamais si je dois continuer à écrire et je me dis que si j'avais vraiment quelque chose à dire, je ferais comme Mallarmé, je le crypterais. Car dire la chose a`dire me serait insoutenable, impossible. J'écris pour distraire ma douleur, pour ne pas en parler. Je triche avec moi-même, je le sais. Mais ma douleur est si silencieuse ou si cabrée contre moi, que j'ai souvent l'impression qu'elle m'avale, me gobe. Ma douleur est baleine et je suis lovée en elle, comme un Jonas. J'ai lu dans le Paris-Match de la semaine ces deux phrases d'Angelo Rinaldie et Yann Queffélec: “Le roman est une dépression nerveuse dominée par la grammaire” et “Un artiste qui ne se suicide pas mérite-t-il d'être pris au sérieux ?” Je sais que j'écris pour ne pas faire une autre dépression mais qu'il me faudra peut-être me suicider en bout de ligne, malgré tout. J'écris pour distraire tous les suicides et tous les morts qui nous appellent sans cesse. Cela n'arrête pas de sonner sur la ligne des morts, cela n'arrête pas de m'écrire au mavrik@alcor.concordia.ca. Dois-je répondre ?

II- CONTENU GÉNÉRAL Résumé de l’œuvre : Un livre très difficile à résumer puisqu'il n'y a pas d'intrigue. La protagoniste raconte la mort de nombreux de ses proches, qui s'appellent d'ailleurs tous (ou presque) Hervé.

Thème(s) : la mort, rarement de vieillesse (suicide, sida, accident), le deuil, l'homosexualité

III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION

Explication (intuitive mais argumentée) du choix : Le livre semble traiter de sujet tels que la dépression, la mort et le suicide, qui sont là des sujets où l'on risque de mettre en scène des personnages désabusés, et qui dès lors ne semble même plus vouloir essayer de tenter quoi que ce soir.

Appréciation globale : Un autre excellent livre de Catherine Mavrikakis. Un personnage auquel on s'attache rapidement. J'y ai noté plusieurs phrases “punchées” dignes de devenir des citations reconnues. Parler de la mort sans déprimer le lecteur, ça tient du prodige.

IV – TYPE DE RUPTURE

Validation du cas au point de vue de la ruptureEmphase forte (gras)

a) actionnelle : remise en question de l’intention (et éventuellement de la motivation); logiques cognitives/rationnelles ou sensibles; présence ou absence d’un nœud d’intrigue et d’une résolution; difficulté/incapacité à s’imaginer transformer le monde (à s’imaginer le monde transformable), etc.

Il y a, dans Deuils cannibales et mélancoliques, absence totale d'intrigue et ainsi absence totale de résolution.

“Je militais contre la mort. Je pensais l'annihiler. Avec le temps, j'ai compris que j'avais peut-être gagné quelques batailles contre la mort, mais que je perdrai la guerre.” (160)

Le personnage, Catherine, semble vivre dans l'attente de la mort. Elle est une personne silencieuse et souffrante ayant tenté à plusieurs reprises de se suicider. Toutefois, elle échoue sans cesse. Elle mentionne qu'il faut, à son avis, du courage pour se tuer, se qui laisse présager qu'elle en a sans doute manqué. Elle affirme aussi que la pensée suicidaire est héréditaire (50), affirmant ainsi qu'elle ne peut rien faire pour contrer son état d'esprit puisqu'il s'agit là de quelque chose qui est en elle et ce, malgré elle.

Elle parvient, au moment où elle narre le livre, à “supporter” la vie, mais sans plus. En fait, elle dit que c'est son “devenir-mort” qui l'accroche à la vie (61). Catherine est donc un personnage qui vit pour et dans l'attente de la mort. Dans les pages 20-21, elle se qualifie d'ailleurs de “morte” à deux reprises. Sans oublier de mentionner que, dans sa jeunesse, elle a feint son décès et s'est organisé un faux enterrement.

Toutefois, non seulement son rapport à la mort est-il personnel, mais il est aussi social: ses amis, du moins ceux prénommés Hervé, sont tous destinés à la mort. Plusieurs lui demandent de l'aide. Or, cette aide, la plupart du temps, elle n'est pas en mesure de la fournir : “Je fus complètement désarmée devant l'ampleur de la demande d'Hervé. Je ne savais comment l'aider à s'approprier sa mort ni comment lui faire dire les mots du passage vers l'infini ou le vide.” (41) En outre, elle dit : “Je les repousse au fond de mes souvenirs. Ce sera à d'autres d'aller les sauver. Moi, je ne sais qu'avancer. […] L'amie qui n'a sauvé la vie de personne, c'est moi.” (135-136)

Le rapport à la mort se fait aussi dans le deuil. Et justement, Catherine se retrouve souvent, dans ces situations, désemparée. Elle “sombre” dans la tristesse et dit qu'elle “n'en finirai jamais de [se] soigner et de bercer tous ces morts en [elle]” (157).

Bien qu'elle semble vivre pour la mort, il subsiste toutefois en elle un désir de ne pas se laisser mourir impunément lorsque la grande faucheuse se présentera. Toutefois, le livre se clôt sur une conclusion plutôt négative qui renvoie à cette phrase, prononcée plus tôt : “On ne peut échapper à son destin.” (164) En effet, elle fait un rêve dans lequel elle se voit décéder. Or, elle s'aperçoit qu'elle accepte passivement son destin, ce qui la rend très amère : “Cette résignation m'a toujours semblé scandaleuse. Et me voilà tout aussi servile que les autres. Prête à me fondre dans le grand blanc visqueux. Tout tend à s'effacer. Les traces s'estompent rapidement.” (200)

Néanmoins, bien que la protagoniste fasse, tel que prouvé, montre d'une certaine lâcheté, il est à noter qu'elle n'est pas un personnage entièrement porté par la rupture actionnelle. Elle explique d'ailleurs elle-même s'être améliorée, avec le temps : “Avant, je n'arrivais pas à parler, mon corps manifestait des signes, essayait d'articuler les choses à ma place.” (67)

b) interprétative : difficulté/incapacité à donner sens au monde (à une partie du monde) de façon cohérente et/ou conforme à certaines normes interprétatives; énigmaticité et/ou illisibilité du monde; caducité ou excentricité interprétative; etc.

Le personnage, comme on l'a vu, semble paradoxalement vivre dans la mort. Cependant, elle a de la difficulté à comprendre ce que signifie la mort : “Je suis une cancre, une abrutie de la mort ; je suis bouchée.” (13)

Vivant constamment dans le deuil, elle mentionne qu'elle tend à perdre la mémoire des morts, comme ce fût le cas pour l'un des Hervé : “L'image d'Hervé s'efface, comme mangée par un acide photographique. […] Le prénom “Hervé”. C'est tout. Le nom de famille d'Hervé n'est déjà plus dans ma mémoire et pourtant Flora n'a cessé de le répéter depuis le début de cette conversation.” (14) Elle mentionne pourtant, à la page 30, avoir une bonne mémoire. Mais ce n'est pas la seul fois où, à cause de son état, celle-ci lui fait défaut. À la page 22, il est écrit qu'elle a même, à un certain moment, oublié comment dire le mot “téléphone”.

Toutes les raisons pour lesquelles ces gens décèdent lui échappent. “Il y avait Hervé que j'aimais et qui est mort du sida, lui aussi sans que je sache, sans que je comprenne”(86), dit-elle. Et non seulement ne réalise-t-elle pas ce qui se produit avec ses amis morts, mais aussi avec ses amis mourants : “Hervé m'avait donc dit beaucoup et je n'ai rien compris. Je me suis contentée d'enregistrer. Je fus un répondeur automatique, rien de plus pour lui.” (88)

Toutefois, malgré cela, elle comprend plus la mort qu'elle comprend la vie. Elle mentionne que loin des cimetière, elle est déboussolée (80).

Étonnamment, malgré cela, sa vision se montre souvent très juste et réfléchie. Elle semble régulièrement comprendre des événements lié à la mort que d'autres ne comprennent pas (par exemple, pourquoi l'homme vivant dans son immeuble s'est-il réellement suicidé). Une fois de plus, sa personnalité est paradoxale.

V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES Validation du cas au point de vue narratif/poétique (voix, fiabilité du narrateur, registres fictionnels, temporels, type de configuration narrative, etc.)

Il n'y a aucune intrigue. Les chapitres, également, s'enchaîne excessivement rapidement, parfois en étant liés aux précédents, parfois non. Leur longueur varie sans cesse, mais ils sont tous très courts (pas plus que 3-4 pages).