Ceci est une ancienne révision du document !
I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Clara B. Turcotte
Titre : Demoiselles-cactus
Éditeur : Leméac
Année : 2015
Désignation générique : Roman
Quatrième de couverture : «Elles sont toutes sales, merveilleusement offensantes. L’une d’elles a des cheveux épais comme de la paille, tout mêlés en arrière, elle porte de petites lunettes affreuses. L’autre, d’origine moyen-orientale, a l’air de s’être coupé les cheveux elle-même. Ils sont super courts, un peu plus longs d’un côté, comme un mohawk manqué. Une mini butch. Une fille-cactus.
Ce singulier roman de chair rose et de corps morose fait entendre une voix gracile et assurée, un humour aussi abrasif que vivifiant. Oscillant entre un grincement de dents et une fête galante, il brille de l’éclat baroque et trash des perles de plastique.»
II- CONTENU GÉNÉRAL
Résumé de l’œuvre : Une jeune femme anorexique vit avec l’autre, son nouveau copain, de qui elle est dépendante financièrement, car elle est incapable de garder un emploi. Dès lors, une relation d’indifférence s’installe entre les deux personnages qui ne se croisent presque pas et font chambre à part. Un soir, Mélisse découvre un site internet douteux sur l’ordinateur de l’autre : des petites filles de plastique destinées à un usage sexuel et des profils de femmes finalement remplis de photos d’enfants. Elle erre dans son existence comme à son habitude, mais lorsque l’autre loue un studio pour peindre, elle le suspecte de plus en plus. La narratrice le croise dans la rue et le suit jusqu’à un parc d’enfants. Il emmène avec lui une petite fille qu’elle reconnait pour être Anastasia, une des filles sur les photos. L’autre se tourne vers elle et la voit, mais elle a un malaise au même moment. Étant maintenant certaine qu’elle vit sous le même toit qu’un pédophile, Mélisse demande de l’aide à une vieille connaissance : Charlot, le fils de l’ami de ses parents, qui est aussi un hacker. Grâce à son aide, elle réussit à entrer sur l’ordinateur de l’autre, l’emporte avec elle à l’appartement. Son incapacité à agir l’assaille malheureusement au même moment et elle erre dans l’appartement jusqu’à son retour. Lorsqu’il revient, il la menace avec un couteau, mais il est encore sous l’effet des somnifères que Mélisse lui a mis dans son lait, et elle réussit à l’assommer avec de la nourriture congelée. La narratrice apporte rapidement l’ordinateur à la police et après un long interrogatoire, ils se rendent chez elle pour attraper le criminel qui s’est échappé. Mélisse fête sa fête avec sa famille, est toujours aussi anorexique et étrange, mais elle imagine une histoire de science-fiction qui aurait pour personnages principaux Anastasia et Frédéline, la fille adoptée de sa tante. Elle se met à écrire…
Thème(s) : Anorexie, pédophilie, science-fiction, intérêts culturels des hipsters…
III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix : L’anorexie de la narratrice la place dès le départ dans une attitude de déconnection par rapport au monde. De plus, le titre laisse entendre une analogie entre les protagonistes féminins et les cactus. Elles ont des épines pour se protéger, mais de quoi ? Des autres ? Du monde ? Dans tous les cas, une distance est envisageable.
Appréciation globale : Ce roman ne fait pas de l’anorexique une victime classique, prisonnière de sa maladie. Au contraire, le lecteur est plongé dans le quotidien atypique d’une narratrice attachante, malgré ses pulsions psychotiques. Lecture agréable. Il s’agit d’un livre qui nous donne l’impression, à n’importe quelle heure, d’être la nuit, dans un cadre spatio-temporel confortable, entre deux moments indéfinissables, en marge des autres et de la société, malgré le profond encrage culturel qui se réfère à notre époque.
IV – TYPE DE RUPTURE
A) Rupture actionnelle : Mélisse est incapable de travailler. Elle est dépendante de l’autre, car elle ne peut subvenir elle-même à ses besoins. L’anorexie, ou sa personnalité dysfonctionnelle, fait en sorte qu’elle a de la difficulté à avoir des relations avec les autres, ou simplement, avoir des habitudes de vie normales (non-aliénantes). Par contre, partir du moment où elle réalise que l’autre est un pédophile, elle devient un personnage agissant. Qui plus est, elle réussit à le démasquer et à « sauver » Anastasia. Ainsi, la rupture n’est pas vraiment actionnelle. S’il n’y avait pas eu cette histoire, elle serait restée ce personnage errant, sans but dans la vie.
« [E]rrer pendant des heures dans la ville pour tuer le temps et les calories. » (p.16)
« J’ai posé une question sur les électroménagers, mais personne ne s’est tourné vers moi. Je suis habituée. Je suis invisible, c’est tout. » (p.24)
« J’ai très peu de talent dans le domaine des relations humaines et je n’arrive pas à cultiver les amitiés. » (p.71)
« Pourtant, je n’ai aucune intégrité physique, c’est bizarre ; je n’arrive pas à laisser des traces dans le monde sensible, malgré mon désir contradictoire de vouloir signaler ma présence. » (p.121)
B) Rupture interprétative : La narratrice comprend le monde de façon déficitaire. Elle comprend sans comprendre la façon dont il est impératif de se nourrir, entre autre. Souvent, sa maladie l’empêche de bien saisir ce qui se passe autour d’elle, car elle est obsédée par la nourriture, par des considérations illusoires. Dans un état d’errance constant, elle ne saisit pas tout de suite que l’autre est un pédophile, ou ne comprend pas ce qu’elle doit faire. Dans tous les cas, elle ne s’intéresse pas à cette affaire comme si elle comprenait d’emblée la situation. De plus, il est clair que Mélisse a une compréhension malsaine d’elle-même, de ce qu’elle devrait être. Sa compréhension de son image physique est faussée.
« […] [J]’ai l’impression que mon corps rejette de plus en plus de sensations qui font partie de la vie quotidienne. » (p.12)
« Je regarde mes cuisses s’étaler sur la chaise. Mal à l’aise. J’ai du mal à respirer et j’ai l’impression que mes bras ne sont pas vraiment les miens. » (p.21) « J’ai fini par douter encore de mes perceptions. Il m’arrive parfois de ne pas être capable de distinguer le rêve de la réalité. » (p.39)
« Pendant quelques jours, je me suis sentie détachée de la réalité, encore là-haut avec ces créatures innommables aux visages qui rendent fou, j’étais dans l’incertitude : était-ce arrivé pour vrai ? […] Hier, j’ai oublié le mot « ananas ». Je ne sais pas si c’est la famine ou les médicaments. De plus en plus d’affaires me sortent de la tête, souvent des titres de films, même ceux de mes coups de cœur. » (p.54)
« Quand je me demandais si j’allais leur dévoiler la vraie nature de l’autre, je me mettais à douter de mon propre jugement. Peut-être que j’exagérais encore, que je confondais littérature médiocre et réalité. » (p.90)
« Je ne suis pas une vierge ou une prostituée, pas une femme ou un enfant. Pas une fille ou un garçon, […]. Je ne suis pas obligée de me définir pour les autres. » (p.154)
*Note : dans les deux cas, la rupture est plus violente que passive, comme la plupart des personnages déconnectés que j’ai rencontré jusqu’à présent. La narratrice souffre, ne s’aime pas et n’aime pas les autres.
V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES
Narratrice autodiégétique. Plusieurs références culturelles québécoises (voire montréalaises) allant de la fin du XXe siècle à aujourd’hui. De plus, la famille est ici perçue comme un groupe social tout aussi aliénant que la société elle-même. La narratrice adhère et rejette les ancrages culturels dont elle fait mention.