Auteur : Laurent Mauvignier
Titre : Ceux d'à côté
Éditeur : Minuit
Collection :
Année : 2002
Éditions ultérieures :
Désignation générique : Roman
Cote : 1
“Parce que Claire, sa voisine, lui a raconté ce que c'est de revivre sa propre mort chaque nuit, d'entendre un souffle d'homme derrière soi et de sentir sur son corps son odeur à lui, des semaines après. Et parce que s'approprier l'histoire des autres c'est au moins commencer à vivre un peu, alors Catherine attend, le jour, la nuit, cet homme-là. L'homme qui marche dans la ville et rôde vers la piscine, dans les rues, parfois jusqu'à chez elle.”
D'abord il y a Catherine, celle qui ne vit qu'à travers la vie de ses voisins d'à côté.
Puis il y a un homme, dont on ignore le nom, qui passe toutes ses journées à marcher dans la ville et à fréquenter les mêmes lieux. Au début, c'était par espoir de revoir celle qu'il dit avoir tuée, presque malgré lui. Ensuite, c'était plutôt par habitude et sans qu'il sache vraiment pourquoi. Il finira par croiser et suivre Catherine, mais sans aller à sa rencontre : à elle, il ne fera aucun mal…
le retrait, l'attente, le meurtre, le mal-être intérieur…
Plutôt dur à résumer, ce roman nous fait suivre, en alternance, les pensées des deux personnages (et narrateurs) principaux. Bien que le lecteur soit témoin du mal-être qui habite ces personnages, qui eux, se sentent à part des autres, il parvient mal à comprendre leur intériorité ainsi que les raisons de leurs pensées, actions et affects.
Cela dit, même si Catherine semble elle aussi plutôt déconnectée, le personnage de l'homme est davantage intéressant en ce qui concerne notre problématique, ce pourquoi je me concentrerai sur lui.
Personnellement, ces personnages ne sont pas de mes préférés : d'une part, le personnage féminin est quelque peu ennuyant, d'autre part, entrer dans les pensées du personnage masculin, qui est un meurtrier, me rend plutôt mal à l'aise. En plus, à mon avis, trop d'affects et de pensées contradictoires habitent ce dernier personnage. Je veux dire par là qu'on a un peu l'impression que l'auteur a balancé toutes sortes d'éléments (pas toujours clairs) et que ce trop plein d'éléments rend le personnage plus ou moins cohérent dans son incohérence… Je m'explique peut-être mal… Cela dit, aucun doute, nous voilà en présence d'un personnage déconnecté!
a) Le personnage (masculin) erre sans but, sans intention, sans réels motifs. Il ne se sent pas concerné par le monde. Rien ne l'a jamais intéressé. Par le passé, auprès de ses proches, il faisait semblant de vouloir les mêmes choses que tout le monde pour avoir l'air normal.En fait, il se sent en marge de la société, invisible aux yeux de tous (a du mal à regarder son propre reflet dans le miroir), incapable d'agir pour transformer son existence. Il est tourmenté par son passé dont on connaît très peu de chose, et surtout par l'acte meurtrier qu'il a commis.
“ je voudrais hurler aux gens, au premier venu, tiens, toi, prête-moi ton corps, il vaudra toujours mieux que le mien […] j'aurais au moins le temps de me faire croire que je ne suis pas moi. Peut être que je changerai d'histoire avec, ou de mémoire. […] Mais en attendant il faut continuer avec soi, faire avec.” (p. 45)
IL n'arrive pas à accepter le geste irréparable qu'il a commis, il dit qu'il ne voulait pas faire ça, il a perdu le contrôle de lui-même… Maintenant, il ne trouve aucune paix intérieure et n'a aucun repère identitaire :
“Comme si on était que ce qu'on a fait. Je le dirai, ça, que je ne voulais pas. […] que je ne suis pas comme ils disent à la télé ou dans les journaux quand ils parlent de ceux qui font mal aux autres […].” (p. 49) Ainsi, selon le personnage, il est clair qu'une action n'est pas toujours rationnelle, intentionnelle, mais au contraire, qu'elle peut résulter d'une pulsion, d'un affect, d'une sensation physique même. Qu'il est possible de perdre le contrôle de son propre corps au point d'agir contre son gré.
D'ailleurs, en dehors du fait qu'il aurait voulu avoir l'attention de sa victime, l'aimer et en être aimé, et que celle-ci ne l'avait même pas aperçu, rien n'est dit pour motiver le choix de celle-ci. Ni pour motiver le passage à l'acte. C'est justement ce qui rend l'intériorité du personnage encore plus difficile à saisir : on ne sait pas d'où provient son mal-être. Selon ses dires, il avait pourtant l'air d'être très bien entouré, d'avoir une famille faisant attention à lui… On ne peut nullement se rabattre sur la psychologisation de son geste en disant qu'il émane d'un passé douloureux, d'un traumatisme, etc.
Bref, son action n'a aucune logique, autre que sensible, et ce sensible demeure inexplicable.
La seule piste de compréhension que nous avons est celle-ci : “ Je suis passé du côté de ce qui fait peur pour ne plus être de celui des effrayés.” (p.87) Mais là encore, ça ne nous permet pas de comprendre son intériorité, puisque nous ne savons pas pourquoi il est à ce point effrayé dans la vie.
b) Pas grand-chose à dire du côté de l'interprétation.
Deux narrateurs autodiégétiques qui s'alternent tour à tour.
Voix subjectives, non fiables.
Roman faiblement configuré, sans résolution; fin ouverte.