Différences

Ci-dessous, les différences entre deux révisions de la page.

--- livrenum:critique_de_deprise [2017/03/12 17:04] – charles
+++ livrenum:critique_de_deprise [2018/02/15 13:57] (Version actuelle) – modification externe 127.0.0.1
@@ Ligne 1: / Ligne 1: @@
-==== Critique de "Déprise" ====
 {{:livrenum:bou.jpg?direct&200 |{{:livrenum:bou.jpg?direct&100 |{{:livrenum:bou.jpg?direct&200|}} //Déprise//
@@ Ligne 16: / Ligne 15: @@
 __Prix__ : New Media Writing Prize 2011 Winner
-__Critiques__ (1) : {{:livrenum:myavatar_1_002_.png?direct&100 |{{:livrenum:myavatar_1_002_.png?direct&100|}} **Sommes-nous maîtres de notre destin?**
+__Critique__ : {{:livrenum:myavatar_1_002_.png?direct&100 |{{:livrenum:myavatar_1_002_.png?direct&100|}} **Sommes-nous maîtres de notre destin?**
-La fiction web //Déprise// de Serge Bouchardon et de Vincent Volckaert permet de remettre en perspective ce questionnement existentiel en le déplaçant au niveau des actions. En effet, avons-nous le contrôle sur nos actes?
+La fiction web //Déprise// de Serge Bouchardon et de Vincent Volckaert permet de remettre en perspective ce questionnement existentiel en le déplaçant au niveau des actions. En effet, avons-nous le contrôle sur nos actes? Pouvons-nous délibérément choisir d’agir de telle manière au lieu d’une autre? À l’instar du narrateur de l’œuvre, le lecteur est amené à reconsidérer son libre arbitre et l’étendue de son agentivité. En ce sens, dès le départ, l’œuvre le déroute, le sort de sa zone de confort et le place en position inconnue. Sans instructions ni flèches apparentes pour changer de page, le lecteur est laissé à lui-même lorsqu’il parcourt //Déprise//, et c’est voulu. Il n’y a pas de codes, de normes comme le fait de cliquer sur un mot ou de déplacer son curseur sur une phrase, qui perdurent et qui garantissent du même coup une logique dans les manipulations du support numérique. C’est précisément dans cette apparence d’incohérence que l’œuvre prend tout son sens.
-...
+La première occurrence d’une manipulation inattendue de l’œuvre est lorsque le lecteur voit son curseur, signe de son emprise sur le texte et sa continuation, disparaître. Cette disparation n’est pas aléatoire, mais est bel et bien en lien direct avec l’histoire racontée. Au même moment que le lecteur perd de vue son curseur, la phrase qui apparaît à l’écran est : « Tout s’échappe. » Simple coïncidence ? Je ne crois pas. C’est à l’évidence un nouveau mode de lecture qui s’initie, celui où le lecteur n’a plus de réelle emprise sur ce qui se passe. L’acte de lecture devient ici un jeu de décodage, où le support doit sans cesse être réapprivoisé. //Déprise//, et là réside sa plus grande force, nous amène à réfléchir à propos du contrôle que nous avons sur notre lecture (l’avons-nous déjà eu?), mais aussi sur nos vies, et ce, en nous le faisant ressentir autant par le récit, que par notre manipulation du récit. Comment réagit-on face à une souris qui ne nous obéit plus, face à un clavier qui n’en fait qu’à sa tête? Nous nous repositionnons : et si, tout ça, n’était qu’un leurre? Et si nous étions fondamentalement prédestinés et donc manipulés par une force quelconque?
+Dans l’hypothèse où la lecture en contexte numérique peut être définie en termes d’une manipulation physique du lecteur sur un support, il ne faut pas oublier la manifestation de cette manipulation à l’écran, ce qui constitue grosso modo la définition de l’interactivité où le « média est non plus simplement support, mais interface et outil, servant à traduire nos actions //premières// en actions //secondes//  ». Mais il arrive que cette réponse de l’ordinateur ne corresponde pas à nos attentes et appréhensions. C’est que le programme que nous pensions maîtriser se dérobe à notre bon vouloir et qu’il en vient à nous manipuler. C’est pourquoi ce que font implicitement Serge Bouchardon et Vincent Volckaert à travers leur création, c’est de nous mettre en garde. Ils nous forcent à prendre conscience ou à nous rappeler notre impuissance : nous sommes devant quelque chose de prédéterminé, de préprogrammé. Plutôt que de nous proposer une histoire où nous, lecteurs, serions les héros qui décideraient de la suite des événements dans une liberté trompeuse, //Déprise// nous rappelle à travers des figures de manipulation, la contrainte fondamentale de tout système informatique, et cela fonctionne. Même si l’œuvre peut nous déranger et nous contrarier, elle n’est pas conçue //contre// le lecteur, mais bien //pour// lui, afin de l’empêcher de tomber dans le piège d’une agentivité illusoire.
+L’utilisation d’un fond d’écran simple, majoritairement composé de noir et de blanc, nous rappelle le côté insondable de l’œuvre, cette sensation de ne pas tout connaître, de ne pas tout maîtriser. De plus, il est impossible pour le lecteur de revenir en arrière, la lecture ne peut se faire que d’une seule poussée, d’un seul souffle. Ces caractéristiques formelles corroborent à illustrer à quel point la thématique de la perte de contrôle est non seulement ressentie à l’intérieur du monde diégétique (par le personnage), mais aussi à l’extérieur de ce dernier (par le lecteur). La mise en phase est alors plus profonde, incisive, inévitable. Et si, par cette manière de faire, le dispositif numérique pourrait s’extirper de sa réputation d’être un médium froid, insensible? Et s’il nous permettait au contraire d’éprouver davantage?
+**Verdict** : //Déprise//, et là réside sa plus grande force, nous amène à réfléchir à propos du contrôle que nous avons sur notre lecture (l’avons-nous déjà eu?), mais aussi sur nos vies et ce, en nous le faisant ressentir autant par le récit, que par notre manipulation du récit.
+**Note** : 9
+(critique rédigée par Charles-Antoine Fugère)