====== Stefan Zweig par Laurent Seksik ====== ===== INFORMATIONS PARATEXTUELLES ===== Auteur : Laurent Seksik Titre : Les derniers jours de Stefan Zweig Lieu : Paris Édition : Flammarion Année : 2010 Pages : 188 Cote : Appartient au projet Biographé : Stefan Zweig Pays du biographe : France Pays du biographé : Autriche-Hongrie Désignation générique : roman Quatrième de couverture : Résumé = « Le 22 février 1942, exilé à Pétropolis, Stefan Zweig met fin à ses jours avec sa femme, Lotte. Le geste désespéré du grand humaniste n’a cessé, depuis, de fasciner et d’émouvoir. Mêlant le réel et la fiction, ce roman restitue les six derniers mois d’une vie, de la nostalgie des fastes de Vienne à l’appel des ténèbres. Après la fuite d’Autriche, après l’Angleterre et les États-Unis, le couple croit fouler au Brésil une terre d’avenir. Mais l’épouvante de la guerre emportera les deux êtres dans la tourmente – Lotte, éprise jusqu’au sacrifice ultime, et Zweig, inconsolable témoin, vagabond de l’absolu. » Préface : Aucune Autres informations : 1- Demi- jaquette de couverture, une citation de Zweig, tirée d’une lettre à Manfred Altmann du 22 février 1942 : « Nous avons décidé, unis dans l’amour, de ne pas nous quitter. » 2- Petite « bibliographie sélective des documents concernés par l’écriture de cette fiction » à la fin, présentée par les mots suivants : « Ce roman repose sur des faits réels et des événements historiques recoupés dans les archives de l’époque, témoignages et documents. Les propos et réflexions de certains personnages se veulent respectueux de l’esprit dans lesquels ils ont été tenus dans les correspondances, les journaux, les articles et les livres des protagonistes. » (2010 : 191) Textes critiques sur l’œuvre et/ou l’auteur : sans objet pour l’instant. SYNOPSIS Résumé ou structure de l’œuvre : Le roman est divisé en six parties qui forment de longs chapitres : « septembre », « octobre », etc. jusqu’à « février ». Il met ainsi en relief l’importance du temps, les « six » mois de l’écrivain et de sa femme au Brésil (Pétropolis) jusqu’à leur suicide. Les titres des chapitres fonctionnent donc comme une sorte de compte à rebours, et ce roman se construit en quelque sorte sur sa fin, dans la mesure où il ne sert qu’à mettre en place les éléments y conduisant, mais étant également un moment propice pour un retour sur la vie de l’auteur, dont les grandes réalisations contrastent avec la fin difficile qui fut la sienne. Sinon, la trame narrative est plutôt mince; il s’agit surtout de recréer une ambiance. La narration alterne par ailleurs entre narration du présent et narration du passé, faisant une large place aux réflexions des personnages. Ce roman en est un du crépuscule et de la nostalgie. Dès les premières pages, il est dit : « La nuit était tombée pour toujours. » (2010 : 10) C’est aussi un roman de l’éternel exil. Topoï : la guerre, le nazisme, l’exil, la nostalgie, la mort, le suicide, l’écriture. Rapports auteur-narrateur-personnage : Narration extradiégétique à focalisation zéro. Le narrateur accède aux pensées des personnages, mais en transférant tour à tour la focalisation de manière à donner les points de vue de chacun. Ce passage ne se fait pas au cours d’une même scène toutefois, la focalisation étant longtemps maintenue sur le même personnage. Ce sont bien sûr Zweig et Lotte qui sont au cœur du récit, mais, à l’occasion, le narrateur donne accès aux autres pensées des personnages. Par contre, ceux-ci s’expriment essentiellement sous forme de longs monologues (quelques pages) où la parole de Stefan et de Charlotte n’a pas de prise. ===== POSTURES DU BIOGRAPHE ===== Position du biographe et du biographé dans l’institution littéraire et, s’il y a lieu, transfert de capital symbolique : Zweig fait bien sûr partie des plus grands auteurs reconnus mondialement. Seksik, écrivain et médecin, est évidemment moins célèbre! Il a publié trois romans et une biographie d’Einstein chez Gallimard, ce qui n’est pas si mal… Les causes profondes de l’écriture sur Zweig ne sont pas immédiatement perceptibles dans la mesure où Seksik se fait très discret dans ce roman (pas de paratexte ou d’incursion dans la trame romanesque). On imagine toutefois sans peine que, comme pour toute biographie, il y a des affinités électives entre les deux écrivains… On pourra lire ou écouter les entrevues de Seksik à ce sujet. Entre autres : « Q : Pourquoi Zweig ? R : Cela remonte à loin. En fait cela m’apparaît comme une évidence désormais. J’ai découvert Zweig il y a presque un quart de siècle, j’avais alors vingt ans, j’étais étudiant en médecine et l’une de mes amies m’avait offert « Le Monde d’hier ». Et à la lecture de cette œuvre, quelque chose en moi a basculé. J’ai eu le sentiment de trouver mon maître en littérature. Cette justesse dans la nostalgie sans jamais tomber dans le pathos. Zweig reste dans la subtilité, le monde s’effondre mais l’écriture est légère. » http://livres.blogs.paris-normandie.fr/2010/01/06/%C2%AB-les-derniers-jours-de-stefan-zweig-%C2%BB-incontournable/ Quant au transfert de capital, ça reste à évaluer dans un proche avenir, Seksik étant un jeune auteur mais dont la notoriété semble déjà établie grâce à la qualité de son œuvre. Place de la biographie dans l’œuvre de l’auteur : Une biographie d’Einstein. Dans une entrevue, l’auteur mentionne également que, dans son premier livre, Mauvaises pensées, il « envoyait » son personnage se faire soigner chez Freud et que là-bas il croisait Zweig. Thématisation de la biographie : Non. Il est intéressant toutefois de mentionner que Zweig était biographe et que Seksik insiste à plusieurs reprises sur cette particularité : « Très tôt, il avait senti le vent tourner, le vent mauvais soufflant d’Allemagne. La rage dans les discours, la brutalité des actes annonçaient l’Apocalypse à qui avait les yeux ouverts, qui prêtait un sens aux mots. Il appartenait à une race en voie de perdition : l’“Homo austrico-judaïcus”. Il avait l’instinct de ces choses, il connaissait bien l’Histoire. Il avait écrit sur toutes les époques, sur Marie Stuart et Marie-Antoinette, Fouché et Bonaparte, Calvin et Érasme. À l’aune des tragédies du passé, il parvenait à augurer des drames en devenir. Cette guerre-là n’aurait rien de commun avec les précédentes. » (2010 : 15-16) Au Brésil, il pourra, espère-t-il, terminer l’écriture de son Balzac : « Ici, il se sentait prêt. Cette biographie de Balzac commencée à Londres devait être son gros œuvre. Quelque chose d’important, de volumineux, quelque chose qui ferait taire les critiques sur son style – ses amis, Klaus Mann, Ernst Weiss, le regretté Ernst, ne l’avaient jamais ménagé, le traitaient de plagiaire, de dilettante. Son Balzac imposerait le respect, serait plus fouillé que Marie-Antoinette, plus ambitieux que Marie Stuart. Le livre témoignerait de sa force de travail, de son inébranlable volonté. Il ferait oublier son médiocre, son risible Stendhal. Son Balzac serait son chef-d’œuvre. L’écrivain était son modèle et son maître. » (2010 : 26) Mais il éprouve de la difficulté… se tourne vers une autre figure à biographer : « Puisqu’il ne parvenait pas à terminer son Balzac – Balzac était au-dessus de ses forces – , pourquoi ne pas commencer une biographie de Montaigne? Cela lui donnerait une raison de se lever chaque matin, aller retrouver son frère en destinée […]. Oui, il partageait avec Montaigne une sorte de fraternité du destin. Et il avait besoin, pour écrire ses biographies, d’une forte résonance, d’une forme d’identification – “Vous pratiquez le transfert à merveille”, avait complimenté Freud. Parler d’un autre était une façon de se raconter. Il avait écrit une vingtaine d’essais, mais il ne s’éprouvait pas comme un historien, il ne revendiquait pas le titre de biographe. Il était écrivain, voilà tout. La vérité des faits était secondaire, le travail sur l’œuvre elle-même ne le préoccupait que rarement. Jules Romain avait raison d’ironiser sur son absence de détachement, les accents d’autoconfession qui traversaient ses biographies, les approximations qui truffaient ses écrits – ah, son Stendhal! Seul l’individu l’intéressait, pénétrer sa psychologie, percer son secret et, plutôt que de se faire le savant analyste de son œuvre, plonger dans les tréfonds de son âme, élucider le mystère de l’homme. Oui, il allait se mettre à la rédaction d’un Montaigne. Peut-être, au fil de l’écriture, apprendrait-il de son sujet comment préserver sa raison? Écrire sur Montaigne, comprendre comment garder son humanité intacte au contact de la barbarie. » (2010 : 88) Affiliation à une culture d’élection et apports interculturels : Il y a sans doute des liens à faire entre Seksik et son intérêt pour les figures de Zweig et d’Einstein. Il semble s’intéresser à cette communauté d’intellectuels juifs qui ont vécu la guerre. ===== FIGURES D’ÉCRIVAINS ===== ==== I- LES SCHÉMAS ARGUMENTATIFS ==== Convocation d’un discours critique? Présence d’un argumentaire expliquant, justifiant ou contestant les rapports vie-œuvre? Aucun discours critique n’est convoqué. Le regard sur l’œuvre passe directement par les regards des personnages, dont Zweig lui-même sur son œuvre. Par exemple, 107-109, où il juge les mécanismes de son écriture simpliste. ==== II- LES STRATÉGIES DIÉGÉTIQUES ==== Identifier le « dispositif structurant » (s’agit-il d’une biographie imaginaire d’un écrivain réel, d’un texte mettant en scène un écrivain réel dans une fiction ou d’un texte mettant en scène un écrivain fictif?) et les répercussions du choix du « genre » sur la façon de traiter le rapport vie-œuvre. Roman mettant en scène un écrivain réel. La question des rapports vie-œuvre s’en trouve alors imbriquée à même la trame narrative (voir la partie sur « les modèles explicatifs ») Mise en scène de l’écrivain : comment est-il mis en scène en tant qu’écrivain (par exemple : le voit-on en train d’écrire?) Zweig est mis en scène en tant qu’exilé, mais ses nombreux monologues intérieurs permettent de jeter un regard subjectif sur sa propre œuvre, tantôt de façon négative, tantôt de façon positive : « [S]es propres livres […] faisaient sa fierté parce qu’ils étaient les seuls fruits de son existence, ses fils uniques en quelque sorte, lui qui n’aurait jamais d’enfant. » (2010 : 21) Son travail d’écriture est important, surtout que, en six mois, il écrit beaucoup; son autobiographie, son Balzac et son Montaigne, et son Brésil, terre d’avenir. On le voit se débattre avec les affres de l’écriture. Encore une fois, je signale l’importance que prend ici l’écriture biographique de Zweig; en cette période de troubles, le roman n’a plus court. On écrit sur soi ou sur les autres, pour raconter des mondes qui ne sont plus et tenter de trouver, par delà les âges, des frères spirituels. Mise en scène de l’œuvre : l’œuvre est-elle convoquée? Si oui, sert-elle de support à l’ « explication » de la vie? Retrouve-t-on des échos thématiques ou stylistiques de l’œuvre de l’écrivain dans la biographie? À part les biographies qu’il est en train d’écrire, les autres œuvres de Zweig sont peu convoquées, sinon comme un tout. En ce qui concerne les échos thématiques, il y a certainement une parenté entre la mort tragique de l’auteur et celle de ses personnages. La vie vient-elle expliquer l’œuvre ou, inversement, l’œuvre vient-elle expliquer la vie? Pas directement. L’œuvre elle-même n’est convoquée qu’à de très rares reprises (sauf en ce qui concerne l’œuvre biographique) et, lorsqu’elle l’est, c’est pour souligner le décalage entre la vie et l’œuvre. À propos de ses nouvelles : « Tout était irrémédiablement avide et plein d’ardeur – l’inverse de sa propre nature, en somme. Son œuvre allumait une succession d’incendies dans les cœurs, ses héros se jetaient dans les flammes – tandis que lui brûlait de l’intérieur. » (2010 : 108) ==== III- LES MODÈLES EXPLICATIFS ==== Le biographe fait-il le choix d’un modèle explicatif (sociologie, psychanalyse, histoire) qui permet de réactualiser le rapport entre vie et œuvre, de l’observer sous un certain angle et, dans une certaine mesure, de poser la question des déterminations (ex : telle œuvre n’aurait pu avoir lieu que dans tel contexte social, historique, psychique, etc.)? Il va sans dire que ce rapport est ici essentiel; l’œuvre et la vie de Zweig ont été freinées par la machine nazie qui a forcé l’écrivain à l’exil. « Son existence reposait sur les étagères de la bibliothèque. Sa vie était entre deux planches. Il ne restait rien d’autre désormais des livres de la maison de Salzbourg. Les êtres qui les avaient écrits, ceux qui vivaient encore, étaient dispersés de par le monde, fuyaient où ils pouvaient, traqués et misérables, sans source de revenus et vides d’inspiration, et nul ne songeait plus à raconter d’histoires. Qui pouvait entreprendre un roman en ces temps, tisser une trame plus forte et dramatique que celle qui s’écrivait? Hitler était l’auteur de millions d’insurpassables tragédies. La littérature avait trouvé son maître. Il songea à la tournure risible que prenait son destin d’écrivain. Il n’écrivait plus que pour être traduit […]. Depuis bientôt une décennie, les maisons d’édition allemandes ne publiaient plus d’auteurs juifs […]. Il écrivait la langue du peuple dont il était banni. Est-on encore écrivain quand on n’est plus lu dans sa langue? Est-on encore en vie lorsqu’on n’écrit plus de son vivant? » (2010 : 22-23) [Voir la suite où on fait en quelque sorte sa « biographie ».] Le monde dans lequel il vit est désormais trop barbare pour donner lieu à une œuvre : « Le monde qu’il avait connu était en ruines; les êtres qu’il avait chéris étaient morts; leur mémoire, livrée au saccage. Il s’était voulu le témoin, le biographe des riches heures de l’humanité; il ne parvenait pas à se faire le scribe d’une époque barbare. Sa mémoire occupait trop d’espace, la peur prenait trop l’ascendant. La nostalgie était l’unique moteur de son écriture. Il n’écrivait qu’au passé. » (2010 : 41) En d’autres termes, il n’y a plus d’œuvre possible dans ces circonstances terribles et Zweig n’arrive plus à écrire (opposition très nette entre Salzbourg, la ville du temps heureux, et Pétropolis, la ville de l’exil où l’écriture n’est plus possible) : « Il avait pitié de lui-même. Il se souvenait du temps où, sans un effort, un flot intarissable s’écoulait de son esprit. Des mondes s’édifiaient. Des êtres prenaient vie. Avec quelle facilité il sondait leur âme! Il voyait dans leur passé, il lisait leur avenir. Il s’asseyait à son bureau, prenait la plume et voilà, le miracle opérait sous ses yeux. Oh, cet instant, à Salzbourg, lorsque l’aube le surprenait après une nuit de travail! Aujourd’hui, son esprit était sec, son encrier tari. Les mots se dérobaient, ses propres personnages le fuyaient. Le miracle était terminé. Dans son monde intérieur régnait une atmosphère de fin du monde. Aucune âme ne survivait plus. Nul enfant ne naissait, aucune femme ne souriait plus. Le cœur des hommes s’était arrêté. Son esprit était à l’image du monde des Juifs. Une terre sous la cendre. » (2010 : 123-124) De même, Zweig devient porteur d’une mémoire particulière, celle d’un monde qui n’est plus et qu’il est seul à pouvoir restituer. Cela est symbolisé par son autobiographie intitulée Le Monde d’hier, souvenirs d’un Européen (sous forme de manuscrit ici) : « Elle [Lotte] connaissait l’importance de ce manuscrit. Elle comprenait sa crainte de le perdre. En quelque sorte, c’était sa vie qu’il tenait entre ses mains. Le livre faisait le récit d’un monde qui n’existait plus ailleurs que dans la mémoire de quelques-uns. Ce monde avait été anéanti. Qui d’autre que lui serait capable de retracer cette époque défunte? Qui aurait le génie de faire revivre ces splendeurs? Il était le dernier, il n’y avait que lui pour transmettre aux générations futures cette lumière. Ce livre était une sorte de vestige. » (2010 : 63) Je l’ai déjà souligné, dans ce contexte historique particulier, le roman n’est plus possibles. Zweig rencontre d’ailleurs Bernanos, lui aussi exilé au Brésil, qui discute de cela mais refuse de se laisser décourager. Il dit : « Attention, ne croyez-pas que cela a été facile pour moi de mettre ma plume au service de la France libre. Je ne suis pas un pamphlétaire. Dieu sait le chagrin que j’ai à ne plus écrire de romans. Mais, entre nous, est-il possible en ces jours sombres d’écrire des romans? La lumière qui éclairait notre œuvre pénètre-t-elle encore nos cœurs? Non, l’heure n’est plus au romanesque. Mais si nous remplissons notre devoir, ce temps-là reviendra. Il faut cesser d’être triste. Notre désespoir serait leur victoire. » (2010 : 148) Mais Zweig ne partage pas cet optimisme. Il est le symbole d’une époque disparue et, à ce titre, il est condamné à disparaître lui aussi. Il réplique ainsi à Bernanos qu’il envie le courage des combattants comme lui et Jules Romain puisque « l’Humanité avait besoin d’hommes de leur trempe », et ajoute : « Mais des gens tels que lui? Il n’était qu’un poids mort. C’était peut-être à raison qu’avait été balayé tout ce qu’il représentait, tout ce qu’il chérissait. Il était un symbole voué à disparaître et c’était mieux qu’il sombre. Peut-être la victoire était-elle à ce prix? Il n’avait pas sa place dans le monde nouveau qui émergeait du saccage du présent. Il n’avait plus plaisir à écrire, plus d’entrain à converser. Faire entendre sa voix? Il n’aimait plus que le silence. » (2010 : 150-151) Suite à cet entretien, Zweig réfléchit sur son œuvre, elle-même éloge de la défaite : « En vérité, son œuvre n’exaltait pas un message de pacifisme, mais faisait l’éloge de la défaite. Oui, le vaincu à ses yeux était une figure sublime, celui qui emportait la victoire morale. La race des humiliés était supérieure à la race des seigneurs. Comment transmettre ce message? On attendait de lui une voix libératrice, lancée du haut des marches de la gloire… » (2010 : 151-152) ==== IV- LES DÉTERMINATIONS ÉTHIQUES ==== Observe-t-on une volonté de réhabilitation, de valorisation et/ou de démythification du biographé mis en scène et/ou de son œuvre? Si oui, sur quelles bases (engagement politique, moralité douteuse, ambition démesurée, etc.) dresse-t-on la vie contre l’œuvre ou inversement (l’un justifiant, condamnant ou sauvant l’autre)? Il me semble difficile de statuer sur ce point. Seksik semble avoir de l’empathie pour son personnage, mais, au final, le roman en lui-même cherche davantage à comprendre le cheminement de Zweig jusqu’au suicide sans porter de jugements. C’est peut-être en ce sens que le geste, sans être cautionné, n’apparaît pas tragique à l’intérieur du roman. Mais le geste demeure fort et jette une certaine ombre sur l’œuvre. C’est par la conscience de Zweig que ces jugements sont transmis : « Mais son geste jettera l’opprobre sur son nom pour l’éternité. Inutile d’être grand clerc pour imaginer ce qu’on dira de lui. Il a abandonné les êtres dans la douleur, commis un acte de désertion, alors que l’heure est au combat. Il s’est comporté en lâche alors qu’on attendait de lui qu’il se montre exemplaire, héroïque. Il sait qu’on l’accusera de tous les maux. On s’indignera. Au mieux, on montrera de l’incompréhension. Il imagine la morgue de Thomas Mann, la fureur de Bernanos, la tristesse de Jules Romains. Mais le soulagement qui s’ouvre dans son cœur l’emporte sur la honte, balaie les scrupules. Il a fini de souffrir. » (2010 : 182) Quoiqu’il en soit, on peut peut-être parler d’une forme de réhabilitation. Autres commentaires : Lecteur/lectrice : Manon Auger