====== ZIMMERMANN, Laurent (dir.) (2005) : l’Aujourd’hui du roman, Nantes, Éditions Cécile Defaut. ====== Ce volume réunit les contributions de 11 écrivains contemporains autour de la question du roman. Si Laurent Zimmermann, dans son avant-propos, parle d’un savant dosage entre réflexions sur le roman en général et sur les pratiques d’écriture en particulier, on constate de facto un déséquilibre. La plupart des auteurs semblent simplement répondre à la question : « Parlez-nous de votre pratique du roman ». La réflexion générale sur le roman est rare, de plus en plus rare à mesure que l’on progresse dans le volume. En effet, les premières contributions – l’avant-propos de Zimmermann, puis les textes d’Éric Chevillard, Philippe Forest et Jean-Louis Doumet – sont les plus susceptibles de nous intéresser dans le cadre de notre projet. Les autres sont plus personnels et souvent anecdotiques. Je résume néanmoins les contributions une à une, dans leurs grandes lignes. //Laurent Zimmermann, « Avant-propos »// (7-12) C’est ici que Zimmermann parle de l’équilibre entre réflexion générale et pratique singulière : « Le lecteur trouvera donc dans cet Aujourd’hui du roman des récits d’itinéraires exposés dans leur singularité – dans la singularité aussi de la forme choisie par chaque auteur –, mais également un ensemble de propositions sur le roman qui constituent, réunies, non pas du tout la doctrine d’une tendance ou d’une école, mais comme l’éventail des questions majeures qu’il est possible de se poser, aujourd’hui, à propos du roman. » (7) Malgré la diversité des propositions, Zimmermann identifie deux pôles de réflexion majeurs selon lui : 1. le rapport réel/invention, et 2. l’impératif de renouvellement romanesque. 1. « Le roman doit-il être réaliste ? Ou bien doit-il donner accès à une autre dimension, celle de l’imaginaire ? » (8) L’auteur souligne la contribution de Chevillard et son refus du réalisme romanesque (cf. infra). « Ce refus, toutefois, ne mène pas, avec cette deuxième proposition, à se détourner du réel, mais plutôt à chercher les moyens d’affronter le réel dans sa version déchirante, le réel identifié à l’impossible, à ce dont nous sommes toujours tentés de nous détourner, et que le roman, précisément, a pour tâche de nous présenter. » (9) 2. L’auteur demande ensuite ce qui fait du roman un roman. Il propose cet axiome : « qu’il ne soit pas immédiatement identifiable comme tel » (9). Le roman, selon Zimmermann, se renouvelle en se niant, en quelque sorte. « De ce point de vue, le mot « roman » pourrait désigner deux types de textes très différents : ceux qui reconduisent une attente déjà formulée, et ceux qui cherchent à, selon le mot d’Éric Chevillard, “dévoyer” le genre dans lequel ils s’inscrivent. » (10) //Éric Chevillard, « Portrait craché du romancier en administrateur des affaires courantes »// (13-18) Avec l’humour qu’on lui connaît, Chevillard parle de la lecture du « bon vieux roman » (13), lecture confortable et bourgeoise, et avance que tout roman est, au fond, un « bon vieux roman ». Pour lui, le roman est un mécanisme, une horlogerie, une sorte de miniature du monde, mimétique et réaliste. « Le roman est réaliste par nature parce qu’il obéit au principe de réalité. On y raconte une histoire, avec un début (naissance) et un dénouement (mort), on y décrit une trajectoire nette. Tout est verrouillé. Ce n’est pas un hasard si le roman est devenu la forme officielle de la littérature. Quel que soit son contenu, si sulfureux soit-il, il ne saurait rien remettre en cause puisqu’il est un petit module de l’ensemble, un modèle réduit plus ou moins stylisé mais opérationnel et bien huilé du monde que l’homme s’est inventé (en se plaçant naïvement au centre). » (16) Chevillard continue sa critique en montrant le roman comme un genre domestiqué, dépourvu d’animaux (on sait comment l’auteur aime les animaux), raffolant du psychodrame familial et du mélodrame amoureux (17). En somme, le roman pour Chevillard ne dérange rien du monde, « étouffe toute velléité de révolte » (18). //Philippe Forest, « Reprendre et revenir »// (19-34) Forest se livre à une réflexion assez impressionniste sur le thème de la « reprise » à partir du roman homonyme d’Alain Robbe-Grillet. Selon lui, l’enjeu littéraire de la reprise se situe dans la notion de « réel ». Il s’inscrit contre l’enfermement du réel dans l’évidence naturaliste, d’une part, et dans le simulacre postmoderne, d’autre part. Il veut repenser le réalisme comme « réélisme » (sic). Il reprend les catégories du deuil, de l’impossible, du négatif, de la revenance – à partir de la pensée de Georges Bataille, en particulier – de manière à promouvoir sa conception anti-thérapeutique, proprement pathétique (il défend son usage du terme) de l’art et de la littérature. Forest fait un usage un peu passe-partout du terme de « reprise », pour en venir finalement à défendre le pathos et la revenance contre l’autofiction contemporaine (30). //Jean-Louis Baudry, « À l’origine, roman »// (35-59) Baudry propose une longue réflexion très personnelle et très peu théorique sur sa pratique du roman, à partir de souvenirs originels liés à la mère et à certaines sensations. L’auteur soutient entre autres que le roman est dicté par l’idée inconsciente d’un destinataire (39), d’une adresse. Il parle aussi de l’écriture comme d’une solitude, comme d’une pratique qui s’exerce les yeux fermés, sous la forme d’un dialogue intérieur (50). Enfin, suivant la psychanalyse il allègue qu’on écrit des romans pour recréer une de ces scènes d’enfance qu’il a décrites au début de son texte. //Christian Doumet, « l’Initiale (trois remarques) »// (61-71) Réflexion sur le nom et la singularité, peu pertinente pour nous. //Yannick Haenel, « la Main célibataire trace des flammes dans la nuit »// (73-85) Réflexion très inspirée par Georges Bataille et sa notion de « jouissance ». Pour Haenel, la solitude de l’écriture devient phrases, corps de phrases, jouissance (75). L’expérience romanesque est expérience du vide, du vertige, son geste est sexuel et politique (etc., etc.). //Tiphaine Samoyault, « D’une pensée sans savoir : le roman ou l’autre du savoir »// (87-99) Réflexion de meilleure tenue. Samoyault commence par définir l’écriture romanesque comme le moment d’une pensée sans savoir (88). Elle pratique ensuite une première démarcation générique entre la fiction et l’essai, qu’elle définit comme « deux ordres de la pensée » (89). À partir de Barthes et Proust, elle oppose la rapidité de l’écriture fictionnelle à la lenteur de l’écriture réflexive, essayistique. L’essai porte un poids : le poids de la pensée de l’autre, dont la fiction, fait d’une singularité sans entraves, est délestée. Le roman ne se laisse pas enfermer ; il « excède » le savoir, il s’excède lui-même en tant que genre. On sait que ce concept d’« excès » est important dans la pensée de Samoyault, auteure d’Excès du roman. Pour la théoricienne, l’histoire du roman est l’histoire de déformations imposées au genre du roman. Elle ajoute que le roman est une pratique, en opposition à la théorie, et qu’il a pour fonction de créer une « image », un « faire voir ». //Christine Montabetti, « Pourvu qu’il y ait un petit coin de vue avec arbres »// (101-128) Réflexion très peu originale, qui parle de fantômes et de chaussettes, et de la nécessité d’écrire dans une pièce avec vue sur des arbres. //Philippe Vilain, « Écrire le roman vécu »// (129-149) Ce texte constitue en fait la transcription d’un entretien. Le fil de la pensée de l’auteur, c’est l’idée d’une diminution, d’une minimisation, presque d’un effacement de soi dans le roman, qui conduirait à une réduction du format textuel même (ses romans tendraient vers la forme brève). On peut douter un peu de ce discours sur l’effacement de soi chez un auteur qui se réclame de l’autofiction (enfin bon…). Dans la deuxième moitié de l’entretien, Vilain parle justement du rapport réel/fiction, en disant que pour lui la fiction précède toujours le réel. Il prétend enfin que l’autofiction lui permet de se soustraire au romanesque, de diminuer, encore, la présence de l’auteur et du roman. //Marie-Magdeleine Lessana, « Comme arrivent les saisons »// (151-154) Réflexion extrêmement courte, disproportionnée. Aussi mince sur le fond. //Olivia Rosenthal, « Science fiction »// (155-166) Pour cette auteure de SF, écrire, c’est voyager à l’intérieur : à l’intérieur d’un monde, d’un personnage, d’un organisme. C’est explorer la « machine pensante » (160) de l’homme. C’est une expansion, une colonisation de l’esprit (163). //Éric Laurent, « le Roman n’a rien à dire sur le monde »// (167-171) Il s’agit encore d’une transcription d’entretien, comme dans le cas de Philippe Vilain. Les idées fortes sont rares, à part peut-être celle-ci, reprise dans le titre : « Pour être sincère, j’estime n’avoir strictement rien à dire sur le monde. Il n’est aucun sujet que j’aborde qui ne soit avant tout prétexte à un tour de force formel. » (170)