Auteur : David Lodge
Titre : A Man of Parts. A Novel
Lieu : London
Édition : Harvill Secker
Collection : -
Année : 2011
Pages : 565
Biographé : H.G. Wells
Pays du biographe : Angleterre
Pays du biographé : Angleterre
Désignation générique : Roman
Quatrième de couverture : La quatrième de couverture contient trois extraits de critiques élogieuses d’œuvres précédentes de l’auteur (Author, Author, Deaf Sentence et Thinks…). La présentation de l’œuvre se trouve quant à elle sur le premier rabat. On y retrouve une brève mise en contexte de la situation initiale de l’œuvre : un H.G. Wells vieilli et malade,
Préface : Non.
Autres informations : L’auteur consacre cinq pages, à la fin de l’ouvrage, à énumérer les innombrables sources qui ont été utilisées pour produire le roman : ouvrages de Wells et de ses proches, correspondances, biographies, etc. Il écrit : « Quotations from letters are very useful in novel of this kind because, as well as revealing the personality and motivation of the characters, they provide evidence to the reader of the factual authenticity of the narrative. There were a few occasions however when I felt obligated to compose fictional letters or fragments of them, either because the originals were unobtainable, or because it seemed the most plausible means for information to be passed from one person to another. All have some basis in the biographical source material […]. » (2011 : 564) L’auteur fait ensuite la liste des sept lettres qui sont fictives.
Textes critiques sur l’œuvre et/ou l’auteur :
Partie 1 : Chapitre 1 (p. 3-43): Le premier chapitre de l’œuvre se déroule à Londres en 1944, alors que la ville est bombardée par les Allemands. H.G. Wells, âgé et malade, demeure reclus dans sa demeure de Regent’s Park. Autour de lui gravitent ses trois fils, Gip et Frank, issus de son deuxième mariage avec Jane, et Anthony, fils naturel né de sa relation avec Rebecca West. Le médecin de Wells apprend à ses fils que celui-ci est atteint d’un cancer et qu’il lui reste peu de temps à vivre. Contre l’avis de Rebecca, qui ne fait pourtant plus partie de la vie de l’écrivain, les fils décident de révéler au père la gravité de son état. Wells se remémore sa carrière littéraire et ses relations avec les femmes, notamment par l’entremise d’entretiens avec lui-même, que son infirmière, perplexe, l’entend marmonner. Il est également question de la crise conjugale que traverse Anthony, qui souhaite quitter sa femme Kitty pour sa jeune maîtresse, Jean, mais sa relation avec elle prend toutefois fin lorsque celle-ci apprend que Wells a l’intention de donner une partie de son héritage à Kitty.
Chapitre 2 (p. 44-61) : Dans ce chapitre, sous forme d’entretien, il est question des origines modestes de Wells, qui fut élevé dans un relatif dénuement. Nous apprenons également comment le jeune homme a pu échapper à la carrière de drapier à laquelle le destinait sa mère pour plutôt se diriger vers l’enseignement. Il est enfin question de l’affiliation de Wells à la Fabian Society, une organisation politique qui partageait certaines de ses vues quant au progrès social, mais avec laquelle il finira par se brouiller notamment à cause de désaccords concernant ses relations avec les femmes.
Partie 2 :
Chapitre 1 (p. 65-106) : Ce chapitre, qui couvre le début de la vie adulte de Wells, se penche particulièrement sur la vie sexuelle de celui-ci. Il est d’abord question de ses premières expériences d’adolescent. On raconte ensuite sa rencontre avec sa cousine Isabel, à Londres, alors qu’il poursuit des études universitaires. Il finit par l’épouser, mais est rapidement déçu par cette union, en particulier à cause de la frigidité de sa jeune femme, qui ne répond pas à l’ardeur de son désir pour elle. Il découvre pour la première fois le plaisir d’une relation sexuelle passionnée avec une jeune femme qui travaille comme apprentie auprès d’Isabel. Peu de temps après, il se lie d’amitié avec Amy Catherine Robbins, une de ses étudiantes. Leur relation évolue rapidement et Wells finit par décider de quitter sa femme pour vivre avec elle « dans le péché ».
Chapitre 2 (p. 107-137) : Une nouvelle déception attend Wells avec Catherine, qu’il renomme Jane, puisqu’elle se révèle elle aussi frigide. L’union est néanmoins heureuse, car Wells et Jane ont par ailleurs beaucoup en commun. Wells ne tarde pas à rechercher ailleurs le plaisir que sa femme ne peut lui donner, et celle-ci finit par lui donner sa bénédiction quant à ses relations extraconjugales. Durant ces premières années avec Jane, Wells entreprend sa carrière d’écrivain avec un succès presque immédiat. Leur situation financière s’améliore à tel point qu’au bout de quelques années, Wells peut faire construire une magnifique demeure, Spade House.
Partie 3 :
Chapitre 1 (p. 141-183) : Ce chapitre se penche sur les relations d’amitié entretenues par Wells dans la première décennie du XXe siècle. Il gravite autour de nombre d’écrivains, dont l’auteure de livres pour enfants Edith Nesbit, membre de la Fabian Society, qui devient sa grande amie.
Chapitre 2 (p. 184-214) : Ce chapitre porte sur les relations d’amitié entre Wells et les membres des Fabian, notamment la famille de Nesbit, les Bland. Wells devient l’ami puis l’amant de la fille d’Edith, Rosamund. Celle-ci lui révèle la profonde hypocrisie de son père, catholique fervent, lorsqu’elle lui apprend que sa véritable mère n’est pas Edith, mais Alice, une amie de la famille. Il est aussi question du voyage que fait Wells aux États-Unis en vue de la rédaction de The Future in America, où il fait la rencontre d’une prostituée métis.
Chapitre 3 (p. 215-244) : Ce chapitre raconte l’humiliante défaite que subit Wells lorsqu’il tente de réformer la Fabian Society. Il raconte également la parution de In the Days of the Comet, qui cause un scandale parce qu’il promeut l’amour libre. Après que Edith découvre que sa fille entretient une liaison avec Wells, les deux amants sont poussés à rompre.
Chapitre 4 (p. 245-277) : Wells retourne chez les Fabian malgré sa défaite, et il y revoit Rosamund, qui lui rappelle sa promesse de l’emmener à Paris. Wells accepte sans enthousiasme, mais le couple est découvert par Bland à la gare. Ce scandale met fin à l’amitié entre les Wells et les Bland, et clôt l’association de Wells avec les Fabian. Il est aussi question dans ce chapitre de la rédaction de Tono-Bungay.
Chapitre 5 (p. 278-325) : Wells entreprend une relation avec Amber Reeves, jeune femme d’une grande intelligence qui lui inspire le roman Ann Veronica, dont le personnage sexuellement libéré causera un scandale lors de la parution de l’ouvrage. Amber, que sa famille pousse à épouser un jeune avocat nommé Blanco White, demande à Wells de lui faire un enfant afin de s’assurer que White ne veuille plus d’elle.
Chapitre 6 (p. 326-364) : Wells et Amber conçoivent un enfant ensemble, mais Wells la persuade néanmoins de se marier avec Blanco White. Elle accepte avec l’intention de continuer à fréquenter Wells. Son mari obtient toutefois de Wells, sous la menace de poursuites judiciaires, de couper les ponts avec elle.
Partie 4 :
Chapitre 1 (p. 367-399) : Ce chapitre effectue un retour intermittent à la forme de l’entretien. Wells discute de sa relation avec Amber, et de celle avec Rosamund. Il raconte également le début de sa relation avec Elisabeth von Arnim et leurs voyages en Suisse, où celle-ci fait construire une résidence. Il est aussi question de la publication de The History of Mr. Polly, de The New Machiavelli et de Marriage, roman très bien reçu par la critique, mais durement critiqué par une jeune journaliste, Rebecca West.
Chapitre 2 (p. 400-456) : Wells met fin à sa relation avec Elisabeth et commence à fréquenter West, qui tombe enceinte. Wells fait un premier voyage en Russie. Il publie The World Set Free, roman mal reçu par la critique et en particulier par Henry James. Pour se venger de cette critique insultante, Wells écrit Boon.
Chapitre 3 (p. 457-515) : Ce chapitre se déroule durant la Première Guerre mondiale. Il est question de la naissance d’Anthony et de la relation difficile entre Wells et West, qui souhaiterait que celui-ci divorce afin de l’épouser. Wells et Henry James se brouillent définitivement après la parution de Boon. La carrière Wells décline après la parution de son dernier succès, Mr. Brithing Sees It Through. Wells retourne en Russie en 1920, où il fait la rencontre de Gorky et de Moura Budberg.
Partie 5 (p. 519-559) : Cette dernière partie, qui sert en quelque sorte d’épilogue, s’inscrit dans la continuité du premier chapitre du roman. Il est question de la fin de la guerre, du dernier ouvrage de Wells, Mind at the End of its Tether, où celui-ci remet en question avec pessimisme les idéaux à la base de son œuvre. La relation de Wells et de Moura Budberg est aussi évoquée, Wells envisageant, sur la suggestion de son fils, la possibilité qu’elle soit une espionne ou une contre-espionne soviétique. Le roman se conclut sur Rebecca West, qui de retour d’un voyage à Nuremberg où elle a assisté pendant quelques semaines au procès des criminels de guerre nazis, apprend la mort de Wells.
Topoï : Écriture, sexualité, politique.
Rapports auteur-narrateur-personnage : Le personnage de Wells est abordé à partir d’une focalisation extérieure. Le seul passage où j’ai remarqué que l’auteur se permet délibérément d’imaginer ce qui occupe l’esprit de Wells est celui qui, à la fin du premier chapitre, sert à introduire ce qui suit, c’est-à-dire les dialogues et la narration hétérodiégétique :
« They [sa famille] do not know what is going on in his head. The mind is a time machine that travels backwards in memory and forwards in prophecy, but he has done with prophecy now. His mind is at the end of its tether, he cannot bear to look forward into the chaos ahead. He looks back, at his life: has it, taken all in all, been a story of success or failure? In trying to answer this question it is useful to have a second voice. He can, for instance, interview himself about his past, lobbing easy questions and answering them expansively, as he used to do in the days when journalists were still interested. » (2011 : 43)
L’auteur ne se représente jamais lui-même, et son regard se veut très neutre. On pourrait peut-être l’associer à la figure de l’interviewer dans les dialogues, même si ces passages sont présentés comme Wells s’interrogeant lui-même.
Position du biographe et du biographé dans l’institution littéraire et, s’il y a lieu, transfert de capital symbolique : David Lodge jouit d’une certaine reconnaissance en tant qu’auteur et critique littéraire, et son œuvre a été couronnée de plusieurs prix. H.G. Wells est un auteur très important de son époque, et plusieurs de ses œuvres sont encore lues de nos jours. Rien n’indique véritablement un transfert de capital symbolique, puisque Lodge est très effacé dans son roman.
Place de la biographie dans l’œuvre de l’auteur : David Lodge a aussi consacré une biographie à Henry James, dont la relation avec Wells est par ailleurs abondamment commentée dans le roman.
Thématisation de la biographie : La biographie est uniquement mentionnée dans ce passage :
« It is a very long story, one that began years before he ever heard the word ‘Fabian’, and it is another voice that tells it in his head, not an interlocutor or an interrogator or an interviewer, but a novelist, a novelist both like and unlike himself in earlier years when he wrote quasi-autobiographical novels, novel after novel […]. » (2011 : 65)
Affiliation à une culture d’élection et apports interculturels : Ne s’applique pas.
Convocation d’un discours critique? Présence d’un argumentaire expliquant, justifiant ou contestant les rapports vie-œuvre?
Il y a effectivement un important discours critique dans ce roman, mais pas au sens universitaire du terme. En effet, la réception immédiate des œuvres occupe une place importante dans le texte. L’auteur commente également l’œuvre de Wells, en insistant très souvent sur les rapports vie-œuvre. Je ne cite qu’un exemple, mais le texte contient de tels commentaires à propos de nombreuses œuvres de Wells : À propos des personnages de In the Days of the Comet : « In Willie’s furiously jealous pursuit of his former sweetheart Nettie, and her new love, the upper-class Verrall, he explored his feelings for Isabel after their divorce and at the time of her remarriage. As always, writing these things as fiction, with the freedom to change, enhance, and with hindsight interpret one’s own experience, was cathartic. » (2011 : 177)
Identifier le « dispositif structurant » (s’agit-il d’une biographie imaginaire d’un écrivain réel, d’un texte mettant en scène un écrivain réel dans une fiction ou d’un texte mettant en scène un écrivain fictif?) et les répercussions du choix du « genre » sur la façon de traiter le rapport vie-œuvre.
Roman biographique mettant en scène un écrivain réel, présenté de manière hétérodiégétique, et qui contient également des entretiens fictifs où l’écrivain s’interroge lui-même.
Mise en scène de l’écrivain : comment est-il mis en scène en tant qu’écrivain (par exemple : le voit-on en train d’écrire?)
Wells n’est pas représenté physiquement en train d’écrire, mais son travail d’écrivain est néanmoins abondamment représenté. L’auteur mentionne souvent que, durant telle période, Wells est en train de travailler à tel ouvrage, avant d’enchaîner sur une description de cet ouvrage et d’insister sur les liens entre celui-ci et les événements de sa vie, ou encore sur les positions politiques, sociales ou philosophiques qu’ils présentent, et qui sont quant à elles souvent liées à l’implication de Wells chez les Fabian. D’ailleurs, à ce propos, il me semble que cette insistance sur les aspects idéologiques de l’œuvre de Wells donne l’impression que celle-ci contient de nombreux romans à thèse. N’ayant toutefois rien lu de Wells, je ne peux pas dire si cette insistance se reflète réellement dans l’œuvre ou si au contraire c’est Lodge qui donne cette impression.
Mise en scène de l’œuvre : l’œuvre est-elle convoquée? Si oui, sert-elle de support à l’ « explication » de la vie? Retrouve-t-on des échos thématiques ou stylistiques de l’œuvre de l’écrivain dans la biographie?
Oui, l’œuvre et la vie sont représentées de manière intimement liée. Puisque je ne suis pas familière avec l’œuvre de Wells, j’ignore si on retrouve des échos stylistiques dans le texte de Lodge.
La vie vient-elle expliquer l’œuvre ou, inversement, l’œuvre vient-elle expliquer la vie?
La vie est très souvent présentée comme une source d’inspiration pour Wells : il écrit à partir de ses expériences de jeunesse, il s’inspire de ses rapports avec ses maîtresses, etc. Le côté scientifique de l’œuvre de Wells me semble toutefois un peu laissé de côté par Lodge, qui privilégie surtout l’implication politique de Wells ainsi que sa vie sentimentale.
Le biographe fait-il le choix d’un modèle explicatif (sociologie, psychanalyse, histoire) qui permet de réactualiser le rapport entre vie et œuvre, de l’observer sous un certain angle et, dans une certaine mesure, de poser la question des déterminations (ex : telle œuvre n’aurait pu avoir lieu que dans tel contexte social, historique, psychique, etc.)?
Il ne semble pas y avoir de modèle explicatif rendant compte du rapport vie-œuvre. Wells nous est avant tout présenté comme un être indépendant et ambitieux – ce qui lui a permis de devenir un grand écrivain malgré ses origines modestes, mais aussi de vivre en faisant fi des conventions sociales. L’œuvre se trouve donc expliquée par le caractère hors du commun de Wells, plutôt que par des déterminations plus conventionnelles.
Observe-t-on une volonté de réhabilitation, de valorisation et/ou de démythification du biographé mis en scène et/ou de son œuvre? Si oui, sur quelles bases (engagement politique, moralité douteuse, ambition démesurée, etc.) dresse-t-on la vie contre l’œuvre ou inversement (l’un justifiant, condamnant ou sauvant l’autre)?
Il y a une volonté de réhabilitation assez nette dans l’œuvre, mais il semble que l’auteur ait voulu réhabiliter Wells face à lui-même (et à ses contemporains) et non pas par rapport à nous, lecteurs du XXIe siècle. Ainsi, Wells nous est présenté, dans les chapitres qui ouvrent et ferment le livre, comme un auteur obsolète oublié de tous (« as he used to do in the days when journalists were still interested » (2011 : 43), dont les œuvres majeures datent déjà de plusieurs décennies. Puisque c’est Wells qui, dans le roman, retrace son propre parcours, c’est comme s’il voulait se prouver la valeur de sa propre vie, avant de mourir.
Le roman de David Lodge est d’une très grande érudition, mais l’auteur parvient très bien à fondre la somme d’informations qui nous est livrée dans le tissu romanesque, ce qui fait en sorte que, tout en faisant preuve d’une très grande rigueur, il évite de donner un ton académique à son texte. J’ai moins eu l’impression de lire un travail savant sur Wells que de retracer le parcours d’un homme hors du commun, dans toute sa sensualité, ses convictions, ses aventures.
La question de la fiction n’a pas été abordée dans cette fiche, mais je tiens quand même à en glisser un mot. Le roman contient certains indices de fiction, en particulier par la forme de l’entretien, mais aussi à travers les dialogues, les incursions dans les pensées de Wells, ou encore par le récit de certaines péripéties qui semblent plus contingentes que strictement biographiques. Toutefois, un grand nombre de ces éléments peut être authentifié grâce à la correspondance et aux écrits autobiographiques de Wells, qui sont par ailleurs souvent évoqués directement. (Par exemple : « As I said in Experiment in Autobiography […]. » (2011 : 21) ou encore « I admitted in the autobiography that even while I was arranging to elope with Catherine I might very well have changed my mind if Isabel had made an effort to bind me to her. » (2011 : 113)) De plus, Lodge confirme sa volonté de transparence envers le lecteur puisqu’il inclut, en plus d’une bibliographie, une liste de toutes les lettres apocryphes dont on peut lire des extraits dans l’œuvre.
Lecteur/lectrice : Mariane Dalpé