FICHE DE LECTURE INFORMATIONS PARATEXTUELLES Auteur : Alberto Savinio Titre : Les rejets électifs Lieu : Paris Édition : Le Promeneur Collection : « Le cabinet des lettrés » Année : 1990 Pages : 50 p. Cote : Désignation générique : aucune Bibliographie de l’auteur : Vie des fantômes, Ville, j’écoute ton cœur, Ermafrodito, etc. Biographé : Voltaire et Frédéric II Quatrième de couverture : aucune Préface : aucune Rabats : 1er : « En 1736, celui qui n’est encore que le Prince Héritier du royaume de Prusse fait ses premières démarches vers le philosophe le plus fameux du moment. Commence alors un extraordinaire ballet, un échange de “rejets électifs” entre deux personnalités uniques, destinées à marquer de leur influence l’histoire européenne. Comment cette amitié contrariée a-t-elle pu se nouer? Quels sont les mouvements, les motifs secrets qu’elle exprime? Quelle force, quelles ambivalences, ou ambiguïtés les poussent-elles invinciblement l’un vers l’autre? Tels sont les thèmes autour desquels rayonne le petit récit d’Alberto Savinio, où l’aperçu biographique, avec ses épisodes cruels, ou hilarants, ses boutades et anecdotes plutôt lestes donne lieu à une superbe méditation sur la nature de la “civilité”, de la culture, des rapports humains portés à leur plus haut point de perfection. Accomplissement auquel est nécessaire, argue sans ciller Savinio, une bonne dose d’hermaphroditisme; ou encore : le sens le plus aigu de cette qualité volatile, quintessenciée, qu’est la légèreté. » 2e rabat : notice bio-bibliographique de l’auteur. Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : Photo de couverture (qui n’a pas l’air d’une photo) : Voltaire, d’après une découpure de Huber LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) : Auteur/narrateur : A=N, malgré les énormités que profèrent parfois ce dernier, comme ici : « Vous ne verrez jamais une femme ou un homosexuel s’arrêter devant la vitrine d’un armurier, spectacle qui “fascine” tant les mâles. » (p. 34.) Qu’est-ce alors qui permet d’assimiler l’auteur au narrateur? Cet auto-intertexte : « J’ai écrit ailleurs (Ville, j’écoute ton cœur) : “Dans la saisie harmonieuse d’une civilisation fermée, la poésie constitue un corps étranger, une perturbation, un mal. En d’autres termes, la poésie n’est pas civile.” » (p. 47-48.) Ville, j’écoute ton cœur est en effet une œuvre réelle d’Alberto Savinio. L’humour et l’ironie semblent permettre à l’auteur de s’approcher (jusqu’à la fusion) du narrateur tout en gardant une distance critique par rapport à ce que dit ce dernier. Temps de l’énonciation et personnalisation : Savinio parle depuis les années 1980, à en croire cette phrase : « Voilà mille neuf cent quatre-vingt quatre ans que les apôtres ont commencé à répandre la bonne parole […] » (p. 8.) Le récit est bien ancré dans l’actualité : « Le laborantin qui ajouterait de l’acide sulfurique et de la T.N.T. à des aliments pour bébés serait immédiatement enfermé dans un asile d’aliénés sur ordre de la justice. » (p. 11.) Et la démonstration de Savinio n’hésite pas à se réclamer de son expérience personnelle : « Je parle par expérience personnelle, et même par “souffrance” personnelle. » (p. 19.) Narrateur/personnage : N≠ P Biographe/biographé : Toute la « biographie » ou à peu près est écrite sous le signe de l’irrévérence : il s’agit de décrire un temps où deux grands hommes furent à leur plus bas : « Frédéric II de Prusse a mérité le qualitatif de “Grand” que lui ont attribué ses contemporains et ses descendants. Pour sa part, Voltaire fut un homme de lettres admirable et l’un des esprits les plus rigoureux de son temps – comme de tous les temps, d’ailleurs. Pourtant, lorsque ces deux hommes se sont rencontrés, ils ont écrit l’un des épisodes les plus ridicules et les plus déplorables de l’histoire des rapports humains. » (p. 7.) C’est en effet cet « épisode ridicule » que Savinio entreprend de narrer. Autres relations : L’ORGANISATION TEXTUELLE Synopsis : Partant de la constatation qu’au contact l’un de l’autre, Voltaire et Frédéric II se sont ridiculisés, ont en quelque sorte dépéris moralement et intellectuellement (de façon réversible), le narrateur crée et applique sa « chimie de l’humanité, ou plus exactement une chimie des rapports humains. » (p. 7-8.) « Après les affinité électives, il faut encore écrire un long chapitre sur les rejets électifs. Sans omettre l’antipathie qui se cache derrière la sympathie, la haine qui accompagne l’amour et s’y mêle parfois ouvertement. » (p. 8.) C’est ce chapitre sur les rejets électifs qu’écrit Savinio, en prenant pour cas d’espèce la relation abjecte entre Voltaire et Frédéric II. Dans une forme qui ressortit à l’essai – voire au traité du XVIIIe siècle (temps de l’énoncé), ou plus justement du XVIIe siècle, époque des théories analogiques du genre de celle de la chimie de l’humanité – Savinio « avance l’hypothèse suivante : seul l’état d’impureté est fécond. » (p. 14.) et le soutient en examinant « savamment » la « partie d’aversion » (p. 14.) qui se joue entre Voltaire et Frédéric II. Il cite des lettres, des anecdotes, des témoignages qui mettent toujours en relief le ridicule des deux hommes, jusque dans la rupture. Ancrage référentiel : Il semble que les lettres soient authentiques (ce que je n’ai pas vérifié cependant), que la chronologie aussi le soit (par exemple, il est vrai qu’à l’époque de sa relation avec Voltaire, Frédéric II n’est pas encore Frédéric II, mais le Prince Héritier du royaume de Prusse). Les intertextes sociaux, littéraires ou philosophiques tiennent la route. Indices de fiction : S’il y a fiction, elle ne semble pas résider dans l’invention ou dans l’imagination. Ce sont l’humour, l’exagération, la multiplication des anecdotes, l’interprétation, l’argumentation délirante, la parodie du discours savant qui, tous ensemble, créent une sorte d’« essai-fiction » (dans ce cas particulier, il me semble en effet que l’expression de Viart s’applique très bien). Rapports vie-œuvre : L’hermaphroditisme (thème majeure de l’œuvre) expliquerait selon Savinio l’art voltairien : « L’hermaphroditisme de Voltaire explique son art, confère une qualité psychologique à sa “perfection”. » (p. 38.) C’est que pour le freudien Savinio, « le sexe est dans l’art » (p. 40.), la double sexuation qu’il suppose à Voltaire ne peut donc qu’amener une complétude, une finitude, une perfection. Thématisation de l’écriture et de la lecture : Prose et poésie : « Pour Voltaire, […] la poésie n’est autre qu’un déguisement somptueux et sonore de la prose. » (p. 46-47.) Écriture cathartique : « Vingt ans après sa rencontre avec Frédéric II, par une sorte de catharsis à retardement, Voltaire écrivit la Vie privée du Roi de Prusse, ou Mémoires pour servir à la vie de M. de Voltaire, écrits par lui-même. » (p. 50.) Thématisation de la biographie : Vérité, écriture et biographie : « La franchise et la liberté de la margrave de Bareith est d’autant plus appréciable qu’ici, en Italie, les écrivains se gardent craintivement de dire la vérité, surtout lorsqu’ils doivent parler des personnalités, c’est-à-dire toujours, car chez nous, les personnalités sont plus nombreuses qu’en tout autre pays […] » (p. 22.) Topoï : les rejets électifs, le bien et le mal, le ridicule, l’hermaphroditisme, la dispute, l’homosexualité, l’anecdote, la civilisation, la rupture, l’impureté. Hybridation : Essai ou traité : comme je l’ai dit, c’est ce genre qui caractériserait le mieux ce petit livre de Savinio; c’est une démonstration, argumentée, de la fécondité de l’impureté et du fait que certaines personnes se choisissent aussi par rejet, par abjection. Critique : quelques fragments critiques de l’œuvre de Voltaire et même de l’échange épistolaire. Anecdotes : c’est le genre le plus prisé à l’intérieur de l’essai de Savinio (c’est par lui que l’essai devient biographie). Dans la tradition schwobienne du détail singularisant, Savinio raconte une foule d’anecdotes que j’ai trouvé, à ma courte honte, très savoureuse. Je partage mon plaisir en citant quelques exemples : « Les principes éducatifs mis en œuvre par Frédéric Guillaume, père de Frédéric II, étaient à la fois forts et originaux. Lorsque le valet présentait une seconde fois la soupe aux choux, pour habituer ses enfants à la mesure, le roi qui présidait la tablée crachait dans la soupière après s’être lui-même abondamment servi. » (p. 23.) « Le concubinage de Voltaire et d’Émilie était émaillé de querelles et de coups. Distinguons : non pas les coups que l’homme-maître donne à la femme-esclave pour prouver sa virilité, mais des disputes semblables à celles qui interviennent entre femmes, à base de griffures et de cheveux arrachés. On croirait les voir. Un jour, Voltaire surprit Émilie la robe par-dessus sa tête en compagnie du mathématicien Clairault. Stupeur de Voltaire. / “C’est le vent”, expliqua Émilie. » (p. 32.) « Selon Thiébault, témoin oculaire du séjour de Voltaire à la cour de Prusse : “Il arrivait qu’on ne servît à Voltaire que sucre non raffiné, café éventé, chocolat de mauvaise facture.” Pour compenser ces misère (toujours selon Thiébault), Voltaire revendait la provision de bougies qu’on lui remettait pour le mois et, pour s’éclairer, il regagnait de temps à autre ses appartements sous les prétextes les plus divers, emportant l’un des plus gros candélabres des salons du roi, et oubliant systématiquement de la rapporter. » (p. 44.) Différenciation : Transposition : Autres remarques : LA LECTURE Pacte de lecture : Attitude de lecture : Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage