Informations paratextuelles Auteur : Hermann Broch Titre : La mort de Virgile Éditions : Gallimard Collection : Année : 1955 Appellation générique : Roman Bibliographie de l’auteur : Les somnambules (2 tomes) ; Le tentateur ; Les irresponsables ; etc. Quatrième de couverture : Résumé des faits historiques ayant servi de point de départ à Broch : Virgile a voulu détruire le manuscrit de l’Énéide. On y retrouve un pacte de lecture : une méditation lyrique où les rêves du poètes à l’approche de la mort se mêlent, dans le flux d’un monologue intérieur, aux ultimes conversations qu’il a avec ses amis. L’ouvrage est divisé en quatre parties : « l’Eau » ; « le Feu » ; « la Terre » ; « l’Air ». Le style lyrique et imagé de Broch est comparé à celui de Proust et Joyce. Rabat : brève biographie de Broch Appendice : Selon Albert Kohn (traducteur), la liste des ouvrages sur Virigile que Broch aurait consultés est inutile tant ils sont peu nombreux et bien connus. Cependant, Kohn fait état des légendes sur Virgile qui ont « poussé » au Moyen-Âge. Notons dans cet exposé la présence de discours rapporté soit en style direct (un dialogue entre Virgile et César Auguste), soit en style indirect (« on dit », « on raconte », « on savait »). Attestation de cette légende dans les textes en latin que Broch aurait consulté dans une traduction allemande du XVIIe siècle. La poésie de Virgile est enchâssée dans le texte de Broch. Le traducteur énumère les principales citations. Pacte de lecture Voir les informations paratextuelles. Les relations Auteur/narrateur/personnage Le narrateur n’apparaît pas à titre de personnage. On peut cependant repérer certaines de ses idées : « Le poète ne peut rien, il ne peut éviter aucun mal ; on ne l’écoute que lorsqu’il glorifie le monde, mais non quand il le représente tel qu’il est. Le mensonge seul procure la gloire, non la connaissance ! » (p. 15). Sujet d’énonciation/sujet d’énoncé Les deux sujets ne sont pas contemporains l’un de l’autre. Le sujet d’énonciation semble savoir des choses que Virgile ne sait pas : « Mais sur le navire qui suivait immédiatement se trouvait le poète de l’Énéide et le signe de la mort qui était marqué sur son front » (p. 11) ; Conformément au récit biographique, le biographe semble faire corps avec son personnage. Le point de vue de Broch semble prendre le relais à celui de Virgile : « Le même grondement sourd, rythmique et saccadé, environné d’un jaillissement d’argent, lui parvenait [PDV de Virgile] des deux navires voisins, du plus proche et de l’avant-dernier, comme un écho qui s’entendait sur tous les océans, et auquel tous les océans répondaient, ca partout ils naviguaient ainsi chargés d’hommes, chargés d’armes, chargés de grains et de froment, chargés de marbre, d’huile, de vin, d’épices, d’esclaves ; partout la navigation qui échange et trafique, l’une des pires corruptions du monde [PDV de Broch ?] » (pp. 13-14). L’écriture lyrique peut donner l’impression que le biographe sympathise avec son personnage. Le style de Broch aurait-il pour fonction de traduire poétiquement les états d’âme de Virgile ? Le biographé La dernière tranche de la vie de Virgile. L’attention est portée essentiellement sur les pensées de Virgile. Ancrage référentiel Broch demeure vraisemblablement fidèle aux données historiques de l’époque de Virgile. Il inscrit l’action dans un espace historiquement vraisemblable (voir les toponymes et l’onomastique). Selon les notes du traducteur, on sait que Broch s’est prêté à une recherche orientée à la fois vers les données historiques et vers les légendes médiévales. Les sources secondaires sur lesquelles s’appuie l’ouvrage de Broch relèvent donc autant de l’historiographie que du mythe. Indices de fiction La dimension fictionnelle se laissent notamment induire par les nombreux verbes de perception, le lyrisme, les métaphores et autres figures de style. Les quatre parties sont toutefois différentes sur le plan de l’énonciation. La première partie (l’Eau) fait allusion aux sentiments de Virgile, à ses pressentiments (focalisation interne avec verbe à l’imparfait) : « oui, c’était presque ce qu’il désirait, bien que cette mort eût été, ou parce qu’elle eût été une mort étrangement brutale et tapageuse ; elle ne lui paraissait pas inacceptable et justement pour cela, c’était presque ce qu’il désirait, car contraint de regarder l’enfer, flamboyant, contraint de l’entendre, son cœur était forcé de connaître le souterrain bouillonnement de la sous-humanité » (p. 23). Première partie comparée à une symphonie (voir quatrième de couverture). La deuxième (le Feu) est très lyrique. C’est le moment où Virgile songe à détruire l’Énéide : « Il était une image à lui-même, lui qui gisait là, cinglant vers la réalité la plus réelle, porté par des vagues invisibles et s’y enfonçant ; l’image du navire était sa propre image, sortant de l’obscurité, faisant route vers l’obscurité, enfonçant dans l’obscurité, il était lui-même la fuite qui tend vers l’immensité, immense, débordant le champ de la vision, débordant les limites de la pensée […] » (p. 74) ; « Oh ! houle du rivage de la connaissance, marée éternellement montante, saturée des germes de toute consolation et de toute espérance, oh ! marée de printemps lourde de nuit, lourde de germes, lourde d’espace ! Et connaissant cette image la plus grandiose de son Moi, il connaissait la victoire possibles sur les forces démoniaques par une assurance de la réalité dont l’image appartient à l’Indescriptible, tout en enfermant déjà l’unité du monde. Car les images sont gonflées de réalité parce que, toujours, la réalité ne peut être symbolisée que par la réalité ; oh ! images, oh ! réalités ! » (p. 75) ; « oh ! but de toute poésie, rayonnement de langage, lorsqu’il s’abolit lui-même au-delà de toute communication et de toute description, oh ! instant du langage où il se plonge lui-même dans le simultané, si bien qu’on ne peut décider si le souvenir jaillit du langage, ou il le langage jaillit du souvenir ! » (p. 81-82). On retrouve également dans cette partie des citations (de Virgile sans doute). Voir la citation à la page 95 qui commence par « car » et la reprise du discours enchâssant à la page 97 qui commence par « car ». La relation entre les textes enchâssant et enchâssé mériterait d’être observée de plus prêt. La troisième (la Terre) se distingue nettement des autres ; elle puise davantage dans les procédés de la fiction. On retrouve des verbes de perception non plus à l’imparfait, mais au passé simple : « il sentit », « il sut », etc. Il ne s’agit plus dans cette partie d’un monologue intérieur, mais d’un dialogue intérieur : « Quelque chose soupira en lui : ‘Tu n’es pas Lyssanias..., va-t’en ! ⎯ Maître, dit la voix, avec un ton très hésitant, presque suppliant. ⎯ Plus tard..., il ne fallait pas que la nuit finît, il ne voulait pas voir la lumière... ⎯ Maître, tes amis sont arrivés... ils attendent...’ » (p. 217). Selon la note du traducteur, des extraits de l’œuvre de Virgile sont entremêlés au récit de Broch. Parmi ceux répertoriés par le traducteur, on en retrouve dans les dialogues intérieurs. La quatrième partie (l’Air ou l’Éther) ressemble un peu à la première partie. L’œuvre de Virgile apparaît comme une unité composée de dualité (p. 405). Bref, ce sont les derniers moments de Virgile. Thématisation de l’écriture Allusion au Verbe qui transcende la communication (pp. 438-439). Voir aussi les extraits dans la section « Indices de fiction » concernant le langage, le souvenir, la réalité, les images, etc. Il est intéressant de faire un parallèle entre la démarche du biographe et du biographé : Broch a cherché à sauver son ouvrage avec l’aide de ses amis (voir rabat) ; après avoir songé à détruire le sien, Virgile a finalement conservé l’Énéide sous la pression de ses « amis ». Attitude de lecture Broch s’immisce dans les pensées de Virgile et cherche à nous les faire ressentir grâce à une écriture qui se veut nettement lyrique. Il s’agit bien d’une œuvre de fiction au sujet d’un personnage réel. La quatrième de couverture fait mention de l’influence de Proust et de Joyce. Le projet de Marguerite Yourcenar avec Les Mémoires d’Hadrien aurait-il subi à son tour l’influence de Broch ? Il y a des similitudes à première vue. Hybridation, Différenciation, Transposition Œuvre d’une seule teneur en raison de sa « facture poétique », la troisième partie se distingue pas moins des autres parties. Autres L’ouvrage n’a pas été lu au complet. Malgré cela, il est évident que La mort de Virgile est un mélange de faits et de fiction. Toutefois, la dimension esthétique et fictive (lyrisme, imagerie, monologues et dialogues intérieurs, etc.) de l’œuvre de Broch s’impose suffisamment pour mettre en arrière-plan la dimension historique de l’œuvre. À cet égard, la note de l’auteur est exemplaire : pas de bibliographie des ouvrages sur l’œuvre et la personne de Virgile, mais témoignage des mythes médiévaux concernant Virgile.