FICHE DE LECTURE COLLECTION « L'UN ET L'AUTRE »

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Jean-Yves Tadié

Titre : Regarde de tous tes yeux, regarde ! Jules Verne

Lieu : Paris

Édition : Gallimard

Collection : « L'un et l'autre »

Année : 2005

Pages : 272

Cote : PQ 2469 Z5T24. 2005, UQAM, monographies

Désignation générique : Aucune

Préface : Aucune.

Rabats : Deux. Dans Regarde…, Tadié situe avantageusement Verne dans l'histoire littéraire, où celui-ci côtoie les plus grands auteurs, qu'il lui arrive parfois d'égaler : le biographe peut donc parler de plein droit d'un autre de ses écrivains fétiches, dans le premier rabat, calqué, à quelques phrases près, sur l'incipit de son livre : « Proust reclus dans sa chambre. Cocteau l'avait comparé à juste titre au capitaine Nemo, enfermé dans son Nautilus. » Lire Verne, c'est, pour Tadié, s'adonner à un travail d'anamnèse quasi proustien; c'est procéder, en effet, à l'adjonction du passé et du présent. C'est revivre son enfance. Le premier rabat dit tout ça, et plus encore. Le deuxième donne à lire le programme de la collection.

Image de la couverture : D'après une « photo [de] […] S. Grandadam/Hoa-Qui » où apparaît, du moins je le présume, la couverture d'un tome (?) réunissant des ouvrages (toujours selon ma conhjecture) consacrés aux Voyages extraordinaires de Verne (appellation à laquelle le romancier recourt pour désigner quelque soixante de ses ouvrages).

INFORMATIONS SUR LE BIOGRAPHE :

Pays d'origine : France.

Professions : Biographe, critique littéraire et professeur.

Bibliographie : D'une ampleur remarquable. Limitons-nous à la recension des titres, au nombre de deux, publiés dans la collection, soit, outre le Jules Verne, Le Songe musical. Claude Debussy.

INFORMATIONS SUR LE BIOGRAPHÉ :

Identification du biographé : Jules Verne.

Brève biographie du biographé : Verne a écrit des romans pour adolescents (Vingt Mille Lieues sous les mers [1870], Michel Strogoff [1876]) où figure un état des connaissances détenues par ses contemporains.

Époque du biographé : 1828-1905.

Pays d'origine : France.

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : L'auteur est le narrateur.

Narrateur/personnage : Tadié fait figure de narrateur d'un récit (auto)biographique et non de personnage à proprement parler.

Biographe/biographé : Tadié raconte comment Verne lui a appris à regarder le monde de « tous [s]es yeux », selon l'injonction de Michel Strogoff, personnage vernien dont « le cri mystérieux » résonne aux oreilles de Tadié comme le fait celui de Rimbaud (2005 : 10). Plus qu'à tout autre élément de l'esthétique de Verne, le biographe est sensible au caractère poétique inhérent à son oeuvre (2005 : 61). De fait, Tadié redonne à entendre, à au moins une occasion, le cri de Strogoff, et ce alors qu'il est à nouveau question d'« une belle idée poétique » du romancier (2005 : 149).

Poète, Verne l'est sans pour autant rien sacrifier à la science. Il n'hésite pas à faire travailler son imagination de concert avec sa capacité d'assimiler une volumineuse documentation. Le biographe loue d'ailleurs le « génie » du créateur de Vingt Mille Lieues… (2005 : 130), son aptitude à concevoir réalistement le plan d'un sous-marin et « la force poétique » inhérente à ce roman (2005 : 134). Mais de « graves impossibilités ou erreurs », ajoute-t-il, grèvent l'œuvre (2005 : 134). Comme quoi le mélange science/littérature ne paraît pas toujours heureux à Tadié.

Dans l'ensemble, il demeure malgré tout fidèle à Verne et lui doit de pouvoir « redevenir à volonté » « enfant » (2005 : 204). En Verne Tadié va jusqu'à reconnaître un père spirituel venu se substituer à celui qui, absent, a fait la guerre : son géniteur. Cette idée a suffisamment de force aux yeux de notre biographe pour qu'il y revienne en conclusion après avoir insisté auparavant, de manière détaillée dans le chapitre « La Quête du père », sur l'existence du lien de filiation l'unissant au biographé (2005 : 107, 261-262).

L'ORGANISATION TEXTUELLE :

Synopsis : Verne n'a pas écrit de « mémoires, d'autobiographies », remarque l'auteur de Regarde de tous tes yeux (2005 : 20)… : « de l'homme qui est derrière ses inventions et cet immense travail, renchérit le biographe, [Verne] ne parle pas » (2005 : 261). Pour ne pas être tout à fait en reste, Tadié se voit dans l'obligation d'étoffer sa biographie à l'aide de ses lectures des romans verniens. En reste, il ne l'est d'ailleurs pas vraiment. C'est que Verne y met du sien lorsqu'il crée ses personnages. Il traite aussi des déboires qu'il connaît avec son fils, que lui, Verne, le pourfendeur de l'autorité, l'enfant naguère réfractaire à obéir à son propre père, peine à éduquer.

Dans un autre registre, Tadié procède à des recoupements entre le corpus vernien et ceux, romanesques, du XIXe et XXe siècles. L'un et l'autre font l'objet de maints rapprochements. Suivant cette optique, Tadié n'hésite pas à établir des recoupements entre Verne et des auteurs consacrés comme Poe, Michelet, Gracq et les grands Russes. « Il est d'ailleurs curieux que personne ne se soit référé aux Cosaques de Tolstoï » pour situer Michel Strogoff dans l'histoire de la littérature (2005 : 182). Tadié écrit, encore plus explicitement, et au sujet cette fois du Château des Carpates de Verne : « Le surréalisme est passé par là » (2005 : 35).

Pas mal pour un auteur jeunesse ! En fait, Verne n'a parfois rien en commun avec les écrivains s'adressant au jeune public : « C'est un auteur violent. » (2005 : 85) Il n'hésite pas à défier la censure. Verne passe d'ailleurs sous le couperet de celle-ci, raconte Tadié. Le romancier doit composer avec les remarques de son éditeur Pierre-Jules Hetzel (2005 : 207-208). Mais en ce dernier Verne trouve également un confident. Il lui décrit ainsi les embûches se dressant sur son chemin lors de l'écriture de ses romans. En résulte une précieuse correspondance, dont Tadié fait état de manière détaillée. Au final, sa lecture de la correspondance Verne/Hetzel profite à ses analyses, à caractère, par ailleurs, essentiellement thématique, sinon vaguement jungien : l'eau, cet équivalent du liquide dans lequel baigne l'enfant fusionnée à la mère, et le volcan, cet « orifice sacré de la déesse mère » (2005 : 223), sont ainsi considérés par Tadié tels des motifs récurrents, de son corpus.

Ancrage référentiel : Il s'agit avant tout d'un ancrage spatial. Les souvenirs de Tadié se rapportant à Montreux se confondent avec ses impressions de lecture. Il y en effet découvert La Jangada de Verne.

Indices de fiction : Ne s'applique pas.

Indices autobiographiques : La description de « ces immenses et dangereuses excursions des héros verniens [qui] parlent particulièrement aux enfants confinés à la maladie » (2005 : 74) correspond à un indice qui, glissé furtivement au sein de la trame du récit (auto)biographique de Regarde…, signale la présence (le plus souvent effacée) de l'auteur.

Parfois, Tadié examine l'œuvre de Verne, ses personnages, à l'aune de sa propre existence et de celles de ses proches dans le but de mieux comprendre les agissements, par exemple, d'un Nemo, protagoniste de Vingt mille lieues… devenu neurasthénique après avoir longtemps séjourné dans un sous-marin. Ainsi, Tadié constate, à la lumière de son récit de la claustration dans un sous-marin de son grand-père, lequel devint également ombrageux après cette expérience : « On voit encore mieux que le capitaine Nemo, qui ne quitte guère les profondeurs de son sous-marin, puisse être, lui aussi, un grand neurasthénique. » (2005 : 142)

Rapports vie-œuvre : Pour écrire des romans remplis d'action et des récits de voyages, comme le fait Verne, il faut s'abstenir… de courir l'aventure, de parcourir le monde (2005 : 88, 242).

Thématisation de l'œuvre du biographé : Tadié discerne dans les passages de l'œuvre consacrés tout particulièrement à des personnages féminins l'expression d'une déception amoureuse éprouvée par Verne, ayant d'ailleurs essuyé naguère un refus de la part d'une femme dont il fut épris (on n'en sait guère plus à ce sujet) : « tous ces fantômes, comme autant d'aveux codés d'un solitaire vieillissant » –– écrit Tadié au sujet de Verne et à propos de ses personnages féminins (2005 : 40) ––, toutes ces « femmes que l'on croit mortes et qui hantent certains de ses romans comme des fantômes éthérés », ils « parlent de l'amour disparu » (2005 : 235).

Thématisation de l'œuvre elle-même : Cette thématisation n'y figure pas.

Rapport entre le texte et le programme de la collection : Un dialogue entre l'un et l'autre s'instaure effectivement dans le texte. Tadié explique en quoi l'œuvre de Verne rejoint ses préoccupations, touchant notamment aux dérives techno-scientifiques (envisagées par le Verne de Robur le Conquérent [2005 : 171-172]). Force est cependant d'admettre que l'attention est plutôt dirigée avant tout vers l'« autre ». L'« un » est au service de celui-ci. Tadié ne s'en cache d'ailleurs pas : « Verne […] prend toute la place » (2005 : 8).

Topoï : L'aventure, le voyage tels que vécus par un écrivain plutôt… sédentaire ! et un lecteur n'ayant rien… d'un aventurier ! Les lectures de jeunesse envisagées à partir du recul que procure l'âge. La connaissance véhiculée par le roman. Les dangers inhérents aux progrès scientifique.

Hybridation : Tadié présente un commentaire de l'œuvre de Verne et une biographie de celui-ci.

Autres remarques : Dans l'ensemble, l'ouvrage de Tadié se présente sous la forme des quarante-deux chapitres abordant chacun une facette de l'œuvre de Verne. Leurs titres (« Musique », « Savants », etc.) fournissent autant de thèmes à l'auteur, libre de broder à partir de ceux-ci des réflexions qui convoquent souvent de nombreux livres de Verne au sein d'un même chapitre. Quoiqu'il en soit de cette facture asse libre, Tadié respecte un certain ordre chronologique lorsqu'il envisage la vie de l'auteur, même s'il use de maintes prolepses et analepses, anticipant sur la suite de son propos, ou, au contraire, revenant, quand l'occasion se présente, en arrière.

LA LECTURE :

Pacte de lecture : Tadié annonce au début de son ouvrage l'amorce d'un « dialogue entre trois personnes d'inégale importance, Jules Verne [le plus important des trois] »; le jeune Tadié, ensuite; puis celui rédigeant Regarde (2005 : 8)… C'est un pacte. Le lecteur se doit d'accepter l'anachronisme des commentaires proposés par le Tadié candide tout en suivant le Tadié livresque.

Remarques générales sur la collection : L'auteur de Regarde… exploite, comme convenu dans le programme de la collection, la veine biographique, et le fait à bon escient. À le lire, on retrouve effectivement Verne dans ses oeuvres et ses personnages.

Lecteur/lectrice : Charles Philippe Casgrain.