FICHE DE LECTURE

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Alain Buisine Titre : Paul Verlaine : histoire d’un corps Lieu : Paris Édition : Tallandier Collection : Figures de proue Année : 1995 Pages : 531 Cote : McGill : PQ2464 B85 Désignation générique : aucune

Bibliographie de l’auteur : ses autres biographies d’écrivains : Laideurs de Sartre, Proust : samedi 27 novembre 1909.

Biographé : Paul Verlaine

Quatrième de couverture : extrait de la première partie du livre : « Je voudrais que cette biographie soit l’histoire du corps de Paul Verlaine, le récit des dangers auxquels il ne cesse de l’exposer et du prix fort auquel il lui faut les payer. » Etc.

Avant-propos : Cet avant-propos définit en substance le projet de « corpobiographie » (16) que caresse Alain Buisine. Selon celui-ci, la critique et la biographie verlainienne commet l’erreur d’essayer de « soigneusement protéger la pure inspiration poétique de l’indigne pourceau qui en est miraculeusement habité », de « sauver le corpus poétique du corps de l’écrivain » (15). Pour Buisine, le corps est primordial chez l’écrivain, et plus particulièrement chez Verlaine. « Il suffit vraiment. Il est grand temps d’opérer un radical renversement. Chez Paul Verlaine le corps n’est pas l’obstacle à vaincre, à dépasser, à transcender, il est au contraire la seule mesure possible, l’unique instrument d’expérimentation, l’irremplaçable laboratoire du travail poétique. Si une nouvelle biographie de Verlaine se révèle à l’heure actuelle indispensable, c’est précisément afin de raconter l’histoire de son corps dans ses rapports à sa poétique : par exemple, et pour le dire très et trop vite, se demander s’il est possible de passser de la claudication du poète au vers impair qui “boite”, ou comment le naufrage corporel est indissociable d’une violente réincarnation corporelle et sexuelle de sa poétique d’abord si éthérée, ou encore pourquoi l’höpital devient chez Verlaine un site privilégié de la création poétique comme l’était précédemment la pure nature chez les romantiques. » (16) Ainsi, comme l’annonce le titre, Buisine se propose d’écrire « l’histoire d’un corps », une corpobiographie. Il veut le suivre dans ses transformations – c’est-à-dire, le plus souvent, dans sa dégénérescence. Précisons d’entrée de jeu, cependant, que le « corpobiographique » se concentre aux frontières de la biographie : le début et la fin ménagent de fait une place importante au corps, à sa description et sa narration. Mais le corps du texte (d’un format « classique » de plus de 500 pages) est somme toute assez traditionnel : Buisine semble alors oublier son projet, narre les événements de la vie de Verlaine, et verse alors dans la biographie assez classique (avec peut-être une insistance plus grande sur les séjours à l’hôpital et en prison, lieux « corporels » s’il en est). Avec quelques indications de l’état présent du corps çà et là tout de même : « Si Verlaine n’a que quarante et un ans en 1885, il en paraît déjà soixante. Physiquement il est dans un état déplorable, hydarthrose du genou (sans doute consécutive à une blennoragie chronique), ulcères de la jambe (d’origine syphilitique), hypertrophie cardiaque, diabète, le foie malade (cirrhose, évidemment). » (393) Autre exemple : « Quelques jours après son agréable soirée au restaurant, tous ses maux se réveillent, brutalement, simultanément. Rechute de sa grippe (ou influenza ou coqueluche), crise de foie,maux d’estomac. Sa maudite jambe gauche enfle, son ventre ballonne. Son corps tel une horrible encyclopédie médicale. » (490) Ce n’est pas, en tout cas, une corpobiographie « mur à mur ».

Rabats : aucun

Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) :

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : Narrateur du type biographie classique, identifiable à l’auteur Alain buisine.

Narrateur/personnage : Narration hétérodiégétique (non-omnisciente).

Biographe/biographé : Nulle mention explicite du rapport du biographe au biographé. Mais dans Laideurs de Sartre (1986), Buisine reconnaissait volontiers la part d’identification à l’œuvre dans son rapport à l’auteur de La nausée. Il disait en substance que pour écrire un livre sur les « laideurs » de Sartre, il fallait bien qu’il y ait une sorte d’implication personnelle. Or, avec son Verlaine, il choisit encore de biographier un « laid » (ou qui se croit tel – Sartre –, ou qu’on a dit tel – Verlaine). Quand il parle de la laideur verlainienne, c’est avec une certaine lassitude, du genre : « Encore le sempiternel refrain de la laideur ». Quoi qu’il en soit, il est possible de supposer que le rapport d’identification qui était à l’œuvre dans son Sartre se trouve reconduit dans son Verlaine par le fil rouge de la laideur.

Autres relations :

L’ORGANISATION TEXTUELLE

Synopsis : Comme la forme générale de la biographie est plutôt classique, la résumer reviendrait à résumer la vie de Verlaine… Parlons brièvement de la structure générale plutôt. Après un avant propos consacré à la question de l’importance du corps de l’écrivain, de Verlaine, dans sa biographie, Buisine enchaîne les cinq partie de son livre de façon chronologique. Première partie : lieux de l’enfance et de l’adolescence (mars 1844 – octobre 1862). Deuxième partie : entrer en littérature et en ménage (octobre 1862 – août 1871). Troisième partie : la crise Rimbaud (août 1871 – mars 1875). Quatrième partie : à l’école et aux champs (mars 1875 – janvier 1886). Cinquième partie : la descente aux enfers (février 1886 – janvier 1896). L’organisation interne des cinq partie obéit aussi à l’ordre chronologique, sauf la dernière partie. Pourquoi? « Désormais il [Verlaine] va se survivre plus que vivre, je veux dire qu’il n’évolue plus, qu’il est moins une histoire qu’un certain état de décrépitude, un certain stade de déchéance qui par la force des choses ne peut qu’aller en s’aggravant. C’est pourquoi raconter chronologiquement la fin de sa vie n’a guère de sens. Elle s’émiettera en une infinité de petits événements, souvent lamentables et sordides, qui se cumulent plus qu’ils ne se succèdent. État stationnaire, comme on le dit d’un malade dont on sait qu’il ne se remettra pas. » (405)

Ancrage référentiel : Si la biographie de Buisine « revendique son droit absolue d’être dispensée de toute exhaustivité documentaire » (18), il n’est demeure pas moins qu’elle témoigne d’une sérieuse recherche et d’une connaissance intime de la vie de Verlaine, dans sa factualité la plus immédiate. Je le répète, cette biographie est plus classique qu’elle ne le dit, et est très ancrée dans le référent – fût-il par moments le corps de l’écrivain.

Indices de fiction : La fiction n’est pas une modalité majeure de la biographie de Buisine, du moins pas explicitement. Je n’ai relevé qu’un seul recours à la fiction, et il est tempéré par une modalisation (j’aime imaginer) : « J’aime imaginer qu’il va alors se promener du côté de Chuffilly, si proche de Roche, non seulement parce que la vieille église de Saint-Pierre, si joliment fortifiée avec sa tour percée de canonnières et munie d’une bretèche, entourée d’un petit cimetière herbu, la mare et la vieille fontaine du XVIIe siècle lui rappellent l’Angleterre, mais aussi pour forcer le destin, avec le vague espoir qu’il pourrait rencontrer Rimbaud. Delahaye ne s’y est pas trompé, qui vers 1880 n’a pas manqué de dessiner une Rencontre imaginaire de Rimbaud et de Verlaine. » (355)

Rapports vie-œuvre : S’il n’y a pas de fiction au sens d’invention et d’imagination, il y a néanmoins une intrication de la vie et de l’œuvre qui concourre à une certaine forme de fictionnalité. Les rapports vie-œuvre sont riches et nombreux dans la biographie de Buisine. Dès l’avant-propos, Buisine fait reposer son projet biographique sur la réconciliation du corpus poétique et du corps matériel (de l’Auteur et du saccus merdae, des deux corps du roi, dirait Pierre Michon). « [C]e que je désirerais proposer ici à mon lecteur, c’est une œuvre-corps au sens où Alain Borer parle d’une œuvre-vie dans le cas d’Arthur Rimbaud. » (17) Dès lors, le biographe est attentif aux moments où Verlaine « construit sa légende et transmue son corps en corpus poétique » (411). Il questionne aussi la confusion possible entre la consécration poétique et la reconnaissance physique : « Mais quelle est l’exacte nature de cette gloire? Poétique ou physique? Le représente-t-on parce qu’il est lu ou le lit-on parce qu’il est représenté? » (480) Parfois aussi Buisine privilégie au rapport particulier corps-œuvre le rapport plus général et plus classique vie-œuvre : Puisque ses précédentes expériences, vie et œuvre indissociablement mêlées, l’ont conduit dans cette prison, il est inutile de s’obstiner, il est grand temps de changer de dispositif poétique. » (273) Enfin Paul Verlaine : histoire d’un corps présente-t-il le même renversement entre la vie et l’œuvre que nous avons déjà relevé dans des biographies de Proust par exemple : c’est l’œuvre qui détermine la vie, à l’inverse de chez Sainte-Beuve : « Ici le texte vaut comme programme pour le biographique :ce sera donc à la vie de se conformer, tant bien que mal que bien, à l’écriture! Car tel est en fait l’enjeu, avant tout moral et même moralisateur, du texte poétique : sa fixer à l’avance des obligations, des devoirs conjugaux. » (140)

Thématisation de l’écriture et de la lecture : On ne peut pas dire que cette biographie thématise davantage l’écriture qu’une biographie classique. Il est en général plus souvent question de la vie que de l’écriture de Verlaine. Parfois, Buisine semble même douter que Verlaine soit d’emblée un écrivain ; ce qui est sûr cependant, c’est qu’il l’est devenu. On suit tout de même les étapes de sa poésie, bien entendu : du jeune écrivain parnassien au poète converti, puis au poète récupéré par les décadents, etc. On lit ce qu’on savait déjà : Verlaine ne pouvait entreprendre de grands projets d’écriture (romans, longues études critiques, par exemple), désorganisé qu’il était.

Thématisation de la biographie : Cette dimension est très étoffée. Dès Laideurs de Sartre, en 1986, Buisine formulait quelques hypothèses théoriques sur la biographie et se disait conscient d’écrire la vie au sortir d’une éclipse du biographique. Dans Paul Verlaine : histoire d’un corps, il précise le genre de biographie qu’il entend écrire pour se distinguer (tout en se réclamant) de ses prédécesseurs : « C’est justement parce que cette biographie constituera ce que j’oserai ici appeler une “corpographie” qu’elle se distinguera radicalement de toutes celles de mes prédécesseurs sans le travail desquels mon entreprise se serait vite révélée impossible. Une biographie est toujours un travail collectif, rassemblant des informations éparses, regroupant un savoir disséminé. » (16) Sur sa démarche très largement chronologique, Buisine, auteur du premier ouvrage paru dans la collection « Une journée particulière » chez Lattès (Proust : samedi 27 novembre 1909, 1991), écrit : « Bien sûr je connais tous les risques d’un tel dispositif chronologique qui nous pousse à céder à l’illusion rétrospective. C’est même pour casser ce dispositif que j’avais imaginer, il y a quelques années, la fiction de l’unique journée d’un écrivain : strictement limiter le déploiement du biographique à vingt-quatre heures parce qu’une telle section temporelle, volontairement restreinte, permet, par simple découpe et fragmentation du vécu, de rompre cette illusoire continuité causaliste résultant nécessairement de la narration continue de toute existence, et d’éviter d’ériger téléologiquement ce vécu de l’écrivain comme destin conforme à une belle courbe harmonieuse et ascensionnelle. » (18), Or, explique ensuite Buisine (qui s’en tire à bon compte!), le but de son présent ouvrage est de retracer les transformations du corps de Verlaine, et cela ne peut se faire qu’au fil d’un vecteur temporel. Ensuite, ventilées çà et là dans la biographie, plusieurs réflexions biographiques et métabiographiques entrent en jeu. Par exemple, faisant œuvre « anabiographique » (Boyer-Weinmann), Buisine écrit : « C’est en général à ce moment précis que l’entreprise biographique permet à Arthur Rimbaud de ramasser toute la mise. Car presque toutes les biographies (d’ailleurs plus souvent rimbaldiennes que verlainiennes, autant se placer du côté du gagnant) ne vont pas cesser d’opposer Rimbaud à Verlaine comme l’absolu au relatif. » (240) Ou encore, quand le moment vient d’écrire la déchéance du corps de Verlaine, Buisine se pose des questions d’ordre disons « éthique » : « Le corps ne veut plus rien savoir de celui qui s’en estime encore le légitime propriétaire, l’occupant. Dès lors faut-il vraiment décliner jour après jour, défaillance après défaillance, les progrès du délabrement, les avancées de la dégradation? Faut-il détailler les horreurs d’un corps qui n’en est plus vraiment un? Tout à la fois j’ai envie de me refuser à devenir le médecin légiste de son agonie et je désire accompagner Verlaine jusqu’à son dernier sommeil. » (493) Il faut dire que, après avoir si vertement critiqué, dans Laideurs de Sartre, les descriptions, jugées mesquines, impudiques et inutiles, qu’a donnée Simone de Beauvoir de Sartre dégénérescent, Alain Buisine serait bien inconséquent en en faisant de même avec Verlaine. Pourtant, c’est bien là son projet : décrire le corps du poète dans ses transformations et jusqu’au bout. De facto, il va souvent décliner les maladies et disfonctionnements du corps verlainien, mais sans porter atteinte à sa dignité.

Topoï : Corporalité de l’écrivain, dégénérescence du corps, alcoolisme, homosexualité, décadence…

Hybridation :

Différenciation :

Transposition : Ouvrage intéressant du point de vue de la transposition du vécu : que veut dire transposer le corps de l’écrivain avant sa vie? La transposition ici, relève du portrait littéraire, du portrait biographique. Intéressant aussi du point de vue de la transposition du discours de la critique : il y a de nombreuses références aux critiques et biographes verlainiens et rimbaldiens, et Buisine tente de se positionner par rapport à eux. La critique de la critique à la base de la biographie : on veut trop souvent séparer le corps de l’infâme pourceau du corps du poète.

Autres remarques :

LA LECTURE

Pacte de lecture : Comme je l’ai évoqué, le titre et l’avant-propos laisse croire à une biographie plus hétérodoxe qu’elle ne l’est en vérité. Néanmoins pertinent pour l’originalité du projet en lui-même et pour l’important discours sur la biographie, les rapports vie-œuvre, etc.

Attitude de lecture :

Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage