====== Élise Turcotte, Guyana ====== ==== I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE ==== Auteur : Élise Turcotte Titre : Guyana Éditeur : Leméac Collection : — Année : 2011 Éditions ultérieures : — Désignation générique : roman (page de garde) Quatrième de couverture : « C’était ainsi que j’avançais depuis un an, une journée après l’autre. La mort de la petite coiffeuse – ainsi que je l’avais toujours appelée affectueusement – n’y changerait rien. Enfin, je l’au cru ce soir-là. Il fallait encore que toutes choses soient visibles, il fallait que je sente notre vie passer à travers le tremblement des feuilles dans les arbres, il me fallait parfois cet arrêt sur image, une conscience de soi assez forte pour nous reconduire, Philippe et moi, dans le présent. La vie d’Ana et de son fils Philippe est chamboulée par la mort de Kimi, qui a toutes les apparences d’un suicide. Il y a tout juste un an, Rudi, le père de Philippe, mourait d’une ″saleté dans le sang″, ce dont l’enfant hypersensible est demeuré inconsolé. Du coup, les souvenirs intimes d’Ana se réveillent en même temps que ceux d’un événement survenu au Guyana en novembre 1978. Comment le malheur de cette jeune coiffeuse de Montréal rejoint-il celui d’Ana et de Philippe? Comment s’attachent les drames de la vie des uns et des autres, ici et ailleurs? Dans cette histoire inspirée de faits réels, de grands vertiges s’emparent du risque de vivre ″la vie entière″ lorsque l’énigme de la mort jongle avec l’âme des vivants. » Notice biographique de l’auteur : « Poète et romancière, Élise Turcotte a remporté à deux reprises le Prix du Gouverneur général. Avec notamment Le bruits des choses vivantes, L’île de la Merci et La maison étrangère, elle a établi la singularité de sa voix romanesque et a imposé ses accents animistes si pénétrants. » ==== II - CONTENU ET THÈMES ==== Résumé de l’œuvre : Il y a un an, Rudi est mort d’un cancer. Sa femme Ana et son fils Philippe tentent de se recréer un monde tant bien que mal. La visite à la coiffeuse Kimi (Kimaya) les y aidait. Or un jour, Ana apprend la mort par pendaison de Kimi dans le salon de coiffure. Philippe et elle en sont bouleversés chacun à leur manière. Ana se lance dans la recherche des raisons véritables de ce suicide et d’informations portant sur le pays d’origine de Kimi, le Guyana, un pays marqué par la dictature et la violence quotidienne. Philippe a peur que sa mère disparaisse à son tour. Au fil de sa recherche, Ana revoit des scènes de son passé. Après la maladie et la mort de Rudi, c’est son viol qui refait surface; il a eu lieu en même temps que le suicide collectif de la secte de Jonestown (1978) au Guyana. Malgré tout, Ana et son fils réussissent à apprivoiser leurs fantômes et leur présent. Il est plutôt étonnant que l’histoire soit présentée comme étant « inspirée de faits réels » sur la quatrième de couverture, puisqu’il n’existe aucune autre mention de cela dans l’œuvre. Thème principal : Mort Description du thème principal : La mort est le « déclencheur » de l’intrigue, pour ainsi dire. La mort de Kimi pousse Ana et son fils à replonger dans la mort de Rudi; d’une façon plus large, ce thème traverse les interrogations des personnages (l’« énigme » de la mort, le sens de la vie, etc.) Thèmes secondaires : Deuil, perte Amour (filial, familial et entre un homme et une femme) Relation mère-fils Maladie, viol, violence Mémoire (souvenirs, actes de remémoration) Exil ==== III- CARACTÉRISATION NARRATIVE ET FORMELLE ==== Type de roman (ou de récit) : roman (polyphonique : trois voix se font entendre à tour de rôle. Il y a celle d’Ana, qui domine (trois parties), puis celle de Philippe (deux parties) et de celle de Kimi morte (la partie finale, écrite en italiques.) Type de narration : autodiégétique (Chacun des personnages est le narrateur et le personnage principal de sa partie.) Personnes et/ou personnages mis en scène : Jim Jones : Ana conçoit le Guyana surtout comme étant le pays où a eu lieu le suicide collectif de 913 fidèles de J. Jones, le 18 novembre 1978. Elle s’intéresse au choix de Jones pour ce pays, la relation de celui-ci au pouvoir, et aux gestes des fidèles antemortem. Burnham Forbes : Il est le chef du régime autoritaire à l’époque des événements de Jonestown (également celle de l’enfance de Kimi). Lieu(x) mis en scène : Jonestown et Georgetown (Guyana) Boulevard Décarie, boulevard de la Côte-Vertu Ville Saint-Laurent Montréal Types de lieux : Maison (notamment les chambres d’Ana et de Philippe, et leur salle à manger) Salon de coiffure Joli Coif, sur la rue McDonald Rues et artères principales de quartiers montréalais Poste de police Restaurant Appartement Date(s) ou époque(s) de l'histoire : époque contemporaine. Il faut remarquer la présence du mois de novembre 1978 (coïncidence entre les événements de Jonestown et le viol d’Ana). Intergénérité et/ou intertextualité et/ou intermédialité : Intertextualité Ana consulte les journaux pour trouver de l’information concernant le Guyana. Intermédialité - Musique Album Nevermind, de Nirvana She lives on Love Street, de Jim Morrison Blackbird (chanteur ou auteur non précisé) Lula et Debussy - Cinéma Ce roman de Turcotte met en scène de nombreux « revisionnements » de scènes et des mises à distance de la réalité (des personnages) au profit de l’imaginaire, ce qui peut être mis en parallèle avec des techniques cinématographiques. Il faut remarquer un « décollement du réel » de la narratrice vers l’imaginaire. Elle se crée de petits scénarios, souvent orientés vers le passé, afin de tenter comprendre de manière sensible certaines choses auxquelles elle n’a pas ou n’a plus accès (l’enfance de Kimi au Guyana, par exemple). L’utilisation des verbes « voir », « dessiner [devant moi] », « imaginer », et des substantifs « scène », « image », « [comme] un plan de film », entre autres, sont présents. Ana « revoit » au ralenti deux scènes troublantes, ce qui lui permet une double distanciation (distance temporelle, et « témoin » plutôt que personnage secondaire ou passif). Ces deux moments peuvent ainsi être revus avec une implication émotionnelle différente, moins intense, car la narratrice devient la spectatrice de son propre film intime. Ceci dit, il est important de souligner que la narratrice parle d’un « réalisateur » inconnu pour la scène de la rencontre avec l’agresseur, et fait référence au montage en analepse (« flash-back »). La métaphore empruntant au cinéma permet à Ana d’exprimer sa passivité face à l’événement, et le caractère contingent de celui-ci, placé sous l’ordre d’un réalisateur-démiurge inconnu. Finalement, il y la présence de références au cinéma dans le quotidien des personnages : comparaison à un acteur hollywoodien, chat nommé « Elliott » comme dans le film E.T. de Spielberg. Le cinéma permet surtout une ouverture vers la fiction, le jeu. Le visionnement de films offre aux personnages la possibilité de vivre d’autres aventures que les leurs et de se « poser des questions » difficiles à formuler autrement (la mort du père, par exemple). C’est aussi par le truchement du cinéma que s’exprime l’impression de dépassement de la réalité (basculement du quotidien vers l’horreur du viol ou du deuil) ou d’artificialité (faire « semblant » d’aller bien pour rassurer les proches). - Télévision Le média en tant que tel est nommé quelques fois. Ana semble l’associer à la violence chaque fois (suicide collectif de Jonestown, nouvelles catastrophiques, etc.) Particularités stylistiques ou textuelles : La polyphonie de Guyana est inhabituelle au sein de l’œuvre romanesque de Turcotte. Quelques tournures de phrases plus lyriques ou évocatrices que d’autres, à l’instar des autres romans de l’auteure (par exemple, « J’étais dans un enclos où le secret éteignait les êtres et le décor qui les entourait. Le secret lui-même devait avoir perdu depuis longtemps son éclat. Sa violente résurrection ne l’avait pas rendu plus brillant. », p. 42). Auteur(e) de la fiche : Karine Bissonnette