Fiche Roger Grenier/ Tchékhov Regardez la neige qui tombe. Impressions de Tchékhov, Paris, Gallimard,1992, coll. « L’un et l’autre », 243 p. 1. Informations paratextuelles - Collection (voir photocopie de présentation de cette collection) présentée sur le rabat de la couverture (quatrième) - Le titre : « Regardez la neige qui tombe » est extrait de Les Trois Sœurs. Dans l’ouvrage de Grenier, au chapitre qui porte le titre éponyme et traitant des personnages de Tchékhov, Grenier écrit : Si la vie n’a pas de sens, elle n’est « qu’une farce de collégiens » (Les Trois Sœurs). Dans la même pièce, Tousenbach ironise : « Le sens?… Tenez, regardez la neige qui tombe, quel sens ça a-t-il? » (157) - aucune mention générique - épigraphe de Tchékhov : « Pour qui est-ce que j’écris? -sur le rabat de la couverture (première), les premières lignes du livre sont imprimées; voir en 2. 2. Pacte de lecture - l’ouvrage débute ainsi (repris sur le rabat) : Un jour lointain quelqu’un me dit : « Tu devrais lire Tchékhov. Il me semble que c’est une littérature pour toi ».(9) Dans ce premier chapitre, l’auteur informe le lecteur de l’amitié qu’il développa à l’égard de Tchékhov. Aussi d’une grande affinité avec l’homme et avec l’écrivain (Grenier écrit aussi des nouvelles). L’auteur fait se rapprocher la vie de Tchékhov et son œuvre. À partir de la correspondance, des témoignages d’amis ou de parents, de ses Carnets. Les citations sont toujours courtes. Voici un exemple : Le sentiment d’exclusion, crée par ce qu’il a subi dans l’enfance, marque la plupart de ses propos. Ainsi, dès la première scène de L’Oncle Vania, Astrov, qu’il a fait à son image, déclare : « Je n’ai envie de rien, je ne veux rien, je n’aime personne. » À rapprocher de cette note des Carnets : « Ma devise : je n’ai besoin de rien. » Affirmations trop tranchantes pour ne pas signifier le contraire. (27) Grenier invite le lecteur à partager sa connaissance de l’auteur, tissée à partir de paroles empruntées à Tchékhov, à ses personnages, à ses proches. Il insère parfois sa propre expérience de lecteur - après avoir dit que Tchékhov n’invente pas, mais choisit parmi les faits réels, il parle de sa propre expérience. Donc, Grenier se présente comme quelqu’un qui peut parler de Tchékhov et qui peut en parler bien : en raison d’affinités (témoignage de l’ami du début, amitié développée, lui-même écrivain de nouvelles, etc.) avec cet écrivain. Sans préciser qu’il a lu de et sur Tchékhov, il informe le lecteur de la somme de documents qui permettent d’être bien informé : « Sa correspondance permet de le suivre à la trace. On a retrouvé jusqu’ici 4 500 lettres de lui. » (23). Ou encore : « Mais dans ces temps de littérature à la ligne, il va jusqu’à écrire 77 contes en 1883, 50 en 1884, 85 en 1885, 98 en 1886! Si l’on ajoute aux récits les articles et les reportages, cela fait 129, rien que pour l’année 1885! On a recensé 588 nouvelles de lui. « (39). Grenier informe même des documents perdus, de la censure exercée par la sœur de Tchékhov dans l’édition de la correspondance, etc. Donc, le lecteur est en confiance : il est entre les mains d’un narrateur consciencieux, compétent et informé. 3. Les relations et mode de présence auteur/ narrateur/ biographe/ personnages - le biographe qui se partage entre : - un narrateur discret qui permet à Tchékhov, ses personnages, ses proches, quelques autres biographes (peu) de prendre la parole, paroles citées et paroles mentionnées. - la personne de R. Grenier qui est également écrivain (voir photocopie p. 140, « Il se trouve que j’ai écrit beaucoup de nouvelles ») - Tchékhov demeure l’objet d’étude - le lecteur convoqué quelques fois garde aussi sa position - Donc, des rôles sans surprise et assumés d’un bout à l’autre du document - donc, de ce point de vue, une biographie classique Là où Grenier s’éloigne du modèle traditionnel, c’est 1) par l’absence de références bibliographiques complètes (le lecteur ne peut aller vérifier, en fait c’est un lecteur qui ne veut pas faire de vérifications, plutôt un lecteur curieux de tout savoir) et donc se rapproche de la version populaire de la biographie (mais il n’y a pas de photos, mais il n’y a pas de révélations fracassantes, plutôt une histoire d’amitié entre l’un et l’autre) et 2) par le format pas du tout conventionnel et aussi par la façon de citer beaucoup et peu à la fois. Les sujets abordés sont en partie classiques, mais pas présentés dans un ordre chronologique. Les chapitres sont thématiques : enfance, amour, théâtre, femmes, facilité d’écrire, sa froideur et sa générosité, Tolstoï, Staline, ou des faits très accidentels, visite à un cirque, remarque de X ou Y, etc. Les chapitres sont courts ou très courts et cette façon d’écrire court est probablement ce qui le distingue le plus. Ça donne du rythme et aussi ça ressemble par moments à un recueil de bons mots. (voir photocopies des pages 190-191, 231, 138-148). Et peut-être surtout, cela va à l’encontre du projet biographique classique qui est démonstration d’une cohérence (dans l’œuvre, la vie du biographié), cela étant le point de départ, équivalent au point de vue du biographe qu’il présente en introduction ou en préface et qu’il élabore tout au long de son ouvrage. Grenier n’a aucun projet de cohérence semble-t-il, aucune raison d’écrire autre que celle de raconter cette amitié qu’il a développé envers Tchékhov (lorsque Grenier intervient en tant qu’auteur, c’est pour dire que lui aussi, la campagne, lui aussi les nouvelles, lui aussi etc., en somme c’est pour démontrer les affinités entre lui et l’autre). Il n’a pas non plus de préface, ni même d’introduction (ou de conclusion) : écriture par fragments. 4. Ancrage référentiel - il n’y a pas de références bibliographiques. Les témoignages de Tchékhov et cie semblent cependant tout ce qu’il y a de plus référentiellement correct, c’est-à-dire que rien ne les met en doute et que le lecteur est en situation de confiance, acceptant également l’interprétation (jamais élucubrante) de Grenier, qui dans le chapitre consacré à l’enfance de s’amuse à rapporter un événement de la vie réelle (enfant battu, travail ardu, manque de sommeil) et une nouvelle qui s’explique en quelque sorte par cet événement : « Il n’est pas besoin de chercher très loin d’où vient la nouvelle ¬L’envie de dormir » (15). Ou encore : « C’est à cause de cette enfance que tant d’enfants sont les héros de ses nouvelles, qu’un enfant est au centre de son premier grand récit : La Steppe, où se mêlent ses propres souvenirs et ceux de sa mère qui, toute petite, avait traversé la grande plaine russe, à la recherche d’une tombe, celle de son père » (20) Ou encore : « Tchékhov a été chroniqueur judiciaire, médecin légiste et enfin juré. On trouve des traces de cette expérience dans Le Roman de l’avocat, Chronique judiciaire, La Sirène, Le Cadavre. » (32). - témoignages nombreux de personnalités ayant vraiment existé et connu (ou lu) Tchékhov. Certains sont surprenants, comme ce commentaire du cosmonaute Séviastianov qui a lu Tchékhov en apesanteur. (238-239). En fait, c’est l’accumulation de petits faits et commentaires qui donne une teinte très réaliste à cette biographie pas du tout imaginaire, mais pas exactement classique. 5. Thématisation de l’écriture, de l’oeuvre Moins l’écriture comme thème que l’œuvre comme transcription de la vie, ce que Grenier met en évidence. Grenier parle bien un peu de l’écriture dans quelques chapitres, mais comme activité de Tchékhov, non pas de la nature, des qualités de cette écriture, etc. 6. Hybridation, transposition, différentiation