FICHE DE LECTURE INFORMATIONS PARATEXTUELLES Auteur : Anne Victoria ROBERTS Titre : Les amants de la pleine lune (Moon Rising) ; traduit de l’anglais par Françoise du Sorbier Lieu : Paris Édition : Belfond Année : (2001 [2000]) Pages : 479 p. Cote : (U.Laval) PR 6068 R643 M818 2001 F Désignation générique : roman Bibliographie de l’auteur : Louisa Elliott (1989), Les portes de l’aube (1994), Possessions (1996). Biographé : Bram Stoker Quatrième de couverture : Note générale : «Magnifique portrait d’une femme libre dont l’amour tragique va bouleverser la vie entière, saisissante évocation du XIXe siècle finissant, ce roman au charme aussi mystérieux qu’envoûtant éclaire d’une lumière passionnante un moment méconnu de la vie de Bram Stoker, l’auteur de Dracula.» Suivie d’un résumé de l’histoire (voir synopsis). Préface : Pas de préface, mais une note de l’auteur en fin d’ouvrage. Cette note explique que la majorité des personnages de ce livre sont des personnages de fiction, mais qu’en revanche Bram Stoker, sa famille et ses amis «étaient bien en vie au début du XXe siècle» (p.473) et que Whitby (où se situe le principal de l’action du roman, tout comme celui de Stoker) a «effectivement joué un rôle important dans leur vie» (p.473). L’auteur exprime également sa fascination pour l’écrivain, ainsi que ce qui est à l’origine de son projet : «Bram Stoker était un homme complexe et secret qui a laissé peu de témoignages directs sur sa vie et ses expériences, ce qui est frustrant pour le biographe, mais laisse une marge de manœuvre considérable à qui souhaite faire œuvre de fiction. L’intérêt que je lui porte s’est beaucoup accru ces dernières années, et j’en suis arrivée à la conviction que tous les éléments majeurs de son célèbre roman se trouvaient de son vivant dans le petit port de Whitby. C’est à ce titre que j’ai tenté de donner une explication de l’homme et de cette œuvre extraordinaire qu’est Dracula.» (p.473) La note se poursuit sur des remerciements et par la présentation des sources ayant servi à la construction du personnage de Stoker (des biographies surtout) et à la ville de Whitby. Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : En guise d’incipit, une citation extraite de Dracula : «Soudain, le vent tourna au nord-est ; alors, chose presque incroyable, la goélette étrangère passa entre les deux môles en sautant de vague en vague dans sa course rapide et vint se mettre à l’abri du port.» (p.9) LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) : Auteur/narrateur : Comme il s’agit d’un roman, l’auteur et le narrateur sont totalement dissociables. Narrateur/personnage : La narratrice est l’héroïne de cette histoire qui la met elle-même en scène plus que Bram Stoker et relègue ce dernier au rang de personnage secondaire, quoiqu’occupant un rôle de premier plan. De longs passages du roman sont donc consacrés à retracer la vie de l’héroïne, moments où Stoker est absent (son enfance, sa vie avant sa rencontre avec Stoker, sa vie après leur liaison et les répercussions de celles-ci, son mariage, son autre liaison amoureuse, etc.). En fait, on découvre Bram Stoker, sa vie et son œuvre, à travers l’appréhension qu’en a l’héroïne et son nom n’apparaît qu’une fois le quart du livre passé. Cela permet, en fait, d’observer de l’extérieur le processus de création menant à la rédaction de Dracula ; par exemple : «Il paraissait intrigué par l’idée des morts qui se mettaient à marcher, pas seulement les âmes qui ne pouvaient trouver le repos, mais les corps qui sortaient de leur tombe pour "revenir" physiquement.» (p.189) ; ou encore, elle trouve des carnets où Stoker prend ses premières notes suites à ses lectures sur la Valachie et la Moldavie (p.229). Biographe/biographé : Difficile à saisir autrement que par le portrait intimiste qu’en trace la narratrice. La recréation est intéressante et probablement assez fidèle ; les personnages historiques se mêlent bien aux personnages de fiction. Toutefois, malgré l’intérêt que l’auteur dit avoir pour la figure de Stoker, elle l’utilise néanmoins davantage pour constituer un roman à part entière où la narratrice, qui a tout de l’héroïne moderne, éclipse assez facilement le biographé. Mais la véritable héroïne du roman est sans doute aucun la ville de Whitby, ainsi que tout ce qui touche à la vie maritime. D’ailleurs, les parallèles entre les propres intérêts de l’auteur («Elle est mariée à un capitaine au long cours et partage son temps entre York et Whitby») et ce qui se trouve à l’œuvre dans le roman sont évidents. L’ORGANISATION TEXTUELLE Synopsis : Damaris Sterne est une orpheline qui vit à Whitby, village côtier de l’Angleterre, dans des conditions assez difficiles. Pour subvenir à ses besoins, elle pratique divers métiers de domestiques ou divers métiers liés à la pêche ; elle travaille même à l’occasion pour un photographe. À l’été 1886, elle fait la rencontre de Bram Stoker, alors régisseur de théâtre au Lyceum de Londres sous la tyrannie de l’acteur shakespearien Henry Irving. Fuyant Londres, Stoker se réfugie à Whitby pendant un été où il fait de Damaris sa maîtresse. Ne sortant que la nuit pour des raisons de discrétion, le couple explore la mystérieuse ville de Whitby avec son abbaye, son cimetière sur le bord de la falaise, ses tempêtes meurtrières et, surtout, ses légendes sanglantes et fantomatique. Souhaitant se consacrer à l’écriture, Stoker prend diverses notes pour son futur roman (qui est en germination seulement). Alors que leur liaison prend un tour de plus en plus pervers, Henry Irving ressurgit dans le cottage où les amants vivent et convint Stoker de retourner à Londres. Abandonnée, Damaris se refait une vie grâce à l’argent que Bram lui a laissé, épouse un riche commerçant maritime et s’adonne au commerce avec lui. Souhaitant voyager, elle part avec son mari en Europe oriental où elle visite les pays qui constitueront les périples du personnage de Jonathan Harker lors de sa visite au comte Dracula en Transylvanie. De retour à Londres, elle suit de loin la suite de la vie de Bram Stoker et les déboires du Lyceum, dont l’incendie de leur entrepôt de décors, ainsi que la publication de Dracula qu’elle lit d’une traite en y reconnaissant, entre autres, Henry Irving comme inspiration pour le personnage du comte, ainsi que divers aspects de leur relation et de Whitby. Lors d’un autre voyage, elle rencontre son amour de jeunesse, un certain Jonathan Markway devenu capitaine de paquebot, avec qui elle a une autre relation. Après la mort de son mari, elle apprend le décès de son oncle et de sa meilleure amie et doit retourner à Whitby pour leurs funérailles. Rencontrant Stoker dans une gare, ils se remémorent leur histoire et règlent leur compte. Ancrage référentiel : Comme l’auteur le mentionne elle-même, le point d’ancrage référentiel le plus important est Stoker, sa vie et ses relations ; tout ce qui le concerne de façon personnelle ou professionnelle est vérifiable, spécialement en ce qui a trait à Henry Irving et sa partenaire, l’actrice Ellen Terry. On mentionne également, à quelques reprises, Oscar Wilde lors de son arrestation pour outrage aux bonnes mœurs (p.344), ainsi que le roman Carmilla dont l’enthousiasme qu’il suscite chez Stoker ajoute à sa morbidité. Ajoutons, à la liste, la magnifique présence de la ville de Whitby et son histoire (entre autres, celle du naufrage d’un navire russe – le Dmitry qui devient le Demeter dans le roman de Stoker-, naufrage qui sera transposé dans Dracula, ainsi que le grand chien noir, «le lycanthrope légendaire de Whitby» p.26). Indices de fiction : Tous les indices de fiction traditionnels d’un roman. Rapports vie-œuvre : Plusieurs critiques ont vu dans le comte Dracula une transposition du séducteur et manipulateur Henry Irving et le personnage de Damaris y reconnaît la même ressemblance lors de sa lecture de l’œuvre (p.351) – et même auparavant lorsqu’Irving vient s’interposer entre elle et Stoker, elle le traite expressément de vampire (p.264). Il semblerait aussi que Stoker ait été influencé par les meurtres atroces et inexpliqués commis par Jack l’Éventreur et que cela a ajouté à la crédibilité de son propre personnage (p.448). Une chose apparaît encore plus évidente, en tout cas, c’est que Les amants de la pleine lune est construit, en quelque sorte, sur l’idée que la vie nourrit l’œuvre et il se permet ainsi de (re)créer une vie pour qu’elle fasse sens par rapport à l’œuvre de l’écrivain mis en scène. Thématisation de l’écriture et de la lecture : 1- L’écriture : Stoker, qui a depuis longtemps le désir d’écrire mais n’ose s’y consacrer à cause de la part de risques financiers que cela constitue, commence à prendre des notes pendant son été à Whitby. Il écrit même à sa mère et à Irving qui le découragent de l’idée de s’installer à Whitby pour se consacrer à l’écriture. Le projet reste ainsi en gestation pendant dix ans, puis Stoker se retire en Écosse pour enfin y donner libre cours. Le désir d’écrire est donc latent tout au long du roman. 2- La lecture : La lecture du roman Dracula par Damaris occupe sept pages du livre (p.347-353) dans lesquelles elle décrit et commente son contenu. Au moment où Stoker publie ses diverses œuvres, Damaris n’est plus en contact avec lui, mais maintient ce contact par le biais de la lecture de ses œuvres et des journaux où il est question de ses affaires. Thématisation de la biographie : Ne s’applique pas. Topoï : la vie rude des pêcheurs anglais, la sexualité, la dépravation, le vampirisme, les légendes, la mort, la pauvreté, etc. Hybridation : Ne s’applique pas. Différenciation : Ne s’applique pas. Transposition : Le roman est en fait construit sur un double effet de transposition, c’est-à-dire que les sources d’inspiration de Stoker sont transposées dans le roman pour que le personnage de Stoker les transpose ensuite dans son propre roman. Mentionnons, spécialement, l’importance que prennent les contes et légendes de Whitby : «D’après mon vieil oncle Thaddeus, dis-je, tous ceux qui ne pouvaient reposer en paix dans leur tombe – ceux dont l’âme appartenait au diable plutôt qu’aux saints – étaient enterrés à des carrefours sur la lande, sans aucun signe indiquant leur sépulture. Sinon, on les enterrait avec un pieu dans la poitrine pour les empêcher de sortir de leur tombe et de revenir hanter les vivants. […] À certains on attachait les jambes et les chevilles avec des chaînes pour qu’ils ne puissent plus marcher. À d’autres on coupait la tête.» (p.186-187 ; je souligne) ; ou encore, il se trouve dans la famille de Damaris une légende de vampire (une morte qui n’avait pas l’air morte, p.189-190). D’autres éléments, comme la tempête qui fait échouer un navire russe sur les rivages et la découverte d’une pierre tombale portant l’inscription «Lucy» (p.201) sont des référents (doublement imaginaires) qui viennent nourrir le roman de Roberts tout en inspirant celui de Stoker. A titre plus thématique, la question du «vampirisme» s’y retrouve au niveau propre et figuré, soit par la tyrannie que certains personnages observent sur d’autres, soit par la propre façon dont Stoker se passionne pour le sang et mord son amante au cou et à la gorge (p.195) Transposition du vécu : la vie de Stoker est au service de la fiction. Elle est un élément factuel dans un cadre fictionnel. LA LECTURE Pacte de lecture : Cette sorte de recréation d’un personnage d’écrivain au sein d’un roman féminin rappelle davantage les procédés du roman historique duquel il ne s’éloigne guère. Ce livre ne présente rien de véritablement hétérodoxe mais constitue néanmoins une des nombreuses possibilités offertes par le phénomène de transposition : si celui-ci trouve davantage d’échos intéressants du côté de la littérature «savante», il m’apparaît que ce petit détour du côté de la littérature «populaire» permet d’établir un pont entre les deux façon d’envisager la biographie d’écrivain. Attitude de lecture : La lecture d’un roman «féminin populaire» amène toujours son lot de frustrations et d’anachronisme mais installe son lecteur dans un confort relativement agréable. Je dois admettre que si les scènes de sexualité torride et d’émancipation féminine sont un peu agaçantes et mal venues dans cette Angleterre éminemment victorienne, le travail de transposition de la vie et de l’œuvre de Stoker est intéressant et rondement mené. Lecteur/lectrice : Manon Auger