FICHE DE LECTURE
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Jean Marcel Titre : Sidoine ou la dernière fête Lieu : Montréal Édition : Leméac Collection : aucune Année : 1993 Pages : 243p. Cote : UQAM : PS8575A688T79.V3 Désignation générique : roman
Bibliographie de l’auteur : Rina Lasnier (1965), Jacques Ferron malgré lui (1970), le Joual de Troie (1973), le Chant de Gilgamesh (1979), le Québec par ses textes littéraires (1979), Poèmes de la mort : de Turold à Villon (1979), la Chanson de Roland (1980), Tristan et Iseut (1982), l’Anneau du Nibelung de Wagner (trad. et intro, 1990); Triptyque des temps perdus : 1- Hypatie ou la fin des dieux (1989), 2- Jérôme ou de la traduction (1990), 3- Sidoine ou la dernière fête (1993).
Biographé : Sidoine Apollinaire (Sidonius Apollinari)
Quatrième de couverture : « Dernier poète latin des Gaules avant la chute de l’Empire, Sidoine Apollinaire (431-486) assista à tous les grands événements de son siècles. À la fin de sa vie, il se fit évêque pour tenter de sauver ce qui pouvait l’être encore d’un Empire moribond : les lettres latines et un peu de sagesse. Puis, une nuit, il vit par sa fenêtre les barbares qui descendaient sur Rome. Ils n’en revinrent jamais. »
Préface : aucune
Rabats : aucun
Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : épigraphe :
Ceux-là seuls parviennent à trouver le secret de la vie qui savent étouffer leur tristesse intérieure, se passer d’espérance, faire taire ces doutes énervants où ne s’arrêtent que les âmes faibles et les époques fatiguées.
ERNEST RENAN
Comme dans Jérôme ou de la traduction, l’épigraphe semble actualiser le propos du roman. Il reconduit l’idée du doute et de la déchéance dans l’époque contemporaine. Il mène à se poser la question : « Et notre époque à nous, est-elle fatiguée? »
LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :
Auteur/narrateur : Rien ne permet de conclure que le narrateur soit l’auteur, Jean Marcel. La narration est au « nous » : « En nous glissant par la fente du temps dans le cortège bigarré qui se précipitait ce matin-là vers Livia, nous aurions assurément été plus impressionnés que les marchands syriens […] » (p.14) Le temps de l’énonciation semble être contemporain de l’auteur et du lecteur : « Tous ces mondes, encore si petits en regard de ce qu’ils sont devenus de nos jours, à la fois si différent set si proches, s’envahiront bientôt les uns les autres au point qu’il sera souvent difficile de les distinguer, eux qui déjà n’apparaissent vers ce temps, tous ensemble, qu’à travers une pénombre floue, nébuleuse, où se confondent des colorations indistinctes. » (p.35) La contemporanéité du temps de l’énonciation et l’utilisation de la première personne du pluriel renforcent l’actualisation déjà amorcée dans Jérôme et par l’épigraphe de Sidoine. Le point de vue est celui des Occidentaux de la fin du XXe siècle. C’est donc littéralement un point de vue de fin de siècle sur une fin d’époque, lequel conduit à mettre en parallèle les deux fins.
Narrateur/personnage : Le narrateur est hétérodiégétique.
Biographe/biographé : Si la poésie et le courage de Sidoine sont loués, Marcel ne manque pas de remarquer le racisme de Sidoine, qui entretenait peur et haine à l’endroit de ceux qu’il appelait les « barbares ».
Autres relations :
L’ORGANISATION TEXTUELLE
Synopsis : Le premier chapitre de Sidoine est proleptique : il se déroule en l’an 476, soit dix ans avant la mort du poète, qui est alors enfermé dans le donjon de Livia par Euric le Wisigoth. Nous comprendrons plus tard la raison de cet emprisonnement. Issu de la noble famille des Apollinaire, Sidoine était d’abord « un consul romain ex officio, un sénateur clarissime, un gendre d’empereur, enfin un poète impérial avantageusement célébré dans Rome même […] » (p.58) Il était laudateur du premier venu, de chaque empereur qui, à cette époque, ne restait pas longtemps (conscient que plusieurs étaient des fourbes, il les louaient quand même par amour de la poésie). Un jour, il revient auprès de sa famille à Lyon puis fuit avec elle – sans autre raison que la transformation progressive du monde – dans son Avitacum au bord du lac Aydat, où il vit des années paisibles, ne se déplaçant que pour la poésie. D’ailleurs, un jour, à un moment donné, il est invité à une grande fête – la dernière – chez Myron, avec d’autres amis poètes. Il passe alors une nuit superbe, dans l’abondance de la nourriture et de la poésie, faite selon les règles ancienne de l’art de la fête. Ses amis le sacre alors meilleur poète de la fête. Un jour, il est convoqué au « secret conseil de Chalon ». Entouré d’évêque, il fait partie d’une stratégie pour empêcher le vieux monde de s’écrouler : chaque fois qu’un évêque mourra, il faudra le remplacer par quelqu’un du conseil ou un quelconque autre homme qui saura préserver l’Empire. Ainsi, quand l’évêque d’Augustonemetum (futur Clermont-Ferrand) rend l’âme, c’est Sidoine qui est chargé de le remplacer. Puis, quand les barbares sont aux portes de la ville, c’est lui qui préside à la défense de la ville. Il construit un mur. Il dirige des troupes. Il parlemente. Ainsi, il parvient à repousser à maintes reprises les envahisseurs – Euric, particulièrement. Mais un jour (je sais, les dates sont vagues, ou inexistantes : c’est ma faute comme celle de Marcel…), les wisigoths prennent Augustonemetum et le font prisonnier dans la tour de Livia. Deux mois plus tard, il est libéré et fait une entrée triomphante dans sa ville. Puis il prend sous son aile un jeune homme du nom de Burgondio, à qui il enseigne la poésie. C’est son disciple, qui, s’il a existé (Marcel n’en est pas sûr), incarne la poésie de Sidoine quelque temps encore après sa mort, en 486.
Ancrage référentiel : Comme dans son Jérôme, Jean Marcel fait preuve d’une grande érudition et fait intervenir un nombre considérable de noms de personnages historiques, de détails biographiques et géographiques, etc. Le texte est en somme bien ancré dans le référent.
Indices de fiction : Mais cet ancrage n’empêche pas l’imagination de s’envoler. Marcel donne un bon indice de fiction par le biais d’un dispositif interprétatif mis en place dans le chapitre V, intitulé « Ce que dit le miroir de Ragnahilde le 10 décembre 467 ». Évodius, ami de Sidoine, offrit un miroir à la reine Ragnahilde, femme d’Euric, et demanda à Sidoine de composer quelques vers qui seraient inscrits sur ce miroir, ce que le poète accepta. Alors, le narrateur nous dit que Sidoine est « ensorcelé, prisonnier du miroir par la louange qu’il avait consenti d’y laisser graver […] » (p.166) « Miroir du temps, nous diras-tu enfin, par la splendeur des yeux de Ragnahilde, ce que fut l’étrange destinée de Cais Sollius Modestus Sidonius Apollinaris? » (p.166) De fait, ce miroir montre des images du passé et du futur; des récits en sortent : « Voici que la glace se fond aux jours dévidés, que son tain glauque scintille à peine et qu’apparaissent à sa surface un peu limpide l’imprécation de la sempiternelle sarabande des êtres et des choses, le sombre et lent cortège des derniers empereurs. » (p.166) Ce dispositif semble avoir pour but de pointer du doigt et d’ainsi assumer la représentation, le caractère artistique du récit de vie et, au final, d’autoriser le sondage du cœur et de l’âme de Sidoine par les moyens de l’imagination et de la fiction. Plus loin, à la représentation explicite succède la mise en abyme : « Les yeux couleur de mer de Ragnahilde changés en nuit profonde contemplèrent sans ciller la suite des tableaux de la vie de Sidoine qu’à notre tour nous regardons dans les yeux de la reine. » (p.178) La reine voit, dans son miroir, les peintures futures représentant Sidoine que nous, nous voyons dans les yeux de la reine! C’est un quadruple truchement : le peintre, le miroir, les yeux de la reine puis l’écriture de Jean Marcel! Ces « traductions » renvoient entre autres à Jérôme, bien sûr.
Rapports vie-œuvre : Si pour Jérôme tout est traduction, pour Sidoine, tout est poésie : « la poésie était la vaste scène de l’histoire et la tribune d’Arles, prétexte à ce que toute poésie fût. » (p.217) Ainsi, quand Sidoine meurt, la poésie est moribonde et le monde aussi. La poésie est le dernier mot.
Thématisation de l’écriture et de la lecture : Lors de la fête chez Myron, le narrateur relate plusieurs formes antiques de la poésie, plusieurs jeux poétiques, plusieurs principes et règles (la modestie, la louange, etc.) et plusieurs pratiques (lors d’une fête, il faut continuer à parler et manger tout en écrivant ses poèmes).
Thématisation de la biographie : La biographie n’est à peu près pas thématisée.
Topoï : Imposture : dans Hypatie ou la fin des dieux, Marcel disait que sainte Catherine (d’où vient la rue éponyme de Montréal, en autres), c’est Hypatie! Son disciple, Palladas, aurait lancé ce prolifique canular pour venger la mort de la mathématicienne, qui n’était pas chrétienne, mais bien hellène! Dans Sidoine, Marcel relève une autre imposture : ce qu’éclairent les vitraux de la chapelle de Clermont-Ferrand (consacrée à sainte Catherine d’ailleurs!) de nos jours, ce n’est pas, comme le dit le guide du lieu, saint Austremoine, mais bien Sidoine. Plusieurs éléments des vitraux interdisent d’y voir Austremoine (n’ayant pas vécu à la même époque que des personnages apparaissant sur les vitraux, par exemple) et conduisent à y voir Sidoine. Autres topoï : poésie, invasions barbares, chute de l’Empire romain, amour conjugal, fête, tradition, religion, chrétienté, filiation poétique (théorie des phares?), éloge, fin (d’un monde, d’une vie), etc.
Hybridation : Chronique : Sidoine est avant tout une biographie historique, bien qu’elle soit aussi une biographie fictive. Le narrateur lui-même qualifie à plusieurs reprises le récit de « chronique ». Ekphrasis (aussi parfois appelée « ekphrase ») : il me semble que ce concept et ce genre puisse aider à comprendre l’ensemble du Triptyque des temps perdus. L’ekphrasis est une description d’œuvre d’art. Elle tire l’objet artistique hors de la représentation, hors de l’iconolâtrie, dans l’espace de l’écriture, de l’iconoclastie. Jean Marcel décrit plusieurs œuvres picturales dans Sidoine (dans Jérôme aussi : toutes les peintures de Jérôme et de son lion!) : par exemple, les vitraux de Clermont-Ferrand. Décrits par Marcel, ces derniers effectuent le passage du pictural – où on « adorait » Austremoine – au scriptural – où on apprend sur la vie de Jérôme. Comme Proust, Marcel connaît l’impasse de l’iconolâtrie. La suprématie de l’icône du Christ ne coïncide-t-elle pas avec la fin du monde romain?
Différenciation : Les procédés narratifs tels que la narration au « nous » et le miroir de Ragnahilde contribue à différencier Sidoine des biographies historiques et de l’histoire traditionnelles.
Transposition : Transposition temporelle : actualisation, déplacement de la chute de l’Empire romain vers la déchéance de l’époque actuelle.
Autres remarques : Comme c’est le dernier tome d’un triptyque, les héros des deux premiers, Hypatie et Jérôme, y refont surface ponctuellement.
LA LECTURE
Pacte de lecture : Comme dans Jérôme, l’épigraphe incite à une lecture « actualisante » de l’œuvre.
Attitude de lecture :
Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage