FICHE THÉORIQUE PROBLÉMATIQUE VIE/ŒUVRE
Auteur : DUBEL, Sandrine, et RABAU, Sophie
Titre : Fiction d’auteur ? Le discours biographique sur l’auteur de l’Antiquité à nos jours
Lieu : Paris
Édition : Champion
Collection : Colloques, congrès et conférences sur la littérature comparée
Année : 2001
Pages : 223 p.
Deux acceptions de la fiction d’auteur :
La première :
La fiction d’auteur est, à la base, le produit d’un philologue biographe qui, pour colmater les blancs et trous des vies sujettes à biographies, tablent sur l’œuvre du biographé et en déduisent (induisent?) l’auteur. Dans le même ordre d’idées, la fiction d’auteur peut être entendue comme une biographie écrite à partir de l’autobiographie d’un auteur (les biographies d’Augustin, dont la vie n’est connue à peu près que par ses Confessions − voir le texte de Poymiro, p. 171-183). Fiction, donc, parce que ces biographies se satisfont de données invérifiables. Ces fictions d’auteur ne se donnent pas à lire, toujours à la base, pour littéraires, mais bien en tant que produits d’études philologiques.
« La fiction d’auteur répond en principe à une interrogation d’ordre biographique qui se pose lorsque la vie de l’auteur est une énigme et que son œuvre est le seul héritage légué par la postérité. » (C. Meylan, 2001 : 201).
« Pour inventer la vie ou le caractère d’un auteur dont on ne sait rien, on prend son œuvre pour modèle […] En somme, le travail de l’écriture va de la vie à la fiction et se conçoit comme une copie ou un travestissement des faits biographiques. [L’auteur dont la vie est raconté dans la fiction d’auteur devient] le personnage d’un texte critique né d’un autre texte, et si l’auteur historique existe en amont de l’œuvre, l’auteur fils de son œuvre naît en aval de la même œuvre. » (S. Rabau, 2001 : 98)
Donc ce travail donné comme un travail philologique, critique, doit se comprendre comme une fuite en avant dans la fiction (2001 : 99)
« L’auteur réel est bien perdu, qui laisse sa place à un auteur fictif [qui nous] éloigne de l’individu historique que l’on prétend décrire. » (Ibid., p. 103)
« [L]e style même de l’œuvre peut engendrer une image de l’auteur. » (2001 : 18 − cette citation est beaucoup plus intéressante par rapport à notre problématique vie-œuvre que par rapport à la fiction d’auteur et est en accord avec la pensée de Diaz. L’image de l’auteur n’est pas obligé de produire une biographie mais peu restée à l’état d’image pendant la lecture de l’œuvre, ce qui amène les rêveries liées à la notion d’écrivain imaginaire…).
La deuxième :
Cependant, la fiction d’auteur peut être pratiquée de manière tout à fait délibérée et de facto être reçues comme littéraires (le « Pétrone, romancier » des Vies imaginaires de Marcel Schwob, vie écrite à partir du Satyricon − voir texte de Rabau, p. 97-115). C’est ici qu’on rejoint la biofiction et le roman biographique en général.
« [R] ien n’empêche d’accepter cette fuite en avant dans la fiction, d’en faire le principe même de production de la fiction d’auteur et d’imaginer un auteur inventé qui produirait une œuvre tout aussi imaginaire que sa vie. » (2001 : 106)
Rabau, à partir du « Pétrone, romancier », propose (2001 : 113) un nouveau genre littéraire (nouveau?), l’« auto-auctofiction ». Je proposerais pour ma part l’« autosaturation ».
Il s’agit donc ici « d’une recréation littéraire des figures auctoriales. La fiction d’auteur, invention critique, est aussi une invitation à l’écriture. » (2001 : 21)
En ce qui nous concerne, c’est surtout la première acception qui est pertinente ou originale. La seconde, en fait, n’est qu’une énième déclinaison ou version des genres similaires que sont les biofictions, les fictions biographiques, les essais-fictions, etc…
La fiction d’auteur des philologues, elle, montre que les interprétations d’ordre biographique − comportant leur part de spéculations et d’imagination (remplir les cases vides) − ont une longue histoire, qu’elles sont issues d’une tendance herméneutique lourde (l’egocentrisme, le « bio-anthropocentrisme » ?), tendance tellement lourde qu’elle est peut-être inconsciente, devenue toute naturelle tellement elle est ancrée dans nos habitudes de lecture ?
Une vie imaginée − en partie ou totalement − change notre rapport à l’œuvre en tant que lecteur.
Voire, les auteurs de ce collectifs semblent penser − et c’est fort intéressant − que toute lecture d’une œuvre littéraire se passe mal au préalable d’un savoir (peu importe s’il est juste ou moins juste) sur l’auteur, sur la vie.