FICHE DE LECTURE INFORMATIONS PARATEXTUELLES Auteur : Diane de Margerie Titre : Aurore et George Lieu : Paris Édition : Albin Michel Collection : Année : 2004 Pages : 180 Cote UQAM: PQ2413M37.2004 Désignation générique : Aucune. Bibliographie de l’auteur : Des romans et nouvelles : Le détail révélateur, Flammarion, 1974; Le Paravent des enfers, Flam., 1976; L’Arbre de Jessé, Flam., 1979; La Volière, Balland, 1979; Ailleurs et autrement, Flam., 1980; Duplicités, Folio, 1996; L’Empereur Ming vous attend, Gallimard, 1990. Des récits autobiographiques : Le ressouvenir, Flam., 1985; La femme en pierre, Gall., 1989; Dans la spirale, Gall., 1995; Maintenant, Mercure de France, 2001; Isola, retour des îles Galapagos, Pauvert, 2003. Des essais (biographiques) : Marcel Proust (Marcel et Léonie), Christian Pirot, 1992; Le jardin secret de Marcel Proust, Albin Michel, 1994; Bestiaire insolite du Japon, Albin Michel, 1997; Autour de Gustave Moreau, Christian Pirot, 1998; Edith Wharton, lecture d’une vie, Flam., 2000. Et aussi des traductions, que je n’énumérerai pas, mais qui concernait les œuvres de Henry James, Kathleen Raine, Thomas Hardy, Edith Wharton, May Sinclair et Charlotte Perkins Gilman. Biographé : Aurore Dupin, alias George Sand Quatrième de couverture : On y annonce que ce sera Aurore et non George l’héroïne de ce livre, elle qui a déterminé l’existence de George par de nombreuses expériences traumatisantes vécues dans son enfance. Après la mort précoce de son père, Aurore se retrouve coincée entre l’amour de sa mère et de sa grand-mère paternelle, qui cherchaient chacunes de leur côté à discréditer l’autre aux yeux d’Aurore, qui préfère ne prendre aucun parti et tente de faire plaisir à chacune. Remplaçant rapidement son père dans la dynamique familiale tordue avec laquelle elle devra composer toute sa vie, la jeune Aurore s’invente un monde bien à elle, et plus tard un personnage qu’elle ne voudrait devoir qu’à elle-même. En devenant George Sand, elle laisse derrière elle ses souffrances et cherche inlassablement à se consoler de son déchirement : « On dit que les larmes de l’enfance ne sont rien, on se trompe. Elles sont aussi amères que celles qui coulent plus tard. » (Citation tirée de l’oeuvre de George Sand) L’éditeur y présente également l’auteur : « Avec le regard de la psychologue et le talent de la romancière, Diane de Margerie, couronnée pour l’ensemble de son œuvre par le prix Prince Pierre de Monaco, nous livre, dans une langue à la fois percutante et poétique, une George Sand méconnue et bouleversante. » Préface : Non Rabats : Non Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : Épigraphe : « Ce qui excite notre intérêt le plus intelligent, c’est une histoire, autrement dit le combat engagé plus ou moins consciemment par une âme contre les obstacles qui gênent sa croissance, contrarient son élan vital, la retardent sur le chemin de son intégrité. » John Cowper Powys, Autobiographie. Avant le début du récit, présence d’un arbre généalogique qui remonte quatre générations avant la naissance d’Aurore-George, et qui se rend jusqu’à ses petits-enfants. La forme de cet arbre est plutôt étrange, mais il s’avère bien utile lorsqu’il est question de comprendre les liens entre les différentes personnes dont il sera question dans la biographie. LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) : Auteur/narrateur : Aucune confusion possible, c’est Margerie la narratrice hétérodiégétique et omnisciente de ce récit. Elle pousse même sa posture jusqu’à citer ses propres œuvres : « Je me rappelle avoir écrit dans Le ressouvenir : « La femme est la voyageuse de l’espace mental. » George connaissait ces distances épuisantes à parcourir avec, en plus, les voyages de l’imaginaire et de la fiction. Je concluais ma propre pensée sur ce trajet intérieur et perpétuel de la femme : « Elle qui, déjà, effraie l’homme au point qu’il choisit souvent de faire le mort à son côté, n’ignore pas l’épouvante qui le saisirait à constater ces raccourcis vertigineux. La femme : cette présente-absente parce qu’elle opère sans cesse une coïncidence entre l’homme et l’enfant; l’amant est toujours un peu cet enfant qu’elle quitte, et l’enfant, cet amant qu’elle rejoint. » » p. 105 L’analyse que fait Margerie de la vie de Sand prend parfois le pas sur le récit lui-même, rendant la narratrice-analyste presque envahissante : « La répétition : une des tentatives de l’esprit qui nous persuade qu’il faut recommencer une deuxième fois pour conjurer la première et nous souffle que, cette fois-ci, ce ne sera pas pareil, que la seule façon d’annuler une erreur est de répéter ses circonstances, mais avec un autre ou une autre partenaire. Cet éternel retour des mêmes situations prend des masques multiples et nous sommes parfois déterminés par l’obsession de le contrecarrer. On peut se demander, par exemple, si l’attrait de George pour les hommes beaucoup plus jeunes n’est pas également dû aux mariages déséquilibrés qui ont entouré Aurore, mais dans l’autre sens. » p. 126 Cette analyse psychologique ne fait pas avancer le récit, mais tente d’expliquer de l’extérieur certaines décisions incompréhensibles de George Sand, ce qui s’avère tout de même intéressant et place l’auteur dans une position où elle ne fait plus rapporter des faits. Margerie va également se positionner par rapport aux penseurs précédents qui se sont penchés sur le cas de Sand : « Plus tard, dans sa correspondance d’écrivain, se fera jour chez George le désir de se rabaisser. Certains y verront de la fausse modestie, mais je pense qu’il s’agit d’une tactique pour arriver à ses fins. […] Je reste persuadée que bien des formules où George se critique elle-même ne sont que propitiatoires. En fait, elle se faufile comme une anguille pour se cacher dans la flore sous-marine de ses mots. » p. 57-58. Elle continue de la même manière plus loin : « Après la relecture de François le champi, à la lumière des pages de Proust, je suis plus que jamais persuadée que ce petit livre, faussement innocent, est exemplaire de cette fonction magique que George attribue à l’écriture. » p. 132. En guise de conclusion, Margerie donne ses impressions à propos des dernières paroles de George Sand sur son lit de mort : « Oui, j’aime le récit douloureux, mais plein de nostalgique tendresse, des premières années d’Aurore comme j’aime particulièrement les derniers mots de George car elle est morte en murmurant deux paroles mystérieuses : « Laissez verdure… » Peut-être songeait-elle à sa tombe qu’elle imaginait déjà envahie d’herbes et de mousse loin des panthéons en pierre? Ou peut-être songeait-elle à l’époque où elle s’appelait Aurore, quand, enceinte, il lui fallait sur ordre du médecin rester allongée. Elle se reposait alors sur un lit recouvert d’une toile verte fixée aux quatre coins par des branches de sapin, et, sur cette étendue verdoyante, on lui apportait des oiseaux pétrifiés par le froid de l’hiver. Au contact de la chaleur de ses mains, pinsons et rouges-gorges aux plumes gelées reprenaient vie comme autrefois lorsqu’elle sauvait des petites bêtes pour les offrir à Corambé. Peut-être était-ce à tout cela que George rêvait en mourant – à un monde fluide, végétal, sans ruptures, où rejoindre Aurore à travers le temps, dans une île paradisiaque pleine de plantes et de palmiers comme celle où Indiana et son cousin furent enfin réunis. » p. 141-142. La narratrice est ainsi autant présente comme biographe, écrivaine (on reconnaît dans son ton plusieurs élans romanesques) et psychologue, donnant libre cours à ses inspirations, interprétations et extrapolations à propos de la vie et de l’œuvre de sa biographée. Narrateur/personnage : La narratrice ne s’intègre pas à la vie de Sand, mais insère des éléments de sa propre vie dans sa biographie, qui rejoignent George Sand : « [Le] courrier des pensionnaires était surveillé par les nonnes. Les lettres sont interceptées, violées du regard. Je me souviens moi-même de l’humiliation éprouvée au Couvent des oiseaux : nous savions que toutes nos missives enfantines seraient lues avant d’être envoyées. Nous étions plus ou moins prévenues. Pour celles qui, déjà, souffraient d’être exilées et cloîtrées, cette censure interne était une école de la sournoiserie. Nous étions contraintes d’apprendre malgré nous l’hypocrisie des adultes, de ceux qui écrivent au conjoint délaissé combien ils s’ennuient sans elle, ou sans lui, « Rien de neuf ici, disent-ils, rien à signaler. » Nous étions réduites à la dissimulation, à n’écrire que du vent. » p. 49-50 Biographe/biographé : De façon évidente, Margerie est fascinée par la trajectoire littéraire de Sand, écrivain à laquelle elle s’identifie sur plusieurs points, ainsi qu’en témoigne ce discours sans ambiguïté : « Pionnière en tout, contre la peine de mort, contre le devoir conjugal, contre la punition de l’adultère réservé à la femme, partisan du divorce, indulgente aux femmes qui n’aiment pas forcément élever leurs enfants, George-Aurore invente ici un nouveau code civil. » p. 77 (Voir également la citation sous la rubrique « Narrateur/personnage », où Margerie s’identifie cette fois à la situation de George au couvent.) Toutes deux écrivains, toutes deux femmes, chacune éclairant la vie de l’autre. Bien que l’autobiographique occupe une place très négligeable dans le récit, il n’en demeure pas moins évident que Margerie se reconnaît dans l’œuvre et la vie de sa biographée. Autres relations : Un aspect intéressant du récit de Margerie est qu’elle y propose une distinction fondamentale entre la jeune Aurore Dupin et l’écrivain George Sand, cela même si elle montre aussi que les deux vies sont intrinsèquement liées. On peut reconnaître la distinction par les noms George et Aurore, qui sont insérés stratégiquement dans le texte, et qu'on retrouve parfois dans la même phrase pour qu’elles s’expliquent l’une et l’autre. L’auteur citant un extrait d’une œuvre de sa biographée : « Quant à moi, écrira George redevenue Aurore […]. » p. 16; « Elle n’éprouve aucune peur devant les dangers réels, mais George fera cette distinction intéressante qui tient à la puissance de l’imaginaire : « La peur est de deux sortes, écrit-elle en jetant un regard rétrospectif sur Aurore […]. » p. 18; « Ce contraste, même si elle ne peut alors le définir aussi précisément que George dans histoire de ma vie, se fait présent dans l’esprit éveillé, sensible d’Aurore. » p. 20-21; « En 1815, Aurore a onze ans. C’est à cette époque que se produit l’épisode du « rêve d’Orléans ». C’est une scène aux répercussions innombrables que George rapportera dans Histoire de ma vie […]. » p. 32; « Le discours de Sophie préfigure de façon frappante l’attitude d’Aurore devenant George à Paris […]. » p. 62; « [Le] malheureux ne sait plus quel nom lui donner. Il y avait Dupin, Dudevant, Sand, mais aussi, pour Pinson, Mademoiselle ou Monsieur. Pauvre Pinson : « …il n’arrivait à dire Madame que le jour où je redevenais Monsieur », se délecte George, se souvenant d’Aurore. » (C’est moi qui souligne) p. 63; « La sensualité que George-Aurore infuse à ses romans est une forme de résistance aux étiquettes, aux codes, aux actes imposés, à l’habitude […]. » p. 136 Les exemples de cette sorte sont foules, et tentent de traduire la relation ambiguë entre la jeune Aurore et l’écrivain accompli que deviendra George Sand, le pseudonyme ne marquant pas seulement un changement de nom, mais également des transformations dans la personnalité, le caractère et la vie même de la nouvelle née. L’ORGANISATION TEXTUELLE Synopsis : Cette biographie est arrangée de façon plutôt chronologique bien que s’y trouve plusieurs digressions où l’auteur fait des liens entre la vie d’Aurore et celle de George Sand, plus particulièrement avec l’œuvre de cette dernière. Aurore est née du mariage de Maurice Dupin et Sophie Delaborde, qui avait déjà chacun un enfant « illégitime » (né hors mariage) : Hippolyte, que Maurice ne reconnu jamais, et Caroline, demi-sœur d’Aurore. Alors qu’Aurore avait quatre ans, elle est témoin du massacre qui a eu lieu à Madrid, que George rapportera dans Histoire de ma vie : « C’étaient des charrettes immondes, des villages incendiés, des villes bombardées, des routes couvertes de morts, des fossés où nous cherchions une goutte d’eau pour étancher une soif brûlante et où l’on voyait tout à coup surnager des caillots de sang. » p. 17-18 Alors qu’elle a cinq ans, meurent à quelques semaines d’intervalle son petit frère nouveau-né, Louis, et son père. À partir de ce moment, ce fut la guerre ouverte entre Mme de Francueil, grand-mère paternelle d’Aurore, et Sophie, qui ne s’entendaient déjà pas très bien avant la mort de Maurice. C’est Mme de Francueil qui obtient la garde d’Aurore après une série de menace contre Sophie, et arguant que l’enfant aurait une meilleure éducation sous son égide. En fait, ces liens familiaux étaient noués par le transfert, de Mme de Francueil qui reconnaissait son fils chéri (en qui elle avait reconnu son mari décédé prématurément) dans la petite Aurore, qui elle transférera à son tour son amour conjugal sur son propre fils Maurice. Pendant la période où elle habite Nohant avec sa grand-mère, Aurore est souvent maltraitée par une des domestiques et se languit de sa mère qu’elle idolâtre. C’est à ce moment qu’elle commence à s’inventer un monde dans lequel elle trouvera quelques consolations. Aurore va même jusqu’à inventer son propre dieu, Corambé, un dieu asexué auquel elle érige un autel dans les bois et à qui elle amène toutes les petites bêtes qu’elle peut attraper, pour ensuite les libérer. Elle s’essaie déjà à l’écriture, mais est découragée dans sa première tentative par sa mère – toute puissante – qui se moque de ses « petites descriptions ». Après quelques années de ce régime, Aurore est envoyée au couvent, où elle traverse une profonde phase mystique ainsi qu’une grave crise existentielle. C’est là que se forge son caractère combatif et presque révolutionnaire, même si ses excès sont durement punis par une des sœurs qui s’acharne sur elle. Lorsqu’elle finit par dénoncer ces abus, Aurore est renvoyée chez sa grand-mère, mais celle-ci décède rapidement après son retour, et Aurore hérite de Nohant. Libérée de l’emprise de sa grand-mère, elle décide de partir pour Paris où elle devient George Sand : « Une fois délivrée des gynécées de Nohant et du couvent, Aurore saura trouver dans le travestissement une troisième dimension, celle d’un androgynat au-delà de toute détermination sexuelle. » p. 63 George trouve plusieurs emplois à Paris: rédactrice, correctrice, et se consacre de plus en plus à ses propres œuvres. À cette même époque, elle fait la connaissance de Casimir Dudevant, qu’elle épouse presque sur le champ, contre les conseils de sa mère; avec lui, elle aura deux enfants, son Maurice chéri et Solange, qu’elle chérit beaucoup moins (l’auteur présume que le père véritable de Solange est un vieil ami de George qu’elle aurait revu à Londres, Stéphane Ajasson de Grandsagne). C’est qu’à l’époque de cette deuxième grossesse, son mariage avec Casimir est agonisant et elle a des aventures avec plusieurs hommes, ce qui laisse croire que cette dernière enfant ne serait pas une Dudevant… La suite est beaucoup mieux connue : George devient un écrivain reconnu et une personne appréciée du milieu mondain de Paris, où elle a de nombreuses liaisons avec Musset, Sandeau, Chopin, pour ne nommer que ceux-là, qu’elle laisse tous tomber après peu de temps en leur compagnie. « Et dans les ruptures répétées de George Sand qui ont tant fait jaser, dans ses recommencements amoureux, il y sans doute le refus de posséder quiconque afin de n’appartenir à personne, pour délivrer Aurore d’avoir tellement « appartenu » aux autres. » p. 137 George Sand meurt finalement à l’âge de 76 ans, seule dans sa maison de Nohant où elle s’éteindra sur ces paroles : « Laissez verdure.. » (titre du dernier chapitre). Ancrage référentiel : Plusieurs œuvres de George Sand sont citées, avec en fin de volume les références complètes. On retrouve également dans le corps du texte plusieurs notes qui renvoient à des œuvres d’autres écrivains, surtout des contemporains de Sand. Le chapitre « Aurore et George : Indiana » rapporte plusieurs citations de cette œuvre qui sera mise en parallèle avec la vie de son auteur (voir la rubrique « Rapports vie-œuvre » pour plus de précisions concernant ce parallèle). Dans le chapitre « L’enfant qui se lève », c’est le roman François le champi qui est passé au crible, et mit en relation avec La recherche de Proust, dans laquelle cette œuvre est une figure importante. À la toute fin du volume, Margerie présente les « Sources principales » qui l’ont aidé dans la constitution de sa biographie de Aurore-George : des biographies, des essais, des études sur George Sand et son oeuvre. Indices de fiction : Bien que le texte soit très documenté, l’auteur est un écrivain qui se laisse souvent aller à un langage plus fictionnel que simplement descriptif, par exemple dans ce passage où elle tente de comprendre les dédales de la vie d’Aurore : « On le sait : le sentiment d’abandon qu’elle éprouve est le fruit d’un malentendu imposé par les circonstances. Sophie ne pouvait lutter contre les ressources et la culture de Mme de Francueil. Il se peut qu’Aurore ait éprouvé un vague sentiment de culpabilité à l’idée d’être l’élue de Mme de Francueil qui n’aimait pas Sophie. Oui, peut-être renversait-elle un peu la situation et sans doute est-il injuste qu’Aurore se soit sentie abandonnée car « les autres ne sont pas responsables des effets qu’ils nous produisent ». (Je cite là une des phrases préférée de mon père; il avait le don de proférer des paroles raisonnables qui me paraissaient, à tort, souverainement injustes.) » p. 84 C’est souvent dans des moments d’analyse plus psychologique que Margerie s’éloigne des faits pour entrer dans des conjectures à tendances fictionnelles : « Les pages que George consacre à décrire minutieusement la retombée du rêve d’Orléans restituent cruellement le drame d’un manque d’échanges. » p. 51; « Ses velléités de suicide trahissent également la tentation d’oublier. Il y eut plusieurs tentatives avortées avant et après le couvent, après la mort de sa grand-mère, après la gifle retentissante de Casimir. Sur le moment, elle n’analyse pas vraiment cette attirance de la mort : on peut penser qu’elle est liée à la fin brutale de son père. Aurore emmenait souvent sa jument sur le lieu de l’accident fatal avant de la forcer à galoper de façon dangereuse. Mais cet attrait du néant sera ravivé par la faillite de son mariage qu’elle ne veut pas regarder en face. Elle a compris que savoir, c’est souvent apprendre ce que l’on veut ignorer. » p. 87 Après avoir cité la conclusion d’Histoire de ma vie, Margerie ajoute : « Il y a beaucoup de choses qu’elle ne peut encore s’expliquer, ajoute-t-elle pensivement, reconnaissant ainsi que tout ne peut se décortiquer et que la richesse de la vie se prolonge hors de l’analyse. » p. 90 Un peu plus loin : « Cette confession de Lélia à Pulchérie [personnages du roman Lélia] n’est certes pas inspirée seulement par les vastes lectures d’Aurore (dont Senancour), mais par des moments précis, vécus autrefois par elle dans l’impuissance d’une identité fragmentée. » p. 94 Plusieurs épisodes dénotent également une certaine fiction, dont ceux qui s’intéressent à l’attrait qu’a Aurore pour la religion : « Au cours de cette période mystique, elle s’identifia à la passion du Christ mais aussi à la douleur de sa mère. Elle voulait descendre, comme le désirent les saintes qui sont attirées par le gouffre, pour mieux remonter vers la divinité. » p. 127 Aucun document n’atteste ces derniers passages. Rapports vie-œuvre : Cet aspect est assurément le plus important, parce que l’auteur cherche avant tout à faire le lien entre la jeunesse d’Aurore et les œuvres qu’elle écrira une fois devenue George, inspirées par son enfance tumultueuse. À la suite du récit d’un de ces épisodes traumatisants, Margerie commente : « L’histoire de la poupée noire, consolation pour le renvoi de la malheureuse Caroline [demi-sœur d’Aurore] par Mme de Francueil, fait songer aux deux Créoles d’Indiana. » p. 73 À propos du même Indiana, l’auteur relève certaines précisions que George a donné dans son Histoire de ma vie : « D’abord, bien sûr, le « trio » qu’Indiana voudrait former avec son mari et son amant évoque le trio rêvé par Aurore réunissant Aurélien de Sèze, qu’elle aimait, et Casimir. L’amour platonique qui lie les deux amants, le nom d’Indiana qui est précisément le nom de la sœur d’Aurélien; l’obsession des liens du sang […]; cet amour fraternel qui triomphera à la fin du roman; la passion des lettres et des messages écrits; l’île Bourbon, sorte de désert loin du monde qui rappelle la vie close des premières années d’Aurore à Paris, puis dans le havre de Nohant; le contraste entre les femmes du monde enveloppées de boas, couvertes de bijoux, avec la simplicité des Créoles qui évoque celui entre les bals parisiens et les fêtes campagnardes du Berry; les unions de convenance contractées sous le poids de la société; les courses à cheval; les promenades solitaires qui permettent à Indiana-Aurore de rêver à l’amour « car, chez elle, tout se rapporte à une certaine facilité d’illusion, à une ardente aspiration vers un point qui n’était ni le souvenir, ni l’attente, ni l’espoir, ni le regret, mais le désir dans toute son intensité dévorante » - que d’allusions transparentes à l’adolescence d’Aurore! » p.75-76 Un peu plus loin, où il sera question de Noun, la sœur de lait d’Indiana, l’auteur précise : « Sa mort va hanter à la fois Raymon et Indiana, lézarder leur vie, comme la jeunesse d’Aurore n’a cessé d’être fracturée par ses obsessions. » p. 78 Le rapport entre la vie et l’œuvre de la biographée se retrouve également lorsque, après avoir cité un extrait de l’œuvre de Sand (« J’ai le sentiment du passé si je n’en ai pas le souvenir, hélas! »), Margerie fait des déductions : « Elle a vingt-cinq ans, mais elle a le « sentiment du passé » : merveilleuse formule qui annonce le regard rétrospectif de son œuvre maîtresse en même temps que le refoulement de certains détails, trop pénibles, qui participeront au tissu de l’écrit. » p. 85 Les œuvres de Sand seraient ainsi déterminées par le refoulement des souvenirs d’enfance dont l’écrivain a perdu la trace mais qui demeure tout de même actif dans son inconscient et inspire la substance des oeuvres. Plusieurs parallèles entre l’enfance d’Aurore et le roman Lélia de Sand seront également faits : « Et tout de suite, pour confirmer l’existence du lien d’Aurore avec Lélia, apparaît un allusion à la retraite dans un monastère : Lélia ne s’est-elle pas « rajeunie » au point de faire penser à Aurore au couvent […]? » p. 92-93 Il y a aussi cet épisode où il est question du crâne de son père : « S’il fallait une preuve de la force avec laquelle, malgré le sobre récit que George Sand en donne dans Histoire de ma vie, l’impressionna le crâne de son père que l’étrange Deschartes la pria d’embrasser, un passage de Lélia l’apporte sans conteste. Dans la solitude de l’abbaye en ruine, Lélia découvre un être agenouillé avec un capuchon noir; à peine effleure-t-elle celui-ci qu’il tombe en poussière et lui présente le « crâne froid et desséché d’un squelette humain ». Si la corruption fascine tant Lélia, c’est qu’Aurore ne l’a que trop bien connue. Qui sait exactement ce que Deschartes lui fit embrasser en cette terrible nuit? » p. 95-96 Un autre parallèle est fait entre François le champi et la relation d’amour presque incestueuse qui unissait Aurore à sa mère, surtout dans sa petite enfance, puis George à son fils Maurice, sur lequel elle transfère son amour conjugal. Tout un chapitre traite de cette relation très complexe que je ne fais qu’évoquer ici. Les relations incestueuses sont encore explorées par Margerie à travers un autre roman de Sand : « Ce rapport incestueux, George l’a développé avec une splendeur iconoclaste dans Lucrezia Floriani où le prince Karol (inspiré par Chopin) interroge Lucrezia (inspirée par elle-même) […]. Indéfiniment cette histoire se répète dans la vie et l’œuvre de George, cette lucidité au cœur du fantasme avec Sandeau, Musset, Chopin tandis que George est la seule à ne pas en ressentir de gêne, comme si l’idée de l’inceste était assumée par la femme, alors que l’homme la refuse par peur du sacrilège, et peut-être ne recommence-t-elle si souvent que parce qu’elle raconte l’amour brisé d’Aurore et Sophie. » p. 111-112 Thématisation de l’écriture et de la lecture : En parlant du désir d’être à la fois homme et femme, Margerie écrit : « Elle [George] projette ses dualités sur ses personnages et continue de l’avant. » p. 69 Dans un autre chapitre, encore à propos de cette dualité de Sand : « Indiana, roman de la dualité, est le premier qu’Aurore publiera sous le pseudonyme qui, désormais, sera le sien : George Sand. Elle a choisi un nom d’homme, comme tant d’autres femmes écrivains […]. Aurore n’écrit plus en collaboration avec Sandeau, mais elle gardera la moitié de son nom. […] Enfin, voici un nom qui n’appartient ni à l’amant, ni au père, ni au mari; un nom « ambigu » qui va faire croire un certain temps que ce premier roman a été écrit par un homme. » p. 73-74 Sur la pratique plus générale que fait Sand de la littérature, principalement comme libération : « L’imaginaire, le recul du récit, la présence parfois d’un narrateur, la dualité des personnages, autant de procédé d’écrivain pour faire renaître une fusion jumelle de l’autre qui est morte. Il s’agira d’une autre forme de symbiose, créatrice et désenchantée – désenchantée mais pleine d’un espoir au-delà des relations purement humaines, d’un espoir dans l’infini de l’art -, d’une fusion avec le « moi » de l’écrivain, entre George et Aurore. » p. 51-52 « Jusque dans la frénésie avec laquelle George enchaîne roman sur roman, l’écriture paraît utilisée comme une trame serrée qui, elle du moins, ne se laisse pas déchirer. À peine George Sand a-t-elle fini un roman, à peine a-t-elle posée la plume un instant qu’elle la reprend aussitôt pour commencer un autre livre – et cette « facilité », cette inspiration continuelle lui ont souvent été reprochées. C’est oublier qu’elle est une conteuse-née, que la toile qu’elle tisse pour nous (et pour elle) est celle du conte de fées : la magie ne supporte pas d’être arrêtée en son envoûtement. Écrire, écrire, tisser sa toile, ourdir sa trame, ne jamais s’arrêter malgré les voyages, les amants, les enfants, les éditeurs et les contrats, la politique, Nohant – écrire, écrire pour ne jamais dépendre d’un homme, ne jamais connaître la violence ou le devoir conjugal, pour ne pas avoir à prendre l’argent des hommes comme sa mère ou ses aïeules y furent contraintes […]. » p. 130-131 Thématisation de la biographie : Sur l’autobiographie : « Les reproches que l’on fait souvent aux autobiographies de n’être pas exactes me paraissent passer à côté de l’essentiel car ils voudraient que l’événement ait une existence en soi, et méconnaissent l’importance du terrain où tombe la graine. « Les circonstances ne sont rien, le caractère est tout », écrivait Benjamin Constant dans Adolphe. Ce sont les racines de ce caractère qu’il importe de chercher. Refuser sa vérité au regard en arrière, c’est refuser du même coup toute idée de progression et de travail sur soi. Loin d’être celui de la régression, le regard que George pose sur Aurore est aussi celui qui exprime le défi lancé par leur histoire personnelle au poids de l’Histoire. » p. 140-141 Cela revient à dire que ce ne sont pas les événements qui font les grands hommes, ni les circonstances, mais plutôt le caractère d’une personne qui a fait quelque chose de sa vie… Margerie expose ici son ambition pour l’écriture de cette biographie de Sand, grâce à laquelle elle veut pouvoir expliquer comment cet écrivain a fait sa place - et quelle place! -, dans la société. Topoï : Amour maternel, dualité, inceste, mysticisme. Hybridation : Biographie, roman, essai psycho-psychanalytique. Différenciation : Transposition : Autres remarques : Après la fin du récit (p. 145-170) se trouve un « Abécédaire d’Aurore » que Margerie a constitué à partir des œuvres de George : « Toutes les citations concernent l’enfance et l’adolescence d’Aurore, même s’il s’agit d’allusions romanesques ou de réminiscences écrites plus tard par George, comme le fut Histoire de ma vie, dont elles sont pour la plupart extraites. » p. 143 Cet abécédaire semble plus cocasse qu’informatif, et contient des rubriques telles que « Adolescence », « Amour », « Absence », « Aimer ». Il permet pourtant aux non-connaisseurs de se familiariser avec le style d’écriture de Sand et d’entrevoir ses sujets de prédilection, que Margerie met toujours en lien avec son enfance. À la suite de cet abécédaire se trouve également « Quelques dates de la jeunesse d’Aurore »(p. 171-175), où l’auteur offre une courte chronologie des événements de la vie de la jeune Aurore. LA LECTURE Pacte de lecture : L’auteur se propose d’explorer la vie de George Sand à partir de sa prime jeunesse. Cela donne lieu à d’intéressantes interprétations et à un large panorama de la vie et de l’œuvre de cette attachante George Sand. Attitude de lecture : Cette biographie touche à beaucoup de nos questionnements sur le biographique, mais sans être fortement fictionnalisée. C’est davantage lors des passages analytiques que Margerie penche vers une certaine fiction, mais cette œuvre mérite tout de même notre attention, notamment pour sa manière de considérer le sujet en ses différentes parties et dans son évolution. Lecteur/lectrice : Catherine Dalpé