Ruffel, Lionel, Le Dénouement, Lagrasse, Verdier, « Chaoid », 2005. Maximalistes : Antoine Volodine, Pierre Guyotat, Valère Novarina, Olivier Rolin, Minimalistes : Jean Échenoz, Jean-Philippe Toussaint, Éric Chevillard, Autres : Pascal Quignard, François Bon, Pierre Bergounioux, Pierre Michon Une idée récurrente dans les oeuvres de la fin de siècle : « Qu’ils [les personnages] soient devant le gouffre, situés aux confins géographiques, ou face contre sol, les personnages ainsi décrits ont tous un point commun. Leur corps est une fin. Et la fin est cette idée. Mais cette représentation est plus complexe. Leur corps est une frontière entre un avant et un après. Il se développe une histoire, après la fin, qui la prolonge ou la renouvelle. » (p. 9) Les trois fin les plus proclamées par le discours dominant de l’époque (de l’histoire, des idéologies, de la modernité) méritent d’être examinées. Ce moment d’une « profonde mutation des paradigmes esthétiques et politiques », Ruffel propose de l’appeler « le dénouement ». (p. 11) Ce terme désigne dans le vocabulaire théâtral « un temps de résolution qui clôt une pièce », qui « tente de lever les contradictions et de défaire les fils de l’intrigue. Pour cette raison, le dénouement n’est pas définitif, il est même plutôt fondateur. Ni début ni fin, limité et transitoire [...], il déploie une temporalité complexe, tout à la fois tourné vers le passé qu’il transforme et le futur qu’il autorise. » (p. 11) L’hypothèse que cette fin de siècle représente un dénouement résiste les habituel discours de la fin qui tente de définir et créer cette époque selon deux versions : soit, la version euphorique centrée sur le préfixe post- (la plus répandue dans le monde anglo-saxon), soit la version française, conjuratrice, inquiète et soulagée, de crise profonde et douleureuse. Ce discours de dénouement, perceptible juste après la double-chute (du mur de Berlin, des statues de Moscou), se trouve au sein des oeuvres contemporaines. (p. 12-14) « Le temps présent est plus simplement la mort d’une époque. Or, d’une époque, il demeure des héritiers, et c’est à ce titre que s’écrivent ces livres. » (p. 32) « L’époque qui d’ouvre alors est celle d’un nihilisme qui peut lui-même céder le pas à la négation. La mémoire est donc un enjeu essentiel. Il s’agit de rétablir, avant même une hypothétique vérité historique, le souvenir de l’histoire, sa consistance. [...] Loin d’être une lutte d’interprétation, leurs livres luttent avant tout pour l’existence et contre la falsification ; ces enjeux sont aussi ceux, nous le verrons, d’une partie de la littérature contemporaine. » (p. 35) La « littérature du dénouement », qui dégage plutôt des vingt dernières années du siècle, doit manifester la triade « héritage-fidelité-transformation ». (p. 44) Ces oeuvres sont aussi anticipatoires, ce qui est d’un immense intérêt pour « problématiser la fin et ouvrir à la spectralité d’une époque. Elle fait du présent un passé et donc l’historicise et l’achève. [...] De la sorte, on ne s’étonnera pas du ton et de la dimension apocalyptiques qui traversent ces livres et dont on a pu montrer qu’ils étaient fortment, presque essentiellement, liés au discours postmarxiste. » (p. 52) « Or, la théorie de Bakhtine est si puissante que depuis don introduction en france et dans les autres pays occidentaux, elle a imposé dans les imaginaires collectifs le roman comme genre de l’histoire, genre politique, genre de la contemporanéité. Bref, un genre de la conjonction. » (p. 55) « ces oeuvres ne s’inscrivent absolument pas dans une tradition naturaliste ou néonaturaliste. Bien au contraire, ces romans de l’excès relèvent d’un imaginaire exalté dans une période pourtant fascinée par le rapport au réel. Folie du genre bien sûr, mais aussi présence de la folie à tous les niveaux de l’oeuvre, et notamment chez les narrateurs, délégués des auteurs. On peut avancer à cela plusieurs raisons. Le lieu de parole se situe, on a déjà vu, aux extrêmes : géographiques, de la vie, de l’histoire, de l’humanité. L’état du narrateur, ou de tout autre tenant de la parole, est un état limite, proche du délire, proche du néant. Le roman s’écrit comme le dernir geste du locuteur avant qu’il ne s’écroule dans la folie ou dans la mort. » (p. 62-63) « une tendance maximaliste, une tendance à l’excès, à l’ambition démesurée, qui rappelle une tradition romanesque propre à cette époque dont ils font leur matière, et plus particulièrement à la tradition liée à la période révolutionnaire. Cette esthétique romanesque maximale qui semble ainsi s’achever dans la “décennie fantôme” reprend ainsi la logique révolutionnaire qui est elle aussi, nous l’avons vu, une logique maximaliste. » (p. 64) Minimalisme est le terme sur lequel Ruffel a formulé le terme maximalisme. « Alors que tout semble opposer ces deux écritures, on est surpris de constater que les romans minimalistes mettent eux aussi en oeuvre la fin ou, pour être plus précis, cette posture terminale initiale. » (p. 81) « Les oeuvres minimalistes et maximalistes semblent se rejoindre très profondément sur un point : l’idée d’un renouvellement romanesque qui soit aussi un héritage. » (p. 86)