Fiche Michon

1. Informations paratextuelles

- Pierre Michon, Rimbaud le fils, Gallimard, 1991

- premier ouvrage de la collection “ L’un et l’autre ” chez Gallimard qui a pour projet de publier des biographies non classiques, différentes (voir informations données par cette collection, photocopie texte de Goffette)

- À noter que le livre a été lu dans la collection Folio, donc on ne connaît pas exactement les informations paratextuelles d’origine (indications génériques, quatrième de couverture, etc.). À vérifier.

- L’auteur Michon a déjà écrit sur Goya, Watteau (Maîtres et serviteurs) et van Goth (Vie de Joseph Roulin).

- articles portant sur Michon : Adeline Wrona, “ Pierre Michon, le monde en héritage ”, Écritures contemporaines 1. Mémoires du récit, dir. Dominique Viart, “ La revue des lettres modernes ”, 1998, p. 83-99.

Sidonie Loubry, “ Pierre Michon — le défaut et la grâce ” Écritures contemporaines 2. États du roman contemporain, dir. Jan Baetens et Dominique Viart, “ La revue des lettres modernes ”, 1999, p. 159-171.

Dominique Viart, “ Filiations littéraires ” Écritures contemporaines 2. États du roman contemporain, dir. Jan Baetens et Dominique Viart, “ La revue des lettres modernes ”, 1999, p. 115-139.

2. Pacte de lecture

- par la collection, le lecteur s’attend à une biographie autre que traditionnelle. - Michon ne présente pas en introduction son projet; il va décrire sa visée au dernier chapitre (et non pas le projet exposé clairement en début, comme cela se trouve dans les biographies classiques). C’est moins la vie de Rimbaud que : ce qui fait “ la relance éternelle de la littérature ” (102), l’émoi que crée la poésie (voir la série d’interrogations p. 109-110) et le “ Qu’est-ce qui fait écrire les hommes? ” (110). Donc une réflexion sur la poésie de Rimbaud à partir de la réception des poèmes de Rimbaud par ses contemporains, la mère, les poètes de l’époque, puis les lecteurs plus récents de Rimbaud, Michon inclus. Il examine comment ses contemporains ont réagi à sa poésie (les trois façons que Michon a identifiées, façons “ Izambard ”, “ Banville ” et “ Verlaine ”, sont résumées p. 102), il imagine une mise en situation de ces rencontres poète-lecteur, cherchant à saisir comment Rimbaud en est venu à écrire ce qu’il a écrit. Il raconte l’histoire du poète, de son émergence à sa “ démission ”, plutôt que celle de l’homme. - Au fil de l’ouvrage revient souvent l’idée qu’il est en train d’annoter la vulgate: (56, 59, 105). Michon, par son travail, soulève cette question : Est-il encore possible d’écrire une autre biographie de Rimbaud? Après tant de biographies? Avec la vulgate? Comment écrire une biographie quand tout a été dit? Et le lecteur est amené à prendre en considération que le référent est moins le vrai Rimbaud que le Rimbaud qui émerge du discours tenu sur lui.

3. Les relations et mode de présence auteur/ narrateur/ biographe/ personnages

- selon les critères de Genette (dans le récit factuel, l’auteur assume la responsabilité des assertions de son récit et n’accorde aucune autonomie à un quelconque narrateur et dans le récit fictionnel, seul le narrateur assume les assertions), récit en régime factuel. Le je coïncide avec Michon. - on dit / on sait : les marques du biographe (et non l’auteur de fiction). “ on dit ” somme de tout ce qui a été dit (tout a été dit, presque tout dit) : le “ on dit ” comme interprétation, comme énonciation réelle mais contestable : la Vulgate. “ on sait ” comme preuve documentaire? énoncé réel et non contestable (ex. Rimbaud écrit à Banville), bien que chez Michon, ce savoir ne s’appuie pas sur des références bibliographiques citées.

- certitude et incertitude du savoir, savoir et “ nescience ” : locuteur dépourvu qui avoue son ignorance, ses doutes. Cela correspondrait à une marque de non-fiction, du côté du travail du biographe soucieux de vérité. Mais ici, le locuteur s’appuie sur ces zones imprécises pour s’autoriser une interprétation du possible, de l’hypothétique. (92) Importance de la dévotion, du croire et vouloir croire (15) transformés en certitude. Par exemple, les séances de lecture que Rimbaud fit à sa mère “ ainsi que nous pouvons penser que souvent il le fit ” (18) sont décrites comme probables pour être ensuite certifiées : “ Dans ses petites années donc il disait sa poésie et elle l’écoutait, j’en suis sûr ” (18).

- Contraintes du biographe (d’où les “ on sait ”, “ on dit ”) et liberté contrôlée du romancier (qui énonce des si). Cohn dit quelque chose comme : le romancier doit s’aventurer là où ne se risquent pas les biographes. Ce que fait Michaud lorsqu’il imagine la séance photo, ou la lecture de Rimbaud à sa mère, à Verlaine.

- Utilisations multiples des pronoms, on, je, vous, nous, il impersonnel. Adresses multiples aux lecteurs. le point de vue adopté est celui de la communauté des lecteurs de Rimbaud, ce qui englobe Michon et plusieurs des lecteurs de Le fils Rimbaud : relations je (Michon) vous (lecteurs de Michon) et aussi je (Michon) nous (lecteurs de Rimbaud). Par exemple, le vous, fictif (le jeune Michon?), va servir de relais à Michon (“ Vous, jeune homme de Douai ou de Confolens … descendant de moto, ôtant votre Walkman … Penché par-dessus votre épaule dans la bibliothèque de Confolens je les ai regardé avec vos yeux ” 99).

4. Ancrage référentiel

univers référentiel, marqueurs de réalité : - exactitude des noms propres de personnes connues, ayant existé, de noms de lieux. Détails qui se vérifient. Fidélité au vécu. C’est bien du “ vrai ” Rimbaud qu’il est question.

- la vulgate comme référence : discours (plutôt que référence à des faits) qui existe réellement, de l’ordre du factuel. Mais la vulgate est contestable car elle est une interprétation mythifiante et donc déformante. Voir ce qu’en dit Michon p. 72-74 : en même temps “ tout y est ” et “ mais elle ne dit pas comment ”, “ C’est la Vulgate, et on ne saurait mieux dire, elle est sans bavure. On ne peut en débattre. On débat pourtant ”. Vulgate est histoire officielle mais histoire concoctée et donc, comme toutes les histoires, incertaine. Exemple à propos du “ génie ” de Banville aujourd’hui oublié : “ Banville n’était pas un poète faramineux — du moins il ne nous paraît plus tel, et de son vivant il parut : quelqu’un s’est trompé dans cette affaire, Baudelaire ou vous, moi ou Sainte-Beuve, Rimbaud ou la postérité de Rimbaud, comment savoir, les hommes de lettres sont futiles. ” (38) [c’est moi qui souligne]. Malgré l’accumulation de “ preuves réelles ”, ici paroles écrites, lues et rapportées, malgré tous les on dit et les on a tout dit, il n’y a pas de certitude, il y a même contradiction par rapport au génie de Banville. La vulgate se trompe, change d’opinion.

- utilisation peu fréquente des citations : références au poèmes de Rimbaud (Ma Bohème; saisons et châteaux 76), à ses paroles (“ le chapelet entre les mains de Verlaine dont Rimbaud dit exactement : un chapelet aux pinces ” 72) ou d’autres comme “ le vers personnellement ” de Mallarmé (70, 89). Ce sont des indicateurs d’énonciation réelle, mais l’utilisation des références est davantage poétique que biographique (plus intéressante en raison des stratégies d’écriture qu’elle assume qu’en tant que source ou preuve) : réitérations, expressions courtes, en italiques parfois, mais jamais de longues citations examinées pour leur développement sémantique ; aucune référence bibliographique qui en assurerait l’usage biographique. Mallarmé, sans être nommé, est présent car Michon lui emprunte des images (qui font probablement partie de la vulgate) : Rimbaud fille, Rimbaud aux mains de blanchisseuse, Rimbaud et le vers personnellement.

- statut particulier du référent iconographique (14, 19, 26, 41, 61, etc.): utilisation permanente et particulière de l’album photo (et aussi d’une peinture de Watteau) ; à mettre en relation avec les photos que l’on retrouve généralement dans les biographies. photos comme preuves du réel (statut du détail, comme la cravate qui penche, la moue boudeuse, etc.), mais aussi comme déclencheurs de rêverie. Donc à la fois au service du non fictif et du fictif . À propos de la photo de Carjat : “ Tout le monde connaît cet instant précis d’octobre. C’est la vérité peut-être, dans une âme et dans un corps; on ne voit que le corps (91) […] Et dans les vers, est-ce qu’on voit l’âme? ” (92).

- Michon regardant album photo : mode rétrospectif (imagine la scène d’époque) et introspectif (ce que pensait Rimbaud). par exemple, il imagine Rimbaud récitant son poème chez Carjat. Ou Michon invente l’existence (plausible) de la photo du père et la rêverie déclenchée chez celui qui la regardera lorsque cette photo sera retrouvée (19).

Car le sens qui tourbillonne et s’en va dans les Illuminations, vous avez pensé avec quelque raison que vous le retrouveriez là, dans les très simples portraits d’hommes qui vécurent. Vous avez vu ces hommes; vous avez interrogé leurs portraits dans la petite iconographie canonique; et feuille après feuille ces regards qui se sont posés sur la poésie personnellement ont bondi de la page vers vous. Page après page sous ces regards opaques vous vous êtes demandé ce que c’est qu’un témoin. (98)

indices de fiction d’ordre thématique : - invention d’épisodes : visite chez Banville, rencontre avec Izambard, Rimbaud faisant la lecture à sa mère, à Verlaine, récitant le “ Bateau ivre ” chez Carjat. Technique : posé comme hypothétique ou comme arrivant à quelqu’un d’autre (vous). Donc, il n’y a pas de fausseté énoncée. Puis, cela évolue dans le texte, l’hypothétique se transformant en certitude, le vous en Rimbaud, etc. donc une sorte de glissement progressif, du réel factuel et certifié, vers l’hypothétique, vers le fictif. - mère Carabosse et père Capitaine dans le cagibi intérieur : développement tout au long de l’ouvrage.

5. Thématisation de l’écriture, de l’oeuvre - réitérations d’expressions et d’images (les hommes de lettres sont futiles/ l’œuvre est ogresse, le clairon et les patenôtres) tout au long du récit de Michon. - Travail d’écriture, cohérence poétique du texte (leitmotive, correspondances entre chapitres), intérêt pour référence au texte, à la photo.

6. Hybridation, transposition, différentiation

- les photos commentées, plutôt qu’ajoutées au texte : différenciation par rapport à la biographie classique

7. Autre

1) Problématisation de la temporalité : - temporalité et éternité : de toute éternité, nous lisons les poèmes de Rimbaud, nous annotons la vulgate. - passage de la narration ultérieure (Rimbaud est mort, l’instance je partage le même présent que son lecteur) à la narration simultanée (je et lecteurs avec Rimbaud chez Izambard, donc ~1870). Dans ce dernier cas, on quitte le régime biographique sérieux.

2) Importance de la filiation, les deux parentèles, génétique et littéraire : - fils qui signifie poète, qui signifie artiste (86) “ le travail qui vous changera en fils perpétuel. Car l’œuvre est de race ogresse ” - question de filiations littéraires pour le poète qui écrit, mais aussi pour les lecteurs. nombreux épisodes qui racontent cette rencontre entre un texte de Rimbaud et un être : la mère, Izambard, Banville, Verlaine, etc. Rimbaud comme miroir (103). Michon impliqué en tant qu’écrivain et en tant que lecteur, racontant sa lecture et réfléchissant sur l’écriture, la poésie.