**1. Degré d’intérêt général** Pour le projet de quête et enquête : élevé Pour le projet de diffraction : faible En général : //Gros Mots// me paraît un excellent roman, qui prolonge sans aucun doute l’univers de Ducharme mais n’en comporte pas moins moult enjeux contemporains. **2. Informations paratextuelles** 2.1 Auteur : Réjean Ducharme 2.2 Titre : Gros mots 2.3 Lieu d’édition : Paris 2.4 Édition : Gallimard 2.5 Collection : Blanche 2.6 (Année [copyright]) : 1999 2.7 Nombre de pages : 310 p. 2.8 Varia : - **3. Résumé du roman** Fourni sur le site Internet de Gallimard Johnny, le narrateur, mène une vie infernale entre sa compagne, la combative Exa Torrent, et la trop grande amie qu'il appelle sa Petite Tare. Celle-ci est d'ailleurs l'épouse de son frère adoptif Julien. Johnny noue aussi des liens avec Poppée, serveuse dans ce genre de bar où le personnel féminin se trémousse devant les clients. Tandis que se déroule cette danse de mort, Johnny ramasse un journal intime en se promenant. Ce que raconte l'auteur de ces écrits, en qui Johnny voit un autre lui-même, c'est une vie comparable à la sienne, à celle d'Exa, de la Petite Tare, de Julien, de Poppée... On ne serait pas surpris si les deux histoires finissaient par se rejoindre. Dans l'une et l'autre se déploient l'art de Réjean Ducharme, son goût de la dérision, son chant de désespoir, et sa langue inimitable. **Résumé pour le projet de quête et enquête** Johnny vit une relation amoureuse « pénale. Vénale. » avec Exa, mais il réserve son amour pour La Petite Tare, avec qui il a essentiellement des échanges téléphoniques. Tout au long du roman, la relation avec Exa, tumultueuse dès ses débuts, se dégrade, et laisse Johnny à lui-même et à la lecture du journal intime de son alter ego, « Walter », trouvé dans un fossé au tout début du roman. Avec le temps, les jeux de spécularité qui lient Johnny et Walter se convertissent en un seul et même univers. Johnny prend conscience qu’il fréquente certaines des personnes dont parle Walter. Le lecteur se retrouve en quelque sorte dans un univers romanesque crypté, où l’un des enjeux de la lecture est de parvenir à déterminer si les deux univers évoluent en vases clos ou en vases communicants. Les relations amoureuses présentes au départ volent en éclats; Exa prend la fuite et la Petite Tare qui Julien, le supposé frère adoptif de Johnny, pour un joueur de piano dont elle s’éprend. Seul reste Johnny, à la fin, dans cet univers circulaire. **4. Singularité formelle** Le roman ne comporte aucune division en chapitres, il est écrit d’un seul trait. L’intégration de passages de nature diaristique à la trame principale, conjugué à cette prose continue, rend le départ entre les deux niveaux diégétiques un peu confus et participe à la fusion des histoires de Johnny et de Walter. **5. Caractéristiques du récit et de la narration** Le récit est écrit à la première personne et mené en narration autodiégétique. Au début du roman, le narrateur met la main sur un cahier, sorte de journal intime écrit par un dénommé Walter, dont il intègre certaines parties à son récit. Ces parties constituent un second niveau de récit qui, à la toute fin de l’histoire, rejoint le premier niveau diégétique. Ce mouvement fait du roman entier une métalepse atypique (atypique au sens où il est vraisemblable – mais néanmoins surprenant – que Johnny finisse par rencontrer les individus qui peuplent l’univers du journal qu’il a trouvé, puisque l’écriture diaristique est une écriture du réel). **6. Narrativité (Typologie de Ryan)** 6.3- Complexe L’intrigue serait complexe en raison du rapport qu’entretiennent les deux niveaux de récit, et non en raison de la multiplication de micro-récits. **7. Rapport avec la fiction** Il n’y a rien à signaler, l’univers est à n’en pas douter fictif dans son entièreté (du moins, on se permet de l'espérer). **8. Intertextualité** Comme toujours chez Ducharme, l’intertextualité est présente et il est possible de lui attribuer plusieurs sens. Cependant, elle semble ici moins marquée que dans la trilogie des romans de l’enfance ou que dans L’hiver de force. **9. Extraits significatifs** p. 18 - J’ai trouvé un trésor… Aux abords de la Pointe, entre les quenouilles et les roseaux panachés, dans cette jungle en train de se glacer où je me plais à m’introduire en passant, j’ai trouvé tout ouvert, tout de travers, comme jeté par-dessus bord, un plein cahier de vrais mots. De paroles. Les travaux et les jours, on dirait, d’un impossible auteur, un complexé des grandeurs, un épris dont on n’a pas cru les cris trop forts en métaphores… Et la première page, et c’est ce qui m’a rachevé, est datée d’aujourd’hui, sans préciser l’année… « Qu’osse tu cherches? » m’a lancé un jour un effronté de la Sûreté, à qui on avait dû signaler ma folie de marcher dans les fossés, m’accroupissant parfois pour observer le bienheureux appétit d’un bourdon, ou empocher un caillou même pas tout à fait rond. Tout à coup, cette interpellation, restée en suspens , me fait l’effet de se résoudre en révélation. J’avais l’air de traîner, sans but, mais j’étais guidé, j’étais piloté. Ce n’était pas pour rien que j’avais l’œil agité, le pied fourré partout. C’était pour me retracer, me recouvrer. Moi comme alter ego, moi comme autre voix, celle que je suis en réalité si je l’entends de l’extérieur, avec les autres. Pour me sauver en refusant qu’elle ait été jetée, qu’il en ait été fait un déchet. En la ranimant avec cette chaleur et ces soins.qu’on ne peut pas ‘aimer assez pour se les donner. Elle en aura besoin, traitée comme elle était bâillonnée à grands coups de x, étranglée par les ratures irritées et les surcharges à moitié biffées, dénaturée par les caviars, pâtés et autres dégâts causé par un évident dégoût. J’ai plus ou moins réussi à déchiffrer le « 8 décembre 197…». Je me suis retenu de continuer. […] C’est pas un tissu d’incohérences : les correction moules, soulignées, l’indiquent assez. p. 100 – Walter n’est pas d’un grand secours non plus en faisant de l’amour une affaire de nuls, en se tuant (en se rendant malade en tout cas) à démontrer qu’il faut y sombrer au lieu d’y monter. En quoi pourtant il me met en pleine figure une glace où je me distancie, je deviens un alter ego pour moi… Bri avait consenti, histoire de lui donner un coup de main « à la levée du corps », de lui téléphoner un baiser tous les midis. Puis, dans le feu de leur défonce à trois, elle lui avait hurlé de ne plus y compter, ni là-dessus, ni sur rien du tout… Il avait renoncé. Elle l’a relancé. p. 103 - Elle a ouvert le cahier au hasard, pour s’assurer que ce n’était pas l’histoire de sa vie. Elle se plaint d’être tombée sur des trucs infects, bien appropriés à la malpropreté des pages… Ah? Comme quoi?… J’insiste : un petit échantillon pour voir… Elle me fait un moulinet : cause toujours… p. 282 – Je suis comme un oiseau sur la branche. Et qui se cramponne… Elle ne comprend pas ça. Elle ne voit pas qu’on y a notre nid, que dans les feuilles tout est écrit. Qu,on ne tiendra plus à rien si ça ne tient plus. Elle ne saura plus où me trouver, elle n’aurai plus où se poser elle non plus. Elle se perdra elle aussi à chercher tout ce qu’on y a mis et on s’épuisera à ne plus savoir où revenir… Mais il ne s’agit pas de ça avec toutes les révélations qu’elle me réserve. « Tu as eu du flair. Walter est vivant, il est ton voisin, sur l’autre île. Personne ne le voit plus parce qu’il se remet mal d’une fracture à la mâchoire, qu’il a attrapée en se battant pour Sainte-Hélène, comme tu vas le lire à la fin du cahier. » Et cette Sainte-Hélène, qui est restée la consolation de son Napoléon, qui le visite et qui remue ses ennuis de mauvaise fille avec lui, ne fait qu’une en effet avec mon Hellhenn. C’est de Poppée, qui est sa « bitch » (sa meilleure), qu’elle le tient, et d’autres détails, même si elle s’est gardée de l’irriter en lui tirant les vers du nez. Le couple O.S.F.-S.F.A. est bien connu dans les entours, sous les noms de Sef et Sweet. La Too Much est une assez forte et encore assez belle personne usée par les travaux domestiques où elle s’est fait la meilleure réputation. Elle impose le respect, on la salue comme une dame. On ne comprend pas ce qui la fait se crever pour ce « vieux snoro » (du yiddish snooerer, bourdon, parasite, enjôleur, précise-t-elle). On a répandu que c’est une espèce de frère un peu sonné par la guerre et dont elle s’est chargée, par grandeur d’âme… Si elle allait se marier et si elle se cherchait une couturière, ce serait complet…