1. Degré d’intérêt général
Pour le projet de quête et enquête: Quête identitaire, élevée.
Pour le projet de diffraction: Élevé (collage de voix, éclatement identitaire), superposition designes, de «textes urbains»
2. Informations paratextuelles
2.1 Auteur : Régine Robin 2.2 Titre : La québécoite 2.3 Lieu d’édition : Montréal 2.4 Édition : XYZ2.5 Collection : Romanichels poche 2.6 (Année [copyright]): 1993 2.7 Nombre de pages : 224 p. 2.8 Varia : -
3. Résumé du roman
Résumé du roman Quatrième de couverture fournie sur le site de XYZ
Présentation faite par la maison d’édition: L’immigré fait souvent face à un difficile dilemme :devenir autre ou rester lui-même. Régine Robin, Française, mais aussi juive d’Europe de l’Est de par ses parents, rend compte de sa difficile intégration dans une ville qui la rebute d’entrée de jeu avant qu’elle la découvre par petits pans. Régine Robin nous livre son témoignage dans un style postmoderne qui déroute, surprend et captive le lecteur.
4. Caractéristiques du récit et de la narration
Robin met en scène une narratrice (écrivaine, immigrante) qui tâche d’écrire et de décrire l’expérience migrante. Le récit, séparé en trois sections (Snowdon, Outremont, Autour du marché Jean-Talon), se présente comme trois tentatives de raconter l’expérience d’intégration d’une immigrante d’origine juive dans la ville de Montréal. L’usage du conditionnel contribue à mettre à distance le récit, qui apparaît toujours s’inscrire dans un processus d’écriture, dans un processus de rédaction, dans le work in progress de la narratrice
5. Rapport avec la fiction Baroque. Autoreprésentation. Mise à distance de la fiction. Caractère ethnographique.
6. Intertextualité Références à Refus global (p.34) Nouvel ObservateurItalique et plusieurs journaux français (p. 61-62), américains, juifs (p. 65) L’éducation sentimentale (p. 78) Playboy et PenthouseItalique (p. 100) En attendant Godot, Madame Bovary (p. 103)Manifeste du F.L.Q.: (p. 119)Swann, Guermantes (p. 173)
7. Élément marquant à retenir / extraits significatifs.
POUR LA QUÊTE (identitaire)
1. Snowdon:
L’incipit résume bien la quête «générale» poursuivie par la narratrice: ce désir de dire le sentiment d’étrangeté provoquée par l’expérience migrante, de l’illustrer par des personnages, des voix féminines distinctes.
«Pas d’ordre. Ni chronologique, ni logique, ni logis. Rien qu’un désir d’écriture et cette prolifération d’existence. Fixer cette porosité du probable, cette micromémoire de l’étrangeté.Étaler tous les signes de la différence: bulles de souvenirs, pans de réminiscences mal situées arrivant en masse sans texture, un peu gris.» (LQ: 15 )
«Fixer cette étrangeté avant qu’elle ne devienne familière» (LQ: 15)
«Ton personnage doit bien avoir quelques contradictions, quelque fragilité. Intégrée au milieu anglophone, mais venant de Paris, il doit bien y avoir du manque quelque part.» (LQ: 60)
En filigrane se déploie la quête de stabilité du personnage migrant qui aspire à «mieux», à un confort qui lui est inaccessible:
«Ils auraient appelé une de ces agences, auraient mis leurs plus beaux vêtements. […] Ils auraient passé la journée à visiter des intérieurs avec des salons profonds, de grandes cheminées fleurant bon l’écorce de bouleau, des tentures africaines, des tableaux des salles de bains sorties des films d’Hollywood, des moquettes épaisses comme de la mousse. Fatigués par tout ce luxe inaccessible(elle aurait calculé que toutes leurs économies sur deux ans leur permettraient d’obtenir tout juste le quart d’une salle de bains) ils auraient fait savoir en fin de journée à l’un des préposés qu’il leur faudrait encore réfléchir » (LQ: 76)
Et toujours cette volonté, martelée, de dire la parole migrante, sans ordre ou hiérarchie. Ce segment inaugure et clôt la première section: «Pas d’ordre –ni chronologique, ni logique, ni logisles articulations sont foutues Il n’y aura pas de messie.Il n’y aura pas de récit Tout juste une voix plurielle une voix carrefour la parole immigrante.» (LQ: 90)
II. Outremont
Deuxième récit, la narratrice invente un nouveau personnage féminin, issu cette fois d’un milieu plus aisé, mais toujours habité par cette quête d’une parole et d’un lieu à s’approprier. En même temps, la narratrice cherche à créer une femme distincte d’elle-même, elle réalise qu’il lui est difficile de parler de l’expérience migrante en dehors de son propre vécu:
«Pourquoi faut-il que je lui donne tous mes traits et toutes mes passions?» (LQ: 97)
«LA PORTE REFERMÉE, UN PAYS, à soi quelque part. Pas étranger. -un lieu- Heim une maison-lit, indistincte dans une rue ombragée sur laquelle on ne viendrait plus jamais mettre des croix blanches, des marques ou des scellés. Une maison pour mourir de mort naturelle de vieillesse ou de maladie.» (LQ: 98)
«Je l’avais donc imaginée à Outremont épousant un avocat, ou un psychiatre, un professionnel entous les cas devenu sous-ministre ou haut fonctionnaire, passant une grande partie de la semaine àQuébec mais lui téléphonant tous les jours. Je l’avais imaginée essayant de s’intégrer à la bourgeoisie québécoise, des fleurs de lys en fer forgé partout accrochées à son balcon. On l’auraitvite élue dans quelque département de littérature ou de langue d’une université francophone. Elle donnerait des cours de littérature juive soviétique des années 1920-1930 […] » (LQ: 102)
Rapidement, la narratrice réalise que cette nouvelle version, ce nouveau récit de la femme immigrante intégrée dans un milieu aisé «sonne faux»:
«Je l’avais donc imaginée à Outremont. Mais tout cela clochait, mon stylo rechignait. L’inspiration tournait court, les phrases même se rebellaient et refusaient leur déploiement même syncopé. Rien de tout cela n’était crédible.» (LQ: 134)
«Ce personnage fantôme m’échappe. Impossible à fixer dans cette géographie urbaine, dans cet espace mouvant. Dès qu’elle est installée, intégrée, elle s’enfuit, déménage, et m’oblige à casser le récit alors que je commençais à m’y installer moi-même, à y prendre goût, à me reposer. Elle prend corps et dès lors s’enfuit, me fait la nique. Sais-je exactement où je la conduis, perdue entre ces conditionnels, ces présents et ces imparfaits?» (LQ: 138)
«Tout cela n’est pas crédible. Les rhododendrons ne poussent pas à Montréal. Si son mari avait vraiment été sous-ministre, ils auraient habité une belle maison à Sillery.» (LQ: 148-149)
Une sorte de nécessité de l’errance apparaît en filigrane dans le roman, elle est martelée à quelques reprises: (p.154): «ERRER […] ERRER» Ce récit se termine précisément de la même manière que le précédent (à quelques mots près). La femme immigrante rebrousse chemin, retourne en France dans un 747 Air-France, départ de Mirabel à 20h45: «Pas d’ordre –ni chronologique, ni logique, ni logis les articulations sont foutues Il n’y aura pas de messie. Il n’y aura pas de récit, [etc, etc] »(LQ: 167)
III. Autour du marché Jean-Talon
La narratrice rédige une troisième variante du récit de cette femme immigrante:
«Faudrait-il tout recommencer? La changer de quartier? d’espérance? Lui trouver un nouvel amant ou un autre métier?» (LQ: 174)
Il s’agit donc du récit d’«une Juive ukrainienne de Paris installée provisoirement à Montréal, donnant des cours dans des universités anglophones mais ayant appris l’espagnol au lycée à Paris.Ouf!» (LQ: 175) elle rencontre son amoureux leurs d’une soirée de l’association Québec-Cuba: un «Paraguayen, d’Asunciòn [qui a] fui[t] les prisons de Stroesner, et [a] échoué là.» (LQ: 175)
Encore une fois, la narratrice constate rapidement la discordance de son récit:
«Le texte m’échappe. Je le sens glisser. Sécrétions de pittoresque, épanchements. Ce personnage encore une fois m’échappe.» (LQ: 187)
La narratrice réalise que la mise en récit ne suffit pas à restituer avec justesse la parole et l’identité migrantes. Que le récit ordonne trop (?) l’expérience de l’étrangeté. Paradoxalement, la narratrice tâche d’ordonner, de consigner cette expérience:
«Tout noter. Ne rien oublier. L’urgence. Tout emmagasiner […] et ne plus rencontrer Montréal que par ses traces, signes, symboles, fragments sans signification, morceaux, débris, tessons hors d’usage. L’amour obsessionnel des listes, des inventaires, des archives. Historienne du rien, du fugace. Angoisse de la trace à garder. […] Ne pas faire le ménage […] Tout garder. Tout emmagasiner. […] Conserver toutes les traces. » (LQ: 203)
«La parole immigrante inquiète. Elle ne sait pas poser sa voix. Trop aiguë, elle tinte étrangement.Trop grave, elle déraille. Elle dérape, s’égare, s’affole, s’étiole, se reprend sans pudeur, interloquée, gonflée ou exsangue tout à tout. La parole immigrante dérange. Elle déplace, transforme, travaille le tissu même de cette ville éclatée. Elle n’a pas de lieu. Elle ne peut que désigner l’exil, l’ailleurs, le dehors. Elle n’a pas de dedans. […] La parole immigrante est insituable, intenable.» (LQ: 204-205).
Ultimement, le troisième personnage féminin mis en scène par la narratrice décide également de repartir en France, avec le même vol Air-France au départ de Mirabel. (LQ: 206)