Tiré du document: Glossaire des notions et étiquettes génériques

- Récits de filiation :

La question de la filiation devient prédominante à partir de 1980 et se décline en plusieurs plans (la collection « L’un et l’autre » en est sans doute le meilleur exemple) : « Depuis le retour du sujet dans les années 80, l’acte d’écrire s’avère lié à une enquête sur les origines et les ascendants, mais les « filiations » ne sont pas toujours biologiques : elles peuvent aussi bien être symbolique, interrogeant la généalogie de la littérature au lieu la généalogie de l’écrivain. » [Extrait de la fiche de Kim Leppik sur Blanckeman, Mura-Brunel et Dambre]

Le récit de filiation des années 80 et 90 implique à la fois la mise en question de l’héritage biologique et de l’héritage littéraire. Viart propose que ce souci de nos héritages biologique et littéraire a été provoqué par les crises de l’idéologie et de la représentation respectivement. Le sujet doit à la fois chercher, construire, et critiquer des discours sur son histoire biologique et littéraire. Au lieu de se situer en position d’imitation ou de rupture par rapport à la littérature antécédente, la littérature contemporaine privilégie un geste de lecture critique, devenant ainsi une lecture-écriture qui « installe en revanche au cœur de l’œuvre un principe dialogique […] qui à la fois porterait sur la question même de la création et se manifesterait dans sa pratique effective. […] C’est en effet l’une des grandes caractéristiques de la littérature présente que de traiter, dans les textes de création, de sa réception des œuvres du passé. » (Viart, 1999b : 132).

« Filiation » : Largement explorée à partir des récits qui interrogent explicitement la figure paternelle ou maternelle, la filiation peut aussi se penser en termes de linéaments d’un nouveau genre romanesque (par exemple, les écrivains regroupés sous l’étiquette de Minuit). [(Jérusalem, 2004) Formulé par Kim Leppik]

La quantité énorme de récits de filiation traduit une nécessité générale de notre époque, époque marquée par une « crise » de l’écriture, affrontée par une remise en question des repères, des valeurs, des références, des discours. En effet, il s’écrit à partir d’un manque, afin de savoir qui on est en interrogeant ce dont on hérite, ce qui nous hante. (Viart et Vercier, 2005, reformulé par Leppik)

« 1. Le récit de l’autre – le père, la mère, ou tel aïeul – est le détour nécessaire pour parvenir à soi, pour se comprendre dans cet héritage : le récit de filiation est un substitut de l’autobiographie.

2. Le texte s’accommode mal du modèle romanesque, et cherche à trouver une forme qui lui soit propre, hors du traditionnel cheminement autobiographique. […] Cette forme sera justement celle du récit de filiation qui traite avec le roman par la fiction que parfois il est obligé de construire et avec l’autobiographie par les dimensions factuelle et intime qui sont les siennes, sans jamais s’y résorber pour autant.

3. Le récit de filiation ne se déploie pas selon une linéarité chronologique restituée. Il est d’abord un recueil […] Il est ensuite, par la force des choses, une enquête.

4. Enfin ce type de texte pose la question de la langue. » (Viart et Vercier, 2005 : 77-78)

La filiation peut aussi être générique, comme dans le cas des « essais-fictions », ces « biographies réinventées » dont parle Viart, expliquant : « [C]ette forme qui (se) joue de la biographie interroge sa filiation générique et culturelle (comme aussi, mais c’est une autre question, les filiations biologiques […]). Elle en montre la dégénérescence en cessant d’être dupe de ses propres fascinations et des constructions qu’elles induisent, sans pour autant se refuser parfois le plaisir de s’y abandonner. » (Viart, 2001a : 340)


le récit de filiation comme une « forme de détour que l'écriture autobiographique a inventé pour mieux se survivre » (exemple de Philippe Forest qui revient sur le deuil de son enfant par le détour de la fiction biographique). (Viart et Vercier, 2005b)

le geste autobiographique est « inextricablement lié à la quête biographique » (Viart, 2007c: 118) récit des origines, biographie des ascendants, étude des conditions socio-économico-culturelles qui les régissent (Viart, 2007c: 121) (il y est question d'Ernaux, Rouaud, Bergounioux, Millet)

Absence du père, filiation :

« Plusieurs récits, comme celui-ci avec la figure du père, cherchent à combler un silence et à donner voix à une absence que le sujet ressent comme fondatrice. Le texte s’écrit comme un dialogue tantôt avec l’autre, figure intime dont la présence fait défaut, tantôt avec soi-même, sujet fondamentalement lacunaire parce que marqué par un deuil éprouvé comme irréparable. Quand la figure de l’autre prime, le sujet, projeté hors de lui-même, est conduit à interroger son rapport au monde et à reconstruire la réalité à partir d’un foyer d’absence. On peut penser, par exemple, aux nombreux récits de soi qui se présentent comme une recherche en paternité, qui tournent autour de la figure évanouie du Père et engagent par la même occasion une méditation sur l’Histoire et ses propres zones d’ombre […]. D’autres écritures généalogiques procèdent de façon plus symbolique : elles s’attachent à recréer les influences littéraires et artistiques qui ont infléchi le caractère de l’écrivain. Celui-ci se décrit alors de biais, au travers des figures d’écrivains et d’artistes fortement romancées, à la fois familières et étrangères. L’intimité se noue dans ce rapport en partie effacé à un autre-sien et se joue dans des transactions culturelles complexes. » (Blankeman, 2008: 487-488)