RÉSUMÉ: Ma tâche consistant en une sorte de métalecture du discours critique sur la littérature contemporaine québécoise, j’ai pu jusqu’à maintenant faire un repérage global des ouvrages traitant de ce sujet (voir la bibliographie jointe). Au départ, j’ai établi certaines hypothèses de lecture me servant de balises, soit celles des trois « générations » de critique qui représentent une sorte de lecture « en évolution » de la littérature contemporaine (voir les rapports précédents). Deux points me semblent donc importants pour ce rapport préparatoire : 1) donner un aperçu de la validité de cette hypothèse pour faire avancer l’ensemble de la recherche 2) revenir sur la question du contemporain et des problèmes méthodologiques qu’elle soulève.
En juin dernier, je présentais mes trois générations de la façon suivante :
1) la première représenterait un premier mouvement critique de configuration du contemporain par l’étude en continue de phénomènes qui annoncent une partie de la littérature à venir. On a conscience du schisme que constituent les années 1980, mais on étudie cette période dans une continuité, pour justement mettre en relief le changement qui se produit au tournant de 1980. On cherche encore, à cette période-là, à cerner la spécificité de la littérature québécoise. (Les ouvrages de cette « génération » sont publiés entre la fin des années 1980 jusqu’à environ 1995)
2) la deuxième reprendrait le principe de l’étude en continuité d’un phénomène particulier mais commence à théoriser davantage le contemporain. Elles se démarqueraient donc des études précédentes par un souci plus net de construire un regard théorique sur l’objet et aussi par une volonté de cerner non pas ce que la littérature québécoise a de particulier, mais bien comment elle s’inscrit dans un mouvement plus global de la littérature postmoderne. (Les ouvrages de cette « génération » sont publiés aux environs des années 1995-2001)
3) la troisième génération ferait quant à elle cohabiter les considérations théoriques avec la lecture du corpus contemporain de manière à inscrire la littérature québécoise dans la littérature occidentale et d’en démontrer le caractère universel. Ainsi, à cette période, il ne s’agirait plus de lire la production contemporaine dans une continuité (donc, par rapport à la production d’une époque antérieure), mais bien de façon transversale, par l’étude d’un phénomène particulier qui est représentatif de la période contemporaine dans son ensemble. (Ouvrages publiés environ à partir de 2001)
Bien que je n’ai pu – m’étant consacrée à des tâches collatérales au cours des derniers mois – approfondir autant que voulu mes lectures, j’ai tout de même eu l’occasion de raffiner mon hypothèse. En bref :
• Cette grille me semble toujours utilisable, mais avec prudence et en expliquant la pertinence d’inscrire tel ouvrage dans l’une ou l’autre des catégories. Dès lors, si cette hypothèse est utile parce qu’elle m’offre une grille d’analyse et d’interprétation des œuvres critiques, elle ne doit pas constituer l’analyse elle-même, car chaque œuvre s’inscrit dans l’une ou l’autre des catégories selon des paramètres différents. Ainsi, une œuvre publiée en 2000 peut très bien être représentative de la manière deuxième génération, mais emprunter certaines de ses postures aux autres générations.
• Il m’apparaît aussi que, dans une certaine mesure, la question de la datation de ces différentes générations est toujours à utiliser avec prudence, puisque l’idée de « générations » est plus globale que celle d’époque et regroupe surtout des individus (voire des œuvres critiques particulières), des visions et des méthodologies différentes. Il s’agit donc ici surtout de courants ou disons plutôt de trois manières différentes et générales de commenter la production contemporaine (il faudrait d’ailleurs comparer avec la France).
• Je considère toutefois comme certain que la critique elle-même évolue en même temps que la production qu’elle commente et qui, à son tour, en subit les influences. Par exemple, il est indéniable qu’une volonté de théorisation toujours plus grande de la littérature contemporaine (et de la littérature en général) ait accompagné une littérature qui est de plus en plus autoréflexive et critique.
Une réflexion sur le sujet me semble incontournable en guise d’introduction à la recherche en général (éventuellement de l’ouvrage collectif) puisque celle-ci s’intéresse (dans un premier temps) à la constitution du contemporain du point de vue critique – donc, cherche à occuper à la fois une posture critique et une posture métacritique. Si l’ambiguïté du terme a pu rendre ardue et arbitraire certains de mes choix de lecture, il m’apparaît tout de même qu’une réflexion sur le sujet est riche. Je me suis particulièrement attardée, au cours de mes lectures, à voir si le schisme que constitue l’année 1980 était souligné par les critiques et sur quel corpus ils faisaient porter leur lecture de la « production contemporaine ».
• Dès lors, si j’insiste sur l’ambiguïté du terme « contemporain », c’est que, dans les faits, je me retrouve devant deux catégories d’ouvrage : 1/ ceux qui entendent traiter de la production « contemporaine » (terme que l’on retrouve dans le titre ou dans le propos) et 2/ ceux qui traitent, pour des raisons diverses (ex : choix d’un angle d’analyse particulier) de la production « après 1980 ». Dans le premier cas, il n’est pas certain que le corpus soit constitué exclusivement d’œuvres publiés « après 1980 » ; dans le deuxième, il n’est pas certain que le critique cherche à porter un regard sur la littérature contemporaine mais peut faire prédominer son angle d’analyse et mettre le corpus au service de sa problématique.
• En conséquence, la posture critique est variable et la construction du discours sur le contemporain ne peut pas toujours, semble-t-il, s’imaginer sans l’apport de la production qui la précède (sauf rares exceptions, dont les ouvrages appartenant à la « troisième génération »).
• Qui plus est, la « rupture » que constitue le tournant de 1980 ou la nécessité de dater le « contemporain » depuis 1980 ne va pas forcément de soi lorsqu’il s’agit, comme je tente de le faire, de commenter la critique de cette période. Je constate par exemple que si plusieurs commentateurs considèrent qu’une rupture importante a lieu à partir de 1980 (Nepveu, Harel, Gauvin, Allard), d’autres font plutôt des années 1960 et 1970 le début de la littérature contemporaine au Québec (Paterson, Lamontagne, Hamel [dir.]). En fait, tout dépend de la perspective adoptée par le commentateur – et non pas forcément de sa proximité « historique » . Donc, au cours de mes lectures, je dois tenir compte de ce paramètre qui, à sa façon, vient cautionner mes hypothèses (la lecture en continu de phénomènes, caractéristique des deux premières générations).
• En contrepartie, proximité historique obligeant, les synthèses de la production « depuis 1980 » sont encore rares et, lorsqu’elles existent, insistent surtout sur le caractère éclectique de cette production (voir les rapports de Vivianne Asselin). En conséquence, cette proximité 1/ oblige les critiques à adopter un discours éclectique qui fait porter son attention sur des éléments épars de la production contemporaine et 2/ m’oblige à étudier un discours lui-même éclectique et difficilement synthétisable. Malgré cela, je pense que l’intérêt réside justement là, dans les questionnements méthodologiques qui sont soulevés et qui, à ma connaissance, n’ont pas été questionné au Québec comme l’a fait Dominique Viart en France dans « Écrire au présent : l’esthétique contemporaine » (2001). Qui plus est, il me semble que l’angle comparatiste sera très pertinent ici pour me permettre de mieux comprendre la posture critique québécoise.
Je me garde donc de faire, pour ce bilan, une lecture synthèse, attendant de voir de quelle manière le matériel déjà constitué (fiches de lecture accompagnées de réflexions critiques) peut permettre de répondre aux attentes et objectifs des chercheurs du projet.
(les œuvres qui ont été l’objet d’une fiche de lecture sont précédées d’un astérisque)
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