Table des matières

Rapport 2 - Juin 2010

Synthèse

Tentative : cerner le discours sur la construction du contemporain en littérature québécoise dans les documents traitant de questions plutôt institutionnelles

[Pierre-Luc Landry, 24 juin 2010]

Bibliographie :

BEUVE-MÉRY, Alain (2008). « Renaissance québécoise. Le nouveau dynamisme des éditions canadiennes francophones », dans Le Monde, Le Monde des livres, 28 novembre 2008, p. LIV2.

BORDELEAU, Francine (2001). « Le nouveau souffle de l’édition », dans Lettres québécoises, no 102, automne 2001, p. 13-16.

DE BELLEFEUILLE, Pierre, Alain PONTAUT et al. (1972). La bataille du livre au Québec. Oui à la culture française non au colonialisme culturel, préface de J.-Z. Léon Patenaude, Ottawa, Leméac (Dossiers).

GRÉGOIRE, Isabelle (2009). « Éditeurs sans limites », dans L’actualité, janvier 2009, [en ligne]. http://www.lactualite.com/shared/print.jsp?content=20081202_095252_1572& [Page consultée le 15 janvier 2009].

OBSERVATOIRE DE LA CULTURE ET DES COMMUNICATIONS DU QUÉBEC (2004). État des lieux du livre et des bibliothèques, Québec, Institut de la statistique du Québec (Gouvernement du Québec).

VANASSE, André (2001). « Éditorial. Portrait de l’industrie du livre », dans Lettres québécoises, no 102, automne 2001, p. 5-6.

VAUGEOIS, Denis (2005). L’amour du livre. L’édition au Québec, ses petits secrets et ses mystères, Québec, Septentrion.

Je retiens de ces lectures deux éléments importants qui dictent la structure de cette très courte synthèse :

1.La Loi 51 de 1981 : nouvelle donnée sur le début du contemporain ;

2.La fin du contemporain et le début de l’extrême-contemporain ? Une nouvelle génération d’éditeurs et le début de quelque chose (d’autre).

1. La Loi 51 de 1981 : nouvelle donnée sur le début du contemporain

Dans La bataille du livre au Québec. Oui à la culture française non au colonialisme culturel, Pierre de Bellefeuille s’intéresse surtout à l’affaire Hachette : selon lui, « [l]’invasion d’Hachette [sur le marché québécois du livre], vu les mœurs impitoyables et les tendances monopolisatrices de cette maison, met en danger notre littérature elle-même et le libre accès des Québécois aux lettres étrangères » (De Bellefeuille, 1972 : 19-20). Le livre retrace les différentes étapes de cette affaire et les arrêtés en conseil du gouvernement québécois concernant la participation étrangère au capital-action des librairies agréées. Cette affaire, selon le Conseil Supérieur du Livre, laissait planer une menace de censure au Québec : « Le groupe étranger qui contrôle une partie importante de la distribution et de la librairie peut, en poussant certains fonds et en éliminant les autres du marché, exercer une véritable censure sur la diffusion de certaines idées et de certaines philosophies qui intéressent la communauté canadienne et québécoise » (De Bellefeuille, 1972 : 67). L’attitude colonialiste de la France et le laisser-aller du gouvernement québécois sont vertement critiqués dans cet ouvrage plutôt partial et au ton journalistique. Néanmoins, je recommande la lecture de ce petit bouquin à quiconque ne connaît pas l’affaire Hachette et souhaite comprendre dans quel climat ont émergé, entre autres, la SODIC (Société de développement des industries culturelles) — « l’ancêtre de l’actuelle SODEC » (Vaugeois, 2005 : 28) —, créée en 1978, et les « États généraux du monde du livre » tenus la même année. Ces deux avancées ont mené, en 1979, au dépôt par Denis Vaugeois, ministre des Affaires culturelles, d’un projet de loi sur le livre le 19 juin 1979 qui a, à son tour, mené à l’adoption par le gouvernement de René Lévesque de la Loi 51, véritable moment historique si l’on en croit les documents consultés : Francine Bordeleau voit dans les années 1980 la consolidation de l’industrie de l’édition au Québec :

« Mais à ce compte, [écrit-elle,] il faudrait rappeler que l’édition québécoise, en tant qu’industrie, prenait son véritable essor dans les années soixante-dix seulement, et pouvait songer à la consolidation vers 1980, quand Vaugeois parvenait à faire adopter la Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre (communément appelée “Loi 51”) » (Bordeleau, 2001 : 14).

Pour sa part, André Vanasse en fait un « moment historique » :

« Cela dit, et une fois ma lecture terminée [la lecture du livre Les chiffres des mots : portrait économique du livre au Québec de Marc Ménard, paru en 2001], l’élément qui m’a paru le plus significatif dans ce livre est sans doute le constat que la loi 51 votée en 1981 a été un événement historique. Cette loi qui visait à protéger l’industrie du livre de la domination étrangère a littéralement sauvé l’édition québécoise et a permis à toutes les parties d’y gagner au change, particulièrement les libraires qui, soulagés de la concurrence déloyale que leur livraient les grands éditeurs étrangers, ont pu reprendre leur place d’intermédiaire entre l’éditeur et les institutions publiques qui s’approvisionnent en livres. » (Vanasse, 2001 : 6)

Néanmoins, les données rapportées par Bordeleau et Vanasse laissent croire que cette consolidation de l’édition au Québec par la Loi 51 n’a pas porté fruit avant les années 1990. À tout le moins, les chiffres démontrent que le domaine de l’édition a connu un « boom » assez spectaculaire entre 1989 et 1999 : le nombre de romans publiés a doublé, passant de 212 en 1989 à 462 en 1999 (Vanasse, 2001 : 5), tandis que « les ventes de livres québécois ont connu une hausse vertigineuse puisqu’elles sont passées de 5% du chiffre global des ventes au début des années soixante pour atteindre actuellement [en 2001] 43% du marché total du livre (dont 35% pour la littérature générale et 60% pour le marché scolaire) » (Vanasse, 2001 : 5). Bordeleau rapporte les dates de création de plusieurs « nouvelles » maisons d’éditions québécoises, à peu près toutes créées au milieu des années 1990 : les Éditions Trois-Pistoles, Docteur Sax et Lanctôt en 1995, Dramaturges Éditeurs, Robert Soulières et Alire en 1996, Varia et Planète rebelle en 1997, les Écrits des Hautes-Terres en 1998, Trait d’union et l’Effet Pourpre (maintenant disparu) en 1999, Point de fuite en 2000 et Les Allusifs en 2001. Je reviendrai au point 2 sur les maisons crées depuis 2001.

On traite donc 1981 et l’adoption de la Loi 51 comme un moment charnière dans l’histoire de l’édition au Québec dans le discours sur cet aspect plutôt institutionnel de la littérature contemporaine. Je suggère donc que l’on ajoute cette Loi 51 à la liste des événements et dates à partir desquels on peut périodiser le contemporain — on se rappellera que j’avais relevé, dans une synthèse précédente (traitant du DOLQ et de l’Histoire du Québec contemporain), le référendum sur la souveraineté en 1980, la dépression économique de 1981-1982, la remise en question de l’État-providence et une certaine rupture idéologique « qui tient à différents facteurs, parmi lesquels […] le vieillissement de la génération du baby boom jou[e] dans doute un rôle important » (Histoire du Québec contemporain, Tome II, p. 687) [Pour plus de détails, voir le document synthèse concernant ces ouvrages.].

2.La fin du contemporain et le début de l’extrême-contemporain ? Une nouvelle génération d’éditeurs et le début de quelque chose (d’autre)

Malgré la création de multiples nouvelles maisons d’édition dans la deuxième moitié des années 1990, l’Observatoire de la culture et des communications du Québec considère que l’édition québécoise a subi une période d’inertie entre 1994 et 2002 : « Il ressort de cette analyse [l’État des lieux du livre et des bibliothèques de 2004] que l’édition québécoise se caractérise par une évolution très rapide entre 1972 et 1994, suivie d’une période de stagnation qui s’étend de 1994 à 2002. Cette inertie serait surtout attribuable à la diminution de l’activité éditoriale des gouvernements et des établissements d’enseignement » (Observatoire de la culture et des communications, 2004 : 16 — le chapitre 6 du document traite de cette diminution plus en détails). Ce qui semble davantage intéressant dans cet État des lieux, c’est le rôle de moment charnière « projeté » que l’Observatoire donne à 2004-2005 : L’État des lieux du livre et des bibliothèques paraît à un moment bien particulier de la vie culturelle québécoise. En effet, il semble bien que cet automne puisse être le dernier d’une période où les façons de faire avaient acquis une certaine stabilité dans le monde du livre. Plusieurs éléments sont susceptibles de modifier, dans un proche avenir, les stratégies de tous les acteurs des domaines du livre et des bibliothèques : l’ouverture au printemps 2005 de l’édifice de diffusion de la Bibliothèque nationale du Québec, la mise en application du Plan d’action pour l’amélioration des conditions socioéconomiques des artistes, l’évaluation de plusieurs organismes gouvernementaux dans le secteur culturel annoncée par le gouvernement québécois l’été dernier, un certain constat de stagnation dans la chaîne commerciale du livre et, enfin, la reprise des négociations sur le commerce mondial et leurs effets probables sur la diversité culturelle. Dans ce contexte, l’État des lieux du livre et des bibliothèques se présente donc comme un bilan (Observatoire de la culture et des communications, 2004 : 3) .

Sans confirmer les impressions jetées en introduction à cet État des lieux, on assiste quand même depuis les dernières années à un « renouveau » éditorial au Québec. Le magazine L’Actualité, en 2009, affirmait que « [l]es éditeurs québécois de la nouvelle génération bousculent l’univers du livre » (Grégoire, 2009 : [en ligne]) : « Sa mort est annoncée depuis belle lurette, mais ce n’est certainement pas au Québec que le livre s’éteindra en premier » (Grégoire, 2009 : [en ligne]). L’article « Éditeurs sans limites » retrace le parcours de plusieurs nouvelles maisons d’éditions, toutes fondées dans les années 2000 : Les Allusifs et Marchand de feuilles en 2001, Le Quartanier en 2003, La Bagnole en 2004, Alto en 2005, Héliotrope et La Peuplade en 2006. Le journal français Le Monde, dans un article qui s’intéresse aux mêmes maisons auxquelles il ajoute Lux, fondée en 1995, coiffe ce « nouveau dynamisme des éditions canadiennes francophones » (Beuve-Méry, 2008 : LIV2) d’un titre plutôt sensationnel, sinon étonnant : « Renaissance québécoise » (Beuve-Méry, 2008 : LIV2). Les différentes sources consultées — document gouvernemental, périodique d’actualité et cahier livres d’un grand journal français — semblent toutes trois pointer du doigt une nouvelle période, un nouveau moment dans la littérature québécoise. Serait-ce donc une « preuve concrète » de l’existence de ce que certains appellent « l’extrême-contemporain » ? Cela reste à voir, je ne peux bien sûr pas conclure à partir de quelques documents à peine. N’empêche qu’on sent bien que quelque chose d’autre est en train de se mettre en place. Du point de vue institutionnel, 2004-2005 marque un moment charnière. Du point de vue éditorial, il semblerait que le mouvement de « renouveau » ait été entamé au milieu des années 1990, mais on traite surtout des maisons fondées depuis 2001 lorsqu’il est question de cette « nouvelle génération ».

Je ne propose pas avec cette synthèse que l’on marque immédiatement le contemporain d’une date butoir ; toutefois, j’ai voulu porter à votre attention cette impression qui se dégage de mes recherches que l’on assiste au début de quelque chose d’autre ; la période que l’on fait généralement commencer en 1980 serait peut-être différente, à bien des points de vue, de celle que l’on voit émerger depuis quelques années