Rabaté, Dominique, Le Chaudron fêlé : écarts de la littérature, Paris, José Corti, « Les Essais », 2006.

L’usage de la métonymie est très répandu, en tant qu’il affecte le projet d’écriture : son statut même, « comme possibilité à partir d’un morceau, à partir d’un fragment de réel, de déplier sur l’axe syntagmatique du récit la reconstitution du tout du monde, du réel en son intégralité », fait l’objet d’un travail critique de l’écriture (p. 45). La question de genre n’est pas prioritaire, c’est plutôt dans la force de « l’écart », « le travail aux marges, dans les espaces indécidables, ou le refus d’assignation générique » que la littérature contemporaine ne cesse de « remettre en jeu et en mouvement les formes héritées. » (p. 80) L’opposition fiction/diction ne tient plus, car les deux régimes sont donnés en même temps, habitent le même espace textuel, coexistent, ce qui est emblématique d’un temps et d’une « conscience de l’écart qui sépare, comme de l’intérieur, chacune des modalités narratives », où l’énoncé de la vérité « s’expose au soupçon de fictionnalité. » (p. 114) Ainsi, « entre une impossible diction et une fiction insuffisante (c’est-à-dire qui ne saurait plus exister par elle-même), la littérature contemporaine invente une formule instable, un mixte problématique » (p. 127-128). L’écart peut également jouer dans le rapport instable entre « le biographe, le sujet singulier d’une vie » et « le biographe, l’inventeur imaginaire de ce qui se dérobe à la vue, à la trace historique […]. Il s’agit bien de produire un romanesque sans roman » (p. 180), des « vies imaginaires contemporaines » (p. 181). « Ce romanesque singulier (au double sens du terme : particulier et aussi de la singularité même) qui isole tel détail troublant, qui va au bord de ce qui échappe à tout témoin, là où l’expérience est à la fois absolument unique et totalement impersonnelle, me paraît conduire à l’idée suivante : ce qui fait la qualité éminemment romanesque d’une vie, c’est d’être presque rien. » (p. 182) Apparaissant à partir de la fin des années 80, ce nouveau genre revendique un espace d’énonciation particulier qui maintient l’indécision entre je et il/elle, entre archive et imaginaire, entre invention et mémoire, entre oubli et gloire, entre proximité et distance. (p. 224)