FICHE DE LECTURE

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Michel Schneider Titre : Maman Lieu : Paris Édition : Gallimard Collection : L’un et l’autre Année : 1999 Désignation générique : aucune, mais la collection ne comprend que des biographies Cote :

Biographé : Marcel Proust

Bibliographie de l’auteur : Chez Gallimard : Blessures de mémoire (1980), Voleurs de mots (1985), Glenn Gould, Piano Solo (1988), Bleu passé (1990), Un rêve de pierre (1991), Je crains de lui parler la nuit (1991); aux Éditions du Seuil : la Tombée du jour, Schumann (1989), la Comédie de la culture (1993), Baudelaire, les années profondes (1995).

Quatrième de couverture : vierge

Préface : aucune

Rabats : 1er rabat : Écrit par Michel Schneider, il explique que « Entre maman et son petit Marcel se consommait l’insignifiance légère du langage. » Maman était la conteuse, la parole privée. « Puis, un jour, elle mourut. Il écrivit. » D’un côté, Maman méritait tout l’amour de Marcel. D’un autre côté, c’est en s’en détachant que Marcel a pu devenir Proust. Schneider termine en écrivant que « La Recherche est une longue lettre adressée par Marcel à maman pour lui dire que finalement, elle n’était pas son genre. » Il est à noter que cette formule – assez superbe – n’est reprise nulle part dans le corps du texte. Nulle part ailleurs Schneider ne répète ni n’approfondie explicitement cette comparaison entre la relation entre Swann et Odette et la relation entre Marcel et Maman. 2ème rabat : À propos de la collection « l’Un et l’autre ».

Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : Photographie de première de couverture : Proust debout près de sa mère, assise (d’après photo anonyme, vers 1896). Dédicace : « À la mémoire de ma mère, et en mémoire de son père » Étrange formule! Quoi qu’il en soit, elle montre la part de subjectivité de l’auteur dans la biographie. « Maman », c’est aussi la mère de Schneider. Épigraphe : « Le seul vrai mot, c’est : reviens. » Rimbaud à Verlaine, Londres, 5 juillet 1873.

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : L’auteur est bien le narrateur. Si on sent bien sa présence subjective, le « je » est assez rarement utilisé. Il l’est cependant lors de quelques prises de position biographiques : « Si je ne crois pas que son dernier mot fut « Maman », c’est parce que les dernières pensées de Proust furent pour son livre. » (p.272)

Narrateur/personnage : Le narrateur n’est pas un personnage de son ouvrage.

Biographe/biographé : Schneider donne parfois l’impression de « faire du Jean-Paul Sartre », c’est-à-dire qu’il semble projeter ses propres caractéristiques psychologiques sur Proust. Du moins ses interprétations sont-elles souvent fort cavalières, très psychanalytiques, et fondées sur peu de faits.

Autres relations :

L’ORGANISATION TEXTUELLE

Synopsis : Schneider interroge le « devenir écrivain » de Proust à travers sa relation avec sa mère (et un peu avec son père). En confondant un peu trop la vie et l’œuvre de Proust, il dit que Maman et Marcel ont eu une relation très privée, faite de paroles, de contes, de fiction (« Fais comme si je ne le savais pas. »), de citations; faite d’un pacte d’amour et de haine inconnue, d’un interdit d’écrire. Pour Maman, Marcel pouvait être homosexuel (ce qui élimine les rivales), mais ne pouvait être écrivain. En écrivant, Marcel « s’affranchit de son homosexualité et de sa mère […] » (p.32) « [L]a véritable correspondance [de Proust à sa mère] s’intitule Jean Santeuil et surtout À la recherche du temps perdu. » (p.82) C’est en quelque sorte l’équivalent féminin du « tentative pour sortir de la maison du père » kafkaïen. Avant, c’est Maman qui était Shéhérazade ou Esther, et Marcel le prince ou Assuérus; maintenant, c’est Marcel qui usurpe la place de la mère et devient le conteur. « Écrire, c’est prendre la place d’un autre […] » (p.118) Maman a initié Marcel à la lecture, mais jamais à l’écriture. En écrivant, Marcel renie la langue maternelle, « il se fait une langue étrangère dans laquelle il s’exile. » (p.167) Il sort de l’idolâtrie et de l’iconolâtrie dans lesquelles s’est enfermé Swann. De prisonnier Proust devient geôlier : « Le langage dans la Recherche échoue à faire revenir Maman, mais le langage de la Recherche la gardera prisonnière à perpétuité, internée enfin dans ma chambre. » (p.197) Schneider reconnaît également la part du père dans le devenir écrivain de Proust. La mère est du côté de la parole; le père du côté de l’écriture, dans le domaine du public. Ce serait grâce à lui que Proust aurait quitté le domaine du privé, de la confidence, du secret (de la porte, dit Schneider), pour se rendre dans le domaine du public, de l’écriture (de la fenêtre).

Ancrage référentiel : Les lettres et les œuvres citées, ainsi que les témoignages et les anecdotes rapportés, sont véridiques.

Indices de fiction : S’il y a fiction, c’est dans l’interprétation de Schneider qu’elle se trouve. Celui-ci se situe plus près de la borne herméneutique qui confère tous les droits au lecteur (ou au biographe) que de la borne qui confère tous les droits à l’auteur. Si elles sont séduisantes, ses interprétations sont très osées. La catégorie la plus cavalière est l’onomastique. Schneider arrive à lire n’importe quoi dans chaque nom qu’il analyse. Par exemple, comme le dernier mot de Proust fut « Robert » (son frère), le biographe y entend le dernier son Er : « Er fut la syllabe finale qui franchit les lèvres de Marcel, cette syllabe qui désigne ce qui durant toute sa vie d’asthmatique lui manqua, l’air. » (p.270) Ou encore, Schneider parle de ce canapé que Marcel a « fait transporter au bord d’elle » (p.268) ! C’est presque un calembour à la Cottard! Et les exemples de ce genre ne manquent pas.

Rapports vie-œuvre : Comme je l’ai dit, Schneider bafoue la volonté de Proust et confond sa vie et son œuvre (« c’est une construction », avait-il pourtant dit). Cependant, il le fait après avoir analysé un peu cette question (avec Sainte-Beuve, entre autres). Il dit d’abord que l’œuvre imite la vie : « Si l’œuvre et la vie étaient deux étrangères, pourquoi faire mourir l’amante mais non aimante Albertine d’aun accident de cheval, comme Alfred, l’amant aimé, s’était tué le 30 mai 1914 aux commandes d’un aéroplane tombé en mer Méditerranée? » (p.28) Il dit ensuite que la vie imite l’œuvre : « Lorsqu’il s’était inscrit à son club d’aviation, Agostinelli avait choisi comme pseudonyme Marcel Swann. » (p.29) Comme Citati (la Colombe poignardée), Schneider souligne la mauvaise fois intellectuelle de Proust à l’égard de Sainte-Beuve : « Dans ses propres travaux sur des écrivains, il [Proust] n’hésite pas à interpréter l’œuvre à la lumière de la vie de l’auteur. » (p.58) Schneider lance aussi ceci : « [L]a vraie vie de l’écrivain, c’est son œuvre. » (p.60) En somme, que le baiser maternel se déroule dans la Recherche ou dans la véritable chambre à coucher du jeune Marcel Proust, pour Schneider, cela n’a pas d’importance ni d’incidences sur son raisonnement et ses interprétations psychologiques.

Thématisation de l’écriture et de la lecture : Le « devenir écrivain » de Proust est au centre de la biographie Maman. Le biographe répond à cette question ainsi : Marcel est devenu Proust en s’affranchissant de sa mère, en passant de la lecture à l’écriture. Écrire, au risque de déplaire à Maman : voilà la liberté de Proust selon Schneider.

Thématisation de la biographie : Le biographe aborde la méthode biographique de Sainte-Beuve pour montrer que Proust la partage et pour justifier la confusion qu’il opère entre la vie et l’œuvre de l’écrivain. Sinon, Schneider ne parle de la biographie que lors de rares prises de position comme ici : « Certains biographes ajoutent qu’inconscient, un peu plus tard, on l’entendit murmurer : « Maman. » (p.270) – ce que réfute Schneider.

Topoï : La filiation, la mère, la présence, l’absence, la lecture, l’écriture, la parole, l’homosexualité, la judéité, la maladie, la loi, l’affranchissement, la sexualité, le secret, le manque, le père, la mort, l’enterrement.

Hybridation : Cette biographie emprunte surtout à deux genres littéraires : la critique psychanalytique et l’essai psychanalytique. Le premier genre s’applique à l’analyse que le biographe fait de l’œuvre de Proust; le second à l’interprétation de sa vie, laquelle tourne autour d’une thèse : Marcel est devenu Proust en se détachant de la loi de sa mère.

Différenciation :

Transposition : Si Schneider relève des transpositions du vécu de Proust dans son œuvre littéraire, il ne semble pas procéder lui-même à des transpositions très intéressante (si ce n’est la transposition du discours psychologique et psychanalytique dans le genre de la biographie).

Autres remarques :

LA LECTURE

Pacte de lecture : Le 1er rabat laisse espérer une explicitation de cette idée séduisante selon laquelle Proust aurait été affublé d’une mère qui n’était pas son genre. Or il n’en est plus question passé le rabat. Toutefois, le titre s’avère être un bon indicateur, ainsi que la collection : c’est bien une biographie « à mille lieues de la biographie traditionnelle. » (2ème rabat)

Attitude de lecture : C’est une biographie aussi superbe qu’étonnante, aussi séduisante que cavalière. Elle se lit avec un plaisir qui n’est interrompu que par les délires interprétatifs du biographe (bien que ceux-ci soient souvent amusants ou séduisants) et par la lecture de l’œuvre comme si c’était un journal intime, ou mieux encore une transcription d’une séance de cure psychanalytique.

Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage