FICHE DE LECTURE INFORMATIONS PARATEXTUELLES Auteur : Henri Raczymow Titre : le Cygne de Proust Lieu : Paris Édition : Gallimard Collection : L’un et l’autre Année : 1989 Désignation générique : aucune Cote : Biographé : Marcel Proust (ou plutôt Charles Haas…) Bibliographie de l’auteur : Chez Gallimard : la Saisie (récit), Scènes (nouvelles), Bluette (roman), Contes d’exil et d’oubli, Rivières d’exil (roman), « On ne part pas » (roman), Un cri sans voix (roman), Maurice Sachs ou les travaux forcés de la frivolité (biographie). Quatrième de couverture : vierge Préface : aucune Rabats : absents du volume de travail : livre relié (la collection présente habituellement deux rabats). Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) : Auteur/narrateur : Le narrateur homodiégétique (le « je » de la biographie) ne s’identifie jamais, mais le lecteur présume qu’il est l’auteur, Raczymow. D’autant plus qu’il dit être écrivain (p.21). Narrateur/personnage : Le narrateur est un personnage de l’intrigue. En fait, il est le personnage principal de l’enquête qu’il mène sur Charles Haas (et Swann). Biographe/biographé : L’auteur contourne à peu près Proust mais veut sortir Charles Haas de l’ombre, lui donner une importance et une pérennité. Autres relations : La quasi-totalité de la biographie tourne autour de la relation entre un personnage historique, Charles Haas, et un personnage fictif, Charles Swann. De manière souvent humoristique, Raczymow soutient la thèse qui veut que le premier soit à l’origine du second. L’ORGANISATION TEXTUELLE Synopsis : Le narrateur-personnage, dont on apprend dans le deuxième chapitre que le père – et donc lui aussi – est Juif, enquête sur Charles Haas, un Juif mondain (un clubman) que Proust a un peu connu et dont il se serait inspiré pour créer son Charles Swann (aussi Juif). Il rencontre quelques descendants de Charles Haas (comme son arrière-petite-fille), consulte les archives de la Bibliothèque Nationale, mais son enquête est surtout une réflexion. Proust aurait avoué s’être inspiré de Haas (le lièvre) pour son personnage de Swann (le cygne) tout en précisant qu’il est « rempli d’ailleurs par moi d’une humanité différente » (p.51). Selon le narrateur, cette humanité, c’est Proust! C’est une manière, en tant que Juif (Proust était Juif par sa mère), de réussir l’impossible, c’est-à-dire de gravir l’échelle des « castes » et devenir un clubman tenu en haute estime comme Charles Haas. C’est une manière de se venger, par jalousie. D’où « l’acharnement sadique de Proust touchant la physiologie de Swann et l’aspect que la maladie, plus tard, lui conférera […] » (p.35) : il se venge de Haas avec l’arme de la littérature, n’étant pas à la hauteur dans le champ de la mondanité. « Pour le reste, l’aspect social et mondain, c’était tout le contraire : une extrême sophistication qu’il [Haas] partageait entièrement avec Swann, et avec laquelle Proust, malgré tous les efforts qu’il ferait, ne parviendrait jamais à rivaliser. Il lui fallut, à Proust, trouver autre chose pour se faire remarquer : écrire des livres. » (p.172) À la toute fin, le narrateur songe à son entreprise. Il se dit que Proust n’a pas sauvé Haas de l’oubli comme il l’avait d’abord pensé, et il cite Proust lui-même : « Un livre est un grand cimetière où sur la plupart des tombes on ne peut plus lire les noms effacés. » (p.191) Il se rend alors compte que sa « biographie » était une tentative pour contrer cette effacement du nom de Haas… et le sien propre. Ancrage référentiel : À travers l’enquête, une foule de renseignements (que je n’ai pas vérifiés) sont mis au jour. Il s’agit surtout de faits qui concernent Haas : son apparence physique, son attitude, son ascension mondaine, sa généalogie (qui prend beaucoup de place), etc. Indices de fiction : Le narrateur emploi souvent le nom « Swann/Haas ». Il désigne ainsi les deux personnages – fictif et réel – en même temps (à noter : il ne met pas un trait d’union entre les deux noms, comme il le fait ailleurs pour d’autres personnages). Il y a ainsi une sorte de confusion volontaire du fictif et du réel. En fait, à un certain moment, le narrateur dit se trouver hors des catégories de la fiction et de la réalité : « Je pensai à toute une constellation de figures qui ne tenaient plus pour moi ni sur la rive de la fiction, ni sur celle de la réalité, mais ailleurs, au sein d’un rêve. Qui n’était autre, sans doute, que le rêve, un rien baroque, de mon livre. » (p.168) Rapports vie-œuvre : Le rapport vie-œuvre est ici singulier : le narrateur aborde surtout le rapport entre la vie de Haas et l’œuvre de Proust. Il montre que le réel (la vie) s’infiltre dans le fictif (l’œuvre), soit, mais aussi que l’œuvre elle-même informe la vie : « C’est intéressant, ce mouvement qui consiste, au rebours de la démarche inverse et plus banale, à puiser dans la fiction pour informer le réel. » (p.16) Parfois, l’œuvre corrige même la vie : « Le roman l’emporte en véracité sur le réel : il lui arrive de rectifier ce que la réalité peut avoir, parfois, d’un peu bancal. » (p.169) C’est une constante chez les biographes de Proust que de relever cette réciprocité entre la vie et l’œuvre. Thématisation de l’écriture et de la lecture : Écrire par envie, pour se venger de la réussite mondaine de Haas. Écrire pour tenter (en vain) de sauver Haas de l’oubli. Ou plutôt, écrire pour tuer Haas, pour le coucher sur le papier, à jamais. Thématisation de la biographie : « Le temps, l’oubli, la mort des témoins, des contemporains, font que l’œuvre n’est plus bientôt le palimpseste de la réalité. Et c’est pourquoi, peut-être, l’humble biographe, fourmi consciencieuse d’une entreprise récriée, biographe qu’en l’occurrence nous ne sommes pas, est une manière de nécrophage, ou de nécrophore : il a affaire à la mort, et doublement : il a besoin d’elle pour que son objet soit clos et à jamais ficelé comme un quartier de viande à quoi il est à présent réduit […]; et en même temps, cette mort, il la récuse, il la tient en horreur, il voudrait passer outre, et, par son travail même, c’est comme s’il prétendait l’abolir. » (p.61) Voilà ce qui semble constituer la thèse biographique de Raczymow : le biographe se nourrit de la mort et tente de la vaincre. La postérité du biographé, si elle existe, est une postérité spectrale. Par ailleurs, le Cygne de Proust présente un important intertexte biographique : le Perroquet de Flaubert. Déjà, le titre ne trompe pas. En plus, le narrateur avoue que son projet de biographie de Charles Haas a germé après la lecture du lire de Julian Barnes : « Vantâmes les mérites du livre de Julian Barnes, Le Perroquet de Flaubert […], dont c’était la lecture ravie qui m’avait un jour, aussitôt, et bien que ce n’eût pas de rapport direct, intimé d’aller voir du côté de chez Haas. » (p.48) Le narrateur ment quand il nie tout rapport direct : comme chez Barnes, le narrateur étudie le modèle (perroquet ou Haas) qui, transposé, a donné le personnage (Loulou ou Swann). D’ailleurs, Haas et Swann, le lièvre et le cygne, sont métamorphosés par le narrateur en animaux. En plus, Raczymow use presque autant de l’humour que Barnes, comme ici, par exemple : « Les autre, Verdurin ou Germantes confondus, seraient-ils trop bêtes pour comprendre? C’est vous qui l’avez dit. » (p.131) Dans cet exemple, le narrateur intime le lecteur avec humour comme le fait souvent le narrateur de Barnes. Topoï : Fiction, réalité, judéité, réussite et échec, mondanité, écriture, postérité, mémoire et oubli, généalogie, enquête, document retrouvé (comme chez Barnes), vies parallèles, biographie. Hybridation : Emprunt au genre des vies parallèles. Emprunt à la critique, qui est parodiée (surtout, peut-être, la critique à la Sainte-Beuve, qui établit un parallèle entre la vie et l’œuvre; ou encore la critique d’influence). Emprunt au « genre » de la généalogie. À voir : emprunt au bestiaire… Différenciation : Transposition : Le biographe étudie la transposition du vécu (de Proust et de Haas) dans la Recherche. Autres remarques : Quand on y pense, il apparaît que Raczymow reprend la forme biographique des vies parallèles et y apporte cette modification fort intéressante : de ces deux vies mises en parallèle, l’une est imaginaire, fictive. « Oui, Swann et Haas ont maints traits communs et peu communs, qu’ils partagent d’ailleurs chichement avec quelques autres, mais bien fol serait celui qui les confondrait. » (p.9-10) Le biographe traite des deux personnages comme si tous deux étaient réels, comme si Swann avait eu une vie, semblable à la vie de Haas. LA LECTURE Pacte de lecture : Attitude de lecture : Lecture amusée, un peu assommante par moments, quand le narrateur abuse de la généalogie (ce qu’il admet, disant qu’il pourrait remplir des pages et des pages d’informations généalogiques). Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage