Table des matières

Porosité - Rapport de recherche 1

AOÛT 2013 - PAR MANON AUGER

1. Remarques générales et observations

La recherche s’est effectuée autour de diverses notions et concepts : porosité, hétérogène, éclectisme, etc. Les notes de lecture regroupent des citations et des réflexions tirées des articles qui pourraient alimenter notre réflexion, mais ne cherchent pas à rendre compte des articles eux-mêmes.

Le document est principalement divisé en deux parties :

  1. les textes qui font état d’une hétérogénéité de la production contemporaine, entérinant le constat d’une impossible saisie de la littérature québécoise contemporaine
  2. les textes qui traitent de notions qui se rapprochent de celle de « porosité », qu’il nous faudra définir.

Pour mémoire, des extraits de la demande de subvention se trouvent en annexe de ce document.

Quelques constats préliminaires :

2. Notes de lectures

A) Hétérogénéité et constat d’éclatement

Asselin, Viviane (2009) « Fuites. Prosopopée de la recherche sur le roman contemporain québécois contemporain », dans René Audet (dir.), Enjeux du contemporain, Québec, Nota Bene, coll. « Contemporanéités », p. 21-47.

Article qui servit de point de départ à la réflexion sur « l’hétérogénéité » du contemporain lors de la demande de subvention – sur la défaite de la critique face à la production. Une des remarques les plus importantes de Vivane est que l’éclectisme et le désordre de la production romanesque contemporaine conduit à deux choses : 1/ l’impossibilité supposée d’une synthèse (« obstacle à l’avancée des recherches ») 2/ Une nostalgie face aux décennies passées qui fait elle-même obstacle à la lecture du corpus actuel. (31)

Autres notes :

Asselin souligne que le constat d’hétérogénéité du roman actuel par la critique est vécue de façon différente, suscite des réactions différentes pour chacun d’eux : « L’hétérogénéité de la production immédiate divise en effet les chercheurs et dévoile, selon la position défendue, un ensemble de qualité variable. » (30) Il y aurait tantôt des nostalgiques (Gilles Marcotte, François Ricard), tantôt des plus enthousiastes.

Parmi les plus enthousiastes, Janet Paterson qui se félicite du « moment d’épanouissement » du roman québécois : « Moment de dynamisme créateur et d’innovations formelles, d’interrogations multiples et de remises en question fondamentales. Moment, aussi, où la pluralité et l’hétérogénéité dans la fiction suscitent de nouvelles interrogations dans les champs de la pensée critique et théorique. » (dans Moments postmodernes dans le roman québécois, 1993 : 129-130) Asselin note aussi, à propos de Paterson : « Elle accueille la diversité et l’incertitude moins comme le signe d’une déchéance que comme un moteur pour la réflexion, comme un moyen pour s’ouvrir à de nouvelles voies de recherche, à rebours «des modèles stéréotypés et des attitudes figées» ([1990] 1993 : 130). » (30) Autre critique positive : celle de Biron, dans sa chronique Voix et Images en 2005. Toutefois, il s’agit d’un changement de cap pour Biron, puisqu’en 2000 il était plutôt du côté des défaitistes. (Voir les notes de lectures sur Biron). L’enthousiasme se traduirait de la façon suivante : « Contre l’épuisement est brandie la vitalité du roman, dont on vante le ludisme, l’hybridation générique, les avancées formelles, l’approche renouvelée de la fiction narrative. » (30)

Asselin attire aussi l’attention sur la nécessité de ne pas lire la production présente en fonction de la production passée : « L’aggiornamento esthétique à l’œuvre depuis quelques années se veut autrement plus subtil et complexe qu’une simple variation négative – ou même positive – de ce qui précède. » (31)

Nbp. 9. « D’étroites relations semblent aujourd’hui se tisser entre la création et la critique : un même attachement au détail, une même attitude nostalgique et endeuillée et, d’un tout autre ordre, la fictionnalisation de l’acte critique dont fait état Dion. À cet effet d’ailleurs, pourrait-on concevoir que le discours qui s’occupe de littérature contemporaine et qui, on l’a vu, se fait plutôt rare, se trouve là où on ne l’attend guère, c’est-à-dire dans une partie des fictions récentes ? » (38)

Je veux retenir, de l’extrait suivant, l’idée que le roman contemporain se plaît dans une sorte d’hésitation, dans l’exploration et l’interrogation : « Si les propositions du roman québécois contemporain étaient radicalement nouvelles, si elles se tenaient à l’avant-garde de la littérature, on pourrait comprendre la difficulté du discours critique à l’apprivoiser. Il n’en est rien : tout porte à croire que la période contemporaine privilégie l’exploration et l’interrogation plutôt que la contestation et l’invention. Peut-être s’agit-il, en définitive, de la raison du malaise actuel : en plus de l’hétérogénéité de la production, qui gêne le geste rassurant de rassembler et d’étiqueter, le roman d’aujourd’hui n’occupe pas, comme par le passé, une position franche. Il hésite et semble même se plaire dans cette hésitation, dans ce no man’s land où la critique, lorsqu’elle ne le condamne pas, se hasarde en petit nombre à ses risques et périls. » (42)

Ricard, François (1988), « Remarques sur la normalisation d'une littérature », Écritures (Lausannes), no 31, p. 11-19.

Intérêt de l'article (repérage) : Dans un article intitulé « La valeur 'modernité' en littérature québécoise » (Dans Construction de la modernité au Québec, 2004: 288), Élisabeth Nardout-Lafarge parle d'un « champ littéraire désormais caractérisé par la coexistence sans tension de codes esthétiques différents, voire opposés » et renvoie à cet article de François Ricard.

Intérêt réel de la réflexion proposée:

Son point : À cause d’une certaine profusion et de l’éclectisme, on ne pourrait plus saisir la littérature. Il s’agit d’une réflexion un brin provocatrice qui peut servir de base pour stimuler une réflexion sur ce qu’on entend faire.

« Dès lors, tenir un propos globalisant sur la littérature québécoise, si ce n’est, tout simplement, parler encore de “littérature québécoise”, devient aujourd’hui pour le moins problématique. » (12) « C’est que la profusion est aussi diversification. S’il était encore possible, dans les années 1970, de discerner une certaine direction d’ensemble, une certaine communauté d’inspiration ou de préoccupation parmi les œuvres et les auteurs, ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui, tant règnent la multiplicité, l’extrême diversité des voix, des thèmes et des formes. Partout, c’est l’éclatement. Sur le plan idéologique, les grands courants rassembleurs qu’ont été le nationalisme, le socialisme ou le féminisme ont perdu beaucoup de leur pertinence et de leur attrait auprès des écrivains. Sur le plan formel, on assiste à la fin d’un certain consensus esthétique axé sur la recherche de modernité, au profit d’un pluralisme, d’une sorte d’éclectisme où cohabitent toutes les tendances sans qu’aucune puisse s’autoriser de quelque prééminence que ce soit. » (13) « […] il n’est plus guère possible aujourd’hui, sous peine de simplification, d’enfermer dans une définition univoque, ni même de décrire comme un tout cohérent, la littérature qui se publie présentement au Québec; la variété, l’éclatement, la coexistence des thèmes et des formes y sont trop grands pour laisser voir quelque courant commun ou central vraiment significatif. » (15)

BIRON, Michel, François DUMONT et Élisabeth NARDOUT-LAFARGE (2007), Histoire de la littérature québécoise, Montréal, Boréal.

Le contemporain marqué par le décentrement et le pluralisme : « Qui dit pluralisme dit bien sûr un ensemble de voix singulières qui ne se laissent pas aisément réduire à des catégories ou à des courants comme ce pouvait être le cas dans les périodes antérieures. Toute synthèse paraît vouée à l’échec, tant les nuances d’écriture sont nombreuses. Comment rendre compte de l’éclatement contemporain sans tomber dans la simple énumération ? Comment parler en détail d’écrivains singuliers si aucun d’entre eux ne se démarque franchement, si l’effet dominant demeure “l’égalité des voix” dont parle André Brochu à propos de la poésie ? » (535)

Ils proposeront donc plusieurs petits chapitres sur divers courants qui ne se recoupent ou ne se prolongent pas nécessairement, mais ils précisent :

« On peut toutefois se faire une idée de l’évolution générale en observant certains enchaînements particulièrement significatifs : les trois premiers chapitres portent sur le roman, qui domine largement la production littéraire contemporaine ; les trois chapitres suivants examinent des textes et des œuvres marqués par la question identitaire, de l’écriture migrante au corpus anglo-québécois en passant par la francophonie canadienne; trois autres chapitre portent sur des corpus appartenant à des genres définis, le théâtre, puis des genres spécialisés comme la nouvelle ou la littérature pour la jeunesse, enfin l’essai et la critique savante; les trois chapitres subséquents abordent surtout la poésie, mais pas seulement, puisque l’intimisme sera aussi examiné à travers les nombreuses fictions qui s’y apparentent. Ces chapitres font ressortir l’imprécision des frontières génériques en régime contemporain, ce que confirme le dernier chapitre, qui reprend la question de la subjectivité à partir des fictions de soi qui apparaissent au tournant des années 2000. » (535)

Cependant, il me semble que ces « enchaînements significatifs » sont malgré tout assez fragiles. Il n’y a pas nécessairement de suite logique mais plutôt différents chapitres consacrés à différents phénomènes regroupés selon leurs affinités génériques, que ce soit par l’affirmation d’une suprématie (le roman) ou, justement, pour faire « ressortir l’imprécision des frontières génériques en régime contemporain » (535)

GREIF, Hans-Jürgen et François OUELLET (2004), La littérature québécoise 1960-2000, Québec, L'instant même.

« Par la présence insistante de ces voix venues d’ailleurs, auxquelles se mêlent de plus en plus celles d’auteurs autochtones […], par la diversité des thèmes et des approches théoriques face au texte, la nouvelle et le roman québécois contemporains se présentent, à l’heure actuelle, sous le signe de l’hétérogène, du fragmentaire, où le regard se détache de plus en plus du passé pour se tourner vers le présent et l’avenir. » (2004 : 38)

YOKEN, Mel B. (2000), « Entretien avec Gilles Marcotte », The French Review, vol. 73, no 5 (avril), p.944-952.

À la question « Que pensez-vous de la relève littéraire québécoise? », Marcotte répond entre autres qu’il n’est pas certain qu’on puisse parler de relève, qu’il n’y a plus de mouvement fort comme dans les années 60 ou 70. Puis : « Nous nous trouvons, en somme, devant un paysage éclaté, divers, qu’il est à peu près impossible de ramener à l’unité. J’ai tendance à dire que la poésie québécoise, aujourd’hui, est morte, mais que des poètes sont vivants; que les romanciers québécois, un à un, existent plus fortement que le roman québécois dans son ensemble. En toute honnêteté, il me faut ajouter que cette observation vient peut-être – mais en partie seulement, en partie! – de ce que je suis un peu fatigué de voir l’institution littéraire québécoise se gonfler de son importance, et que donc je suis de plus en plus porté à ne m’occuper que de tel ou tel écrivain en particulier. » (951)

BIRON, Michel (2005), « Le chaos dedans et dehors », Voix et images, no 89 (hiver), p. 133-139.

« Les quatre romans ou récits réunis dans cette chronique appartiennent à l’évidence à des esthétiques très différentes, même si l’on retrouve dans chacun d’eux un je à la quête de lui-même. Encore une fois, comme c’est presque toujours le cas avec la littérature contemporaine, il paraît futile de chercher à tout prix une ressemblance formelle ou thématique quand c’est justement l’hétérogénéité de ces je qui les caractérise. Deux remarques toutefois permettent d’établir, pour conclure, un certain rapprochement. Tout d’abord, il est frappant de voir à quel point les quatre je sont seuls au monde, même lorsqu’ils sont entourés d’amis ou de proches. Le lien qu’ils entretiennent avec la société est extrêmement fragile. Il exclut d’ailleurs toute forme de violence ou d’agressivité. Au contraire, ces personnages se distinguent par leur résignation, leur fatalisme. Au lieu de s’opposer au monde, ce qui serait une façon d’y participer, ils penchent vers l’abnégation et l’effacement de soi. La seconde remarque concerne justement ce monde extérieur si pâle, si peu rassurant. Que ce soit la maladie, la mort, le suicide annoncé ou le meurtre crapuleux et gratuit, chacun de ces romans est placé sous le signe d’une fin abrupte. Il n’y a aucun refuge qui vaille : c’est au coeur de la vie intime que le désastre éclate soudain. Nous ne sommes pas à l’ère des grands bouleversements sociaux. Dans ces quatre fictions, il n’y a pas la moindre guerre, pas la moindre révolution, pas la moindre crise sociale. Pourtant, même si le bruit et la fureur du monde semblent lointains ou étouffés, on ne parvient jamais à oublier qu’il y a, pour reprendre l’expression de Paule Noyart, « le chaos dedans et dehors ». » (2005 :139)

Note : les quatre romans sont Pierre Monette, Dernier automne, Montréal, Boréal, 2004. Paule Noyart, Les pékinois de monsieur Chang, Montréal, Leméac, 2004; Nelly Arcan, Putain, Paris, Éditions du Seuil, 2001; Rachel Leclerc, Visions volées, Montréal, Boréal, 2004.

BIRON, Michel (2004), « Premiers romans », Voix et images, no 87, (printemps), p. 153-159.

Biron parle ici de quatre « premiers romans ». Après avoir souligné combien chacun est unique – et que la littérature contemporaine est difficile à regarder de façon globale, il trouve aussi des traits communs.

« […] À la lumière de ce rapprochement, on serait tenté d’esquisser le portrait de la nouvelle génération d’auteurs et d’indiquer dans quelle direction évolue le roman actuel. Mais ce qui caractérise surtout ces premiers romans, c’est de n’avoir guère de caractéristiques communes, ni par l’écriture, ni par les thèmes, ni par les références géographiques, sociales ou littéraires. Chaque texte crée son monde, souvent à partir d’une expérience personnelle, donc irréductible à des racines collectives. C’est peut-être un trait de notre époque que d’aborder les choses par le petit bout de la lorgnette, comme si toute perspective générale, tout regard en surplomb, toute ambition totalisante étaient forcément suspects et réducteurs. » (2004, 153, je souligne)

B) Divers concepts dans diverses réflexions critiques (autour de « porosité »)

i.Hétérogène

L’Hérault, Pierre (1991), « Pour une cartographie de l’hétérogène : dérives identitaires des années 1980 », dans Sherry Simon, Pierre L’Hérault, Robert Schwartzwald et Alexis Nouss (1991), Fictions de l’identitaire au Québec, Montréal, XYZ (Études et documents), p. 53-114.

Intérêt de l'article (repérage) : Ce qu’Audet, dans son chapitre « Labilité », en dit : « Au Québec, le recours le plus significatif au concept de l’hétérogène s’observe dans le discours de Pierre L’Hérault (1991). La particularité de cet usage s’affirme d’emblée : l’hétérogène y est un mode de caractérisation étroitement lié aux questions identitaires. Relevant également de la postmodernité, il vise toutefois une dimension absente du discours critique français : les enjeux socio-identitaires de la production littéraire récente. La littérature québécoise s’articulerait désormais à la tension de l’identitaire et de l’hétérogène. Elle ne pourrait plus être pensée comme complétude, mais comme ouverture, la diversité (linguistique, culturelle, idéologique) n’y étant plus perçue comme une menace, mais comme le signe du réel inévitablement multiple. Elle se laisserait travailler par sa périphérie, sa marge, son étrangeté, devenant le lieu d’échange et de circulation des imaginaires. L’hétérogénéité s’introduirait de la sorte par trois brèches : celle de la critique du discours nationaliste (François Charron), celle de l’écriture immigrante (Régine Robin) et celle de l’écriture au féminin (France Théoret). »

Intérêt réel de la réflexion proposée :

Audet résume bien ce qu’il y a à tirer de cette réflexion qui se veut « fragments d’un inventaire de l’hétérogène » (60). Il y a une volonté de théorisation un peu complexe et chantournée du concept d’hétérogène, qui, « au cours de la décennie 80 », « s’implante et se ramifie dans le champ discursif québécois » (104).

Son hypothèse : « […] je propose que la littérature québécoise s’articule désormais sur la tension de l’identitaire et de l’hétérogène. Elle ne peut plus être pensée comme complétude, mais comme ouverture, la diversité n’y étant plus perçue comme une menace, mais comme le signe du réel inévitablement multiple. Espace transfrontalier de la liberté et du désir, elle ne se construit plus seulement à partir d’un centre fixe, mais se laisse travailler par sa périphérie, sa marge, son étrangeté, devenant le lieu d’échange et de circulation des imaginaires. » (56)

Méthode proposée : « Pour éviter le plafonnement ou le piétinement, il faut, me semble-t-il, voir l’hétérogène non comme pure extériorité, mais aussi comme intériorité du discours culturel et littéraire québécoise, en d’autres mots l’y dépister à l’œuvre. » (107)

L’HÉRAULT, Pierre (1993), « L’espace transfrontalier de la recherche », dans François DUMONT et Louise MILOT (dir.), Pour un bilan prospectif de la recherche en littérature québécoise, Québec, Nuit blanche éditeur, p. 241-259. (Coll. « CRELIQ, Série Séminaires », 5.)

« Comment prendre réellement acte de l’hétérogénéité identitaire, culturelle et littéraire qui s’impose comme une donnée incontournable de la réalité québécoise de manière explicite depuis les années 1980 ? Comment en rendre compte, c’est-à-dire comment la réfléchir, la conceptualiser : préciser les formes et les configurations qu’assume la pluralité culturelle, les façons par lesquelles le texte littéraire questionne les frontières de l’identité, articule les différences ? » (1993 : 241)

Si c’est la question identitaire et culturelle qui intéresse davantage L’Hérault et son équipe, reste qu’il souligne dans cet article le concept d’hétérogène qui est, selon un sous-titre, un « concept utile ». C’est dans Fictions de l’identitaire au Québec que ce concept a d’abord été mis à l’épreuve, là où il s’oppose à l’homogène de l’identitaire d’avant les années 1980.

Moser, Walter et Régine Robin (1989), « Réflexion critique sur l'hétérogène », Études littéraires, Vol. 22, no 2, automne, p. 155-161

Intérêt de l'article (repérage) : Le résumé : « Les deux auteurs proposent une réflexion critique qui fait retour sur les articles réunis dans ce recueil. Si l'envergure interdisciplinaire et historique de l'objet “hétérogène” paraît illimitée, l'apparition en force de cet objet aujourd'hui est néanmoins liée à un intérêt de connaissance qui émane d'une conjoncture précise: le passage du modernisme au postmodernisme. Dans cette conjoncture, il s'agit d'expliciter clairement les enjeux épistémiques de la connaissance de l'hétérogène. »

Intérêt réel de la réflexion proposée: À ma connaissance, une des rares réflexions théorique sur l’objet « hétérogène ». Elle est basée sur les études d’un dossier et les articles qui composent ce dernier se concentrent surtout sur le tournant du XXe siècle, dans un passage de la modernité à la postmodernité. Néanmoins, certains éléments de réflexion liés à ce terme me semble pertinent pour mieux comprendre et caractériser certaines phénomènes contemporains.

« Il semblerait donc qu'on puisse articuler la question générale de l'hétérogène à partir d'objets très divers. Ce qui nous amène à formuler le soupçon qu'elle ne réside pas vraiment dans la nature de l'objet. » (155)

« De ce résultat involontaire il y aurait peut-être une leçon à tirer, ou du moins une hypothèse à formuler : les phénomènes hétérogènes se concentrent dans certaines situations, se multiplient à certains moments historiques. On peut interpréter leur cumul comme le symptôme d'un état de crise. Voilà, à peine esquissée, une problématique à laquelle on accède par l'étude de l'objet hétérogène. » (156)

« La problématique de l'hétérogène n'est-elle pas davantage, ou du moins autant, dans le regard de l'observateur que dans l'objet observé? » (156) […] Nous vivons aujourd'hui une de ces crises et il faut y répondre. Il s'agit d'une crise globale. Quel statut peut bien y prendre l'hétérogène? Dans quelle langue en parler? Quel discours, quelle parole tenir? » (157)

« La conjoncture nouvelle a opéré un décentrement des pratiques d'écriture et de langage, des pratiques formelles, à la faveur de divers phénomènes : l'entrée dans les circuits de la lecture d'une masse formée à l'écoute des médias, à l'image, au changement rapide de sujet; l'hétérogène sous tous ses aspects : l'écriture féminine (qui a beaucoup plus bouleversé le paysage littéraire que certains ne l'auraient souhaité), les écritures minoritaires, « ethniques », comme on dit; l'hybridité culturelle inscrite dans la fiction, le métissage, toutes les formes de ce que Scarpetta appelle «l'Impureté » ; les polysémies et polyphonies de toutes sortes; l'interdiscursivité et l'intertextualité généralisées. Tout a été transformé, bouleversé, dans le réemploi, le mime parodique, le déplacement, la répétition. L'hétérogène langagier selon nous travaille le texte littéraire comme une bordure, une frontière, créant de l'opacité là où tout semblait familier, des écarts, des fissures, de la fragmentation, du nomadisme, de la migration des signes, un exil dans l'écriture, pour retrouver la position de Kafka. Travail donc de l'inter-langue, rapport imaginaire que l'écrivain entretient avec sa langue maternelle et avec les autres langues, rapport d'amour, de haine, de rejet, d'ambivalence, de fixation, de transparence illusoire, rapport spéculaire narcissique, etc. » (159)

« Ce qui menace cette hétérogénéité, c'est le retour à de l'un, à de la retotalisation, à de la reterritorialisation, soit dans le sens d'une écriture de best-seller, soit dans la position de l'écrivain porte-parole, soit dans le rêve d'un messianisme linguistique. Pensons à Zamenhof autrefois et à sa tentative de création d'une langue universelle — l'espéranto — ou encore à la tentation de la généralisation d'une langue véhiculaire comme l'anglais de nos jours un peu partout. » (159-160)

Watteyne, Nathalie (2007), « Liminaire », Dossier : « Spécial écritures hétérogènes », Jet d’encre, no 10. En ligne : http://jetdencre.ca/numero-10-ete-2007/ .

Intérêt de l'article (repérage) : Dossier spécial d’une revue de création, articulé sur une réflexion plus théorique sur la notion d’hétérogène :

« Les écritures de l’hétérogène : elles sont marquées par des jeux de langages, de voix et de caractères, l’alternance de vers et de prose, les changements de registres et de tons. Une telle pratique certes n’est pas neuve, ni n’est réservée à une génération d’écrivains, dits modernes ou postmodernes. » « Ce dixième numéro de Jet d’encre se veut un hommage aux écritures ouvertes, qu’elles soient allègrement baroques et foisonnantes, ludiques, tendres ou iconoclastes. Mais rien n’est simple quand on se penche sur des récits ou des poèmes brefs qui ne peuvent se résumer à un discours univoque ou à une tonalité particulière, mélancolique ou exaltée. Dans les poèmes, une constante ressort de l’usage de la prose en alternance avec le tableau en vers : les éléments de récits qui se mêlent au dispositif poétique permettent de dire autrement la subjectivité à travers les pensées ou les gestes d’un personnage. »

Intérêt réel de la réflexion proposée : C’est le seul texte qui, à ma connaissance, se rapproche de notre conception du contemporain et, plus encore, du concept de « porosité » par lequel nous souhaitons interroger le corpus récent. Il y a des esquisses de pistes pour saisir les effets que produit l’hétérogène. Par exemple : « Qu’elle soit patente ou non, la diversité des formes, des tons et des registres permet de composer avec de l’altérité, et un interdiscours qui renvoie à la communauté, dont le sujet se moque, contre lequel il se révolte ou qu’il rejette. » Ce texte pourra servir de points de départ à notre réflexion, tout comme l’autre texte de Watteyne que j’aborde ici, et qui reprend cette notion dans une analyse.

WATTEYNE, Nathalie (2007), « Hélène Monette ou l'insoumission lyrique: L'Hétérogène comme discours d'opposition », Études canadiennes/Canadian Studies : Revue interdisciplinaire des Études Canadiennes en France, no 63, décembre, p. 121-130.

Intérêt de l'article (repérage) : Intérêt de voir si Watteyne avait poursuivi sa réflexion sur l’hétérogène dans d’autres articles. Ici : « Les formes de l’hétérogènes dans l’écriture de Monette peuvent être abordées sous différents angles, dont la plupart relèvent de l’énonciation poétique : jeux de langage, de voix et de caractères, mélanges de vers et de prose, changements de registres et de tons. » (121)

Intérêt réel de la réflexion proposée :

Watteyne semble la seule à véritablement utiliser « l’hétérogène » comme élément de réflexion et d’analyse d’œuvres, et ce qu’elle en dit/fait me semble rejoindre les objectifs projetés de l’équipe.

Elle propose le concept « d’hétérogénéité lyrique » : « Ni fictif ni autobiographique, le sujet lyrique est foncièrement problématique, et instaure par là une relation spécifique avec le destinataire. En multipliant les systèmes de références ouvertes [sic] – linéarité brouillée, ruptures de tons et transitions brusques, sauts spatio-temporels, discontinuité narrative – l’écrivain invite le lecteur à accepter cette ouverture, c’est-à-dire à expérimenter une identité complexe. Qu’elle soit patente ou non, l’hétérogénéité permet ainsi de composer avec de l’altérité, et un interdiscours, qui renvoie à la communauté, dont le sujet se moque, contre lequel il se révolte ou qu’il rejette. Mais au lieu de faire la promotion de valeurs de rechange, par l’adoption d’un contre-discours, ce sujet semble se dérober, et apparaît difficile à cerner, comme c’est le cas de plusieurs textes d’Hélène Monette. » (2007 : 124)

Son analyse de la poésie d’Hélène Monette sous l’angle de l’hétérogène : « Outre la réticence comme mécanisme rhétorique d’opposition et réponse au kitsch ambiant, ce qui frappe, dans ces textes en vers et en prose, aux formes, à la syntaxe et aux rythmes variés, est l’inscription d’un désir, contrarié, désenchanté, lucide, rendu par une accumulation de traits signifiants. La série de tableaux urbains qui nous est présentée, de même que la discontinuité entre vers et prose, les ruptures de constructions, les téléscopages culturels et les ratages du sujet constituent autant d’éléments au service de ce style. Ainsi le sujet s’engage-t-il dans son discours. À cet égard, l’hétérogène apparaît non pas comme une stratégie d’évitement, mais, bien au contraire, comme la marque d’un engagement personnel d’un sujet qui dit par là même sa sortie de l’enfermement esthétique ou social. Ni didactique comme le discours univoque ni confiné au non-sens comme l’hétéroclite, l’hétérogène est poétique quand il débrouille le non-dit. » (129)

Samoyault, Tiphaine (2001), « L'Hybride et l'hétérogène », dans Doumet, Christian, Lagny, Michèle, Ropars, Marie-Claire, Sorlin, Pierre (dir.), L’Art et l’hybride, Saint-Denis, France, Presses Universitaires de Vincennes, p. 175-186.

Intérêt de l'article (repérage) : Titre. Définitions des deux notions que sont l’hybridité et l’hétérogène.

Hybridité : « émane d’une forme, issue de plusieurs types d’interactions, d’un rapport constant et assumé à l’altérité » Hétérogénéité : « présente l’avantage de la dynamique en étant un principe actif vers la forme » * « La distinction révèle, me semble-t-il, quelque chose de notre place dans le langage : et l’hybride peut signaler le cadre de cette place tandis que l’hétérogène peut apparaître comme sa conséquence poétique, son principe d’expression. » (175)

Intérêt réel de la réflexion proposée :

Elle semble appliquer de façon très large ces concepts, tant aux sujets de l’Histoire qu’aux questions de genre, par exemple. Il y a beaucoup de divagations sur les rapports entre la prose et la poésie.

À propos des genres : « Il est évident que la combinatoire, la démultiplication des lignes de récit, la suspension de la voix sur un blanc, l’intercalage du poème peuvent donner au roman des traits hétéroclites, semblent éventuellement le dénaturer. Il me paraît au contraire qu’ils permettent de ménager une place par rapport au langage, une place dans la prose. » (180)

À propos d’une certaine esthétique postmoderne : « Le courage du nouveau correspond à cela : non à l’originalité pour l’originalité, mais à une présence de l’hétérogène qui surprend, déplace et met en œuvre une vision nouvelle. […] L’hétérogène dépend ainsi d’un point de vue, ou plus généralement de la réception. » (185)

ii. Porosité

Nicoletta Dolce (2012), La porosité au monde. L'écriture de l'intime chez Louise Warren et Paul Chamberland, Québec, Nota Bene.

Elle propose de parler d'une “porosité au monde” (c'est un concept qu'elle forge, mais que j’ai retrouvé dans d’autres travaux sur la poésie – dont ceux de Béatrice Bonhomme, section « titres rejetés »)

- L’intime aurait deux versants, investirait deux espaces : d’un côté, « l’espace de la petite histoire, investie d’amour et d’affectivité, meublée par des objets ordinaires et quotidiens, habitée par les êtres proches souvent revisités par le philtre lacunaire de la mémoire, vécue en tant que lieu d’encellulement du moi, d’exaltation d’un narcissisme qui peut frôler l’hyperintimité et susciter le voyeurisme. D’autre part, il y a l’espace de la grande histoire, ce que je nommerais la dimension de la porosité au monde. » (2012 : 25) C’est aussi ce qu’elle appelle plus loin « la visée duelle de l’intimiste contemporain » : « l’élan vers une dimension historique universelle et le repli dans un espace individuel peuplé par les souvenirs et les objets les plus communs […] » (28).

- La « porosité au monde » ne « se veut jamais fusion, mais plutôt échange affinitaire » (310). Elle se concrétise dans un rapport à l’autre, par un « désir de se laisser habiter par l’autre qui, en se révélant, nous révèle. En d’autres termes, le sujet ne vit pas à travers l’autre, mais par l’autre refonde son centre, retrouve ses assises. Tout en étant conscient de sa fragilité et de sa porosité, il refuse la perte de la subjectivité qui conduirait, inévitablement, à l’irresponsabilité. » (317)

Lefebvre, Marie-Thérèse (2012), « Porosité des pratiques. Étanchéité des discours: réflexions sur l'analyse de la diffusion musicale radiophonique au Québec entre 1922 et 1939 », Globe: revue internationale d'études québécoises, vol. 15, no 1-2, p. 65-81.

Intérêt de l'article (repérage): Titre de l'article; porosité entre les musiques classique et populaire; recherche d'une méthodologie qui pourrait être applicable à d'autres corpus

Intérêt réel de la réflexion proposée:

- L'auteure rappelle les avancées de l'interdisciplinarité depuis 1980 (plus valorisée): « Mais au début des années 1980, l'amorce des études multidisciplinaires en histoire culturelle a ébranlé cet édifice construit sur une approche antinomique du savant et du populaire. » (2012 : 66)

- Elle rappelle également que certains phénomènes de porosité ne sont pas propres au contemporain. Pour ma part, je postulerais que nous sommes plus enclin à l'accepter et à le valoriser. Elle travaille sur l'exemple de la radio: “Par ses politiques éditoriales et ses choix musicaux, la radio de l’entre-deux-guerres aura donc largement contribué à multiplier les genres, à créer une porosité entre le savant et le populaire et à introduire dans le paysage sonore une culture « classique » de masse.” (2012: 72)

- Une remarque sur le clivage entre savant et populaire, dont la frontière est rendue poreuse par une culture radiophonique particulière (c'est l'objet de l'article), donne à penser que, en jouant de ses deux registres à la fois, on tente de gagner sur les deux front, soit à la fois légitimation et succès populaire, mais aussi démocratisation de la culture. Voici la citation: « En rendant poreuses les frontières musicales étanches établies par ce mouvement américain entre les différents genres musicaux, soit par des émissions au contenu varié, soit par la manipulation du répertoire classique et populaire, la radio a réussi à créer un genre radiophonique typique qui formait une sorte de zone grise où il devenait difficile, voire impossible pour le critique, de distinguer le noble du trivial, le savant du populaire, le bon du mauvais, le sain du malsain. Cette stratégie, offrant un dégradé subtil des genres musicaux, a permis à la radio de se développer et de conquérir un large public, de « démocratiser la culture » tout en éliminant le caractère moral attribué à la musique par la « genteel tradition ». » (2012: 79-80)

Autre remarque :

Dans son article, Lefebvre fait référence à l'interdisciplinarité et cite le texte d'introduction de Micheline Cambron : « La pratique de l’interdisciplinarité […] s’appuie sur le postulat de l’enchevêtrement des pratiques et des discours qui y sont attachés […] L’étanchéité prêtée aux corpus nationaux, les frontières entre les genres révèlent leur porosité.» Micheline Cambron, « Introduction. L’indiscipline de la culture : objets et méthodes », dans ce numéro, p. 16. — la citation n’existe toutefois pas telle quelle et l’article est un peu loin de nos préoccupations.

Daniel Laforest (2006), « Du poème au romanesque: l'espace problématique de l'image dans l'oeuvre d'Élise Turcotte », Voix et Images, vo. 31, no 3 (93), p. 59-73.

Intérêt de l'article (repérage) : Le résumé : « Examen de la porosité des frontières entre les deux genres, poétique et romanesque, dans l'œuvre de l'écrivaine québécoise, à partir de l'étude des recueils de poésie «La voix de Carla» et «La terre est ici» avec le roman «Le bruit des choses vivantes»; portée des affinités manifestes entre les recueils et le roman dans son écriture; analyse du statut réservé à l'image dans cette écriture. »

Intérêt réel de la réflexion proposée :

Son hypothèse : « une part importante de la subjectivité s’exprime spécifiquement dans le passage entre le poétique et le romanesque » - il y aurait ici porosité de la frontière pour cette écrivaine. Il cherche comment s’effectue ce passage de l’un à l’autre « dans le cadre large d’une poétique » (61).

L’intérêt de l’article se limite pour nous à cette approche.

iii. Hybridité

Janet Paterson (2001), « Le paradoxe du postmodernisme. L’éclatement des genres et le ralliement du sens », dans Enjeux des genres dans les écritures contemporaines, p. 81-101.

Intérêt de l'article (repérage) : Aborde la question de l’hybridité et de l’éclectisme dans les genres littéraires et l’associe à la poétique postmoderne : « L’hybride constitue la forme par excellence d’une revendication de la multiplicité et de l’hétérogène propres au postmodernisme. » (81); « L’hybride constitue […] la forme par excellence d’une revendication de la multiplicité et d’un refus des notions d’hégémonie et de légitimation des métarécits. » (88)

Elle rappelle également que l’hybride littéraire n’est pas un fait nouveau, mais que ce « qui rend cette pratique particulièrement significative de nos jours, ce qui sollicite notre attention à son égard, ce qui nous convie à en examiner les forme et le sens, c’est la vitalité et le foisonnement de l’hybride dans la fiction contemporaine. » (83)

Intérêt réel de la réflexion proposée :

Sa conception de l’hybride ne se limite pas à la rencontre de deux genres, mais rejoint un peu l’idée d’une « porosité » des frontières entre eux – ce qu’elle appelle « l’hybride » pourrait bien être investis de plusieurs genres : « [P]ar ses structures hétérogènes, par son refus, dans certains cas, de distinguer le littéraire du non-littéraire, par sa volonté de renouveler les pratiques littéraires, enfin, par son désir d’innover, l’hybride se présente comme une forme privilégiée d’expérimentation. » (90)

Elle propose une certaine méthode pour envisager les textes hybrides : « Face à la présence importante de l’hybride dans la littérature contemporaine, il convient d’interroger cette pratique à deux niveaux ; premièrement : dégager les répercussions signifiantes de l’aspect formel de l’hybride, à savoir en saisir les effets de sens d’un point de vue générique et littéraire; deuxièmement : interroger la question fondamentale de la production du sens dans les discours de l’hybride, afin de voir si le mélange des genres produit l’éclatement ou le rassemblement du sens, s’il véhicule une cohérence ou une incohérence signifiante. » (82)

Postule (sans y adhérer totalement) l’idée que l’hybridation entrainerait la dissolution du littéraire : « Si l’hybride produit la dissolution du littéraire, c’est qu’il met en évidence qu’il n’y a pas de limites qui bornent le littéraire et ce qui lui est extérieur; pas de frontières […] entre la parole poétique et les discours non littéraires comme les annonces publicitaires ou les éléments d’un agenda. Abolissant la hiérarchie des discours, l’hybride jouerait ainsi d’une défiguration de l’écriture. » (87) « Si la fonction transgressive de l’hybride est effectivement évidente et sa volonté de déjouer les codes indiscutable, il faudrait, me semble-t-il, s’arrêter un moment sur la notion de “dissolution du littéraire”. Est-ce vraiment le cas? Du point de vue de la tradition et de l’institution il y a certes dissolution du littéraire. Mais la tradition et l’institution ne sont-elles pas susceptibles de changer? […] Ainsi, entre dissolution et renouvellement, il y aurait non pas une opposition, mais une charnière, c’est-à-dire un point de rencontre selon lequel l’éclatement des genres constituerait à la fois la désintégration d’une conception normative du roman et l’avènement d’une autre forme d’écriture. » (87)

Jeannotte, Marie-Hélène (2010) « L'identité composée : hybridité, métissage et manichéisme dans "La saga des Béothuks", de Bernard Assiniwi, et "Ourse bleue", de Virginia Pésémapéo Bordeleau », Revue internationale d'études canadiennes, no 41, p. 297-312.

Intérêt de l'article (repérage) : concept d’hybridité, de métissage, appliqué toutefois dans une perspective culturelle.

Intérêt réel de la réflexion proposée :

Reprend des concepts des études culturelles : « Découlant en partie des théories postcoloniales, les concepts d’hybridité, de métissage ou encore de créolisation sont des plus pertinents pour aborder les identités culturelles […]. La notion d’hybridité, telle que formulée par Homi Bhabha, notamment dans Les lieux de la culture, permet d’appréhender la pluralité des traits culturels impliqués dans les constructions identitaires et d’en mesurer l’impact sur les dynamiques relationnelles. De cette notion d’hybridité, il serait erroné de ne retenir qu’une définition strictement généalogique, trop près du métissage de sang. L’hybridité, pour Bhabha, consiste en un « tiers espace » où se créent de nouvelles formes identitaires, transculturelles, et où règne l’ambivalence plutôt qu’une simple et constante opposition. En effet, Bhabha appuie l’idée d’une hybridité qui déstabilise à la fois l’ordre colonial et la relation oppositionnelle du soi à l’autre. Du côté de Glissant, le concept de créolisation se rapproche de l’idée d’hybridité de Bhabha. Glissant insiste effectivement lui aussi sur l’absence de hiérarchie des traits culturels formant les identités créolisées et leur imprévisibilité, les dissociant des traits du simple métissage : « la créolisation, c’est le métissage avec une valeur ajoutée qui est l’imprévisibilité » (1995 17). » (298)

Et son application en littérature : « Ainsi, en littérature, l’hybridité se manifeste également, et sans doute fortement, du côté de la textualité : le mélange des formes, des registres et des langues, de même que la multiplicité des voix ou des points de vue représentent quelques marques textuelles d’une valorisation de l’hybridité qui renforcent les thématiques et les positionnements explicites. » (299)

L’analyse elle-même n’apporte toutefois rien de pertinent pour nous.

Laillou Savona, Jeannelle (2004), « Genre littéraire et genre sexué dans “Hier” de Nicole Brossard, Voix et Images, Vol. 29, no 2, hiver, p. 143-155.

Intérêt de l'article (repérage) : Résumé : Réflexion sur les frontières existant entre genres littéraires à partir de l'enchâssement d'une pièce de théâtre à l'intérieur du roman «Hier» de Nicole Brossard; conséquences narratives d'une telle insertion; l'image de la femme dans ce roman; la présence d'un roman en abyme. – question de l’hybridité « Dans mon analyse, j’étudierai tout d’abord les liens entre le roman et le texte dramatique au double niveau de l’histoire racontée et de la thématique, puis j’analyserai les phénomènes d’hétérogénéité et de rupture qui font d’Hier un livre postmoderne. Dans un troisième temps, je tenterai de montrer comment le féminisme qui sous-tend tout le livre informe sa double expérimentation générique. »

Intérêt réel de la réflexion proposée : Sans doute un exemple possible d’une analyse de l’hybridité à l’œuvre dans un texte précis.

« Une telle interpénétration des deux genres crée deux fictions hybrides (romanesque et dramatique) formellement hétérogènes qui semblent suggérer un dialogue métatextuel sous-jacent entre les deux types de fiction. Hier peut donc être considéré comme une entreprise postmoderne qui s’attaque non seulement à la rigueur taxinomique qui domine encore notre vision de la littérature et de son enseignement, mais aussi aux structures mêmes du roman et de la pièce de théâtre. On peut dès lors se demander, avec Janet Paterson, si la subversion générique, qui fait éclater les frontières textuelles et changer brusquement le caractère de la lecture, ne court pas le risque « d’une espèce de schizophrénie textuelle » [Janet Paterson, Moments postmodernes dans le roman québécois, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 1990, p. 75.] » (147)

« On pourrait peut-être y voir une entreprise de déconstruction concernant les deux genres littéraires, bien que ce qui semble préoccuper l’auteure d’Hier soit beaucoup moins un renversement de la dyade hiérarchisée roman-théâtre qu’un intérêt particulier, comme on a pu le voir, pour les différences formelles et esthétiques entre les deux types de fiction créés par les deux genres. Presque entièrement focalisés sur des personnages féminins, l’enchâssement et l’hybridité confèrent à cette expérimentation un sens particulier. » (151)

iv. Transversalité

ASSELIN, Viviane (2009) « Fuites. Prosopopée de la recherche sur le roman contemporain québécois contemporain », dans René Audet (dir.), Enjeux du contemporain, Québec, Nota Bene, coll. « Contemporanéités », p. 21-47. [suite]

« Le modèle classificatoire, qui reposait sur des genres institutionnellement définis, apparaît de moins en moins apte à saisir la mouvance des formes qui s’opère en littérature contemporaine. À l’heure où le genre romanesque se redéfinit, à la faveur notamment d’emprunts aux autres genres – et vice-versa –, la transversalité s’interpréterait comme un refus de la pétrification du roman. Une telle démarche avaliserait la transformation générique à l’oeuvre aujourd’hui, transformation qui laisse voir des parentés se dessiner en deçà des genres. Dès lors, on n’oserait remettre en question la légitimité de l’entreprise, même s’il en résulte une dissémination du romanesque sur la scène des recherches en contemporain. » (41-42)

v. Baroque

BIRON, Michel, François DUMONT et Élisabeth NARDOUT-LAFARGE (2007), Histoire de la littérature québécoise, Montréal, Boréal.

Chapitre « Romans baroques et hypperéalisme », p. 552-560.

Ce type de romans qu’ils décrivent semblent être des lieux de prédilection pour apercevoir cette « porosité à l’œuvre » dont nous souhaitons parler. Faudra-t-il penser à distinguer notre approche de la leur?

« Entre le roman minimaliste et le roman d’action, on trouve quantité de fictions à l’architecture complexe, marquées à la fois par le goût des jeux formels et par une interrogation sur l’identité subjective sur fond de violence et de chaos. Typiquement contemporain, ces romans mettent en scène des individus en quête d’eux-mêmes à une époque où les repères semblent plus confus que jamais. La réalité quotidienne y est pleine d’énigmes, enveloppée dans une atmosphère inquiétante et saturée de références littéraires. C’est pourquoi cette fiction se caractérise à la fois par son désir de renouer avec le réel le plus ordinaire et par une très grande liberté formelle. Héritier du formalisme, mais aussi parfois de la contre-culture et du féminisme, l’auteur de ce roman, tantôt réaliste, tantôt baroque, oublie rarement qu’il écrit d’abord et avant tout une fiction, un monde inventé. D’où son ludisme et son goût pour l’intertextualité. Mais ces jeux formels n’apparaissent plus comme des façons de briser le vieux moule romanesque, avec ses lourdes conventions réalistes. Au contraire, ce roman “postmoderne” recherche moins à rompre avec les modèles anciens qu’à s’ouvrir aux formes narratives les plus diverses, celles qui s’accordent avec le pluralisme contemporain et qui n’exclut pas un certain retour au réalisme traditionnel. Un tel élargissement du spectre permet de multiplier les niveaux de lecture, de brouiller les frontières entre la réalité et la fiction, entre la culture légitime et la culture triviale, entre l’originalité et l’imitation, entre le vrai et le faux. La fragmentation, la discontinuité, l’éclatement du sens constituent ici un mode naturel, une façon d’être propre à une génération d’individus qui doutent sans cesse de la place qu’ils occupent dans le monde. Chacune de ces fictions exacerbe la perte du sens de l’histoire, l’immersion dans un présent désordonné, l’effritement des liens sociaux, l’hétérogénéité des référents culturels et l’aspect de plus en plus énigmatique du réel. » (552)

3. Autres notes et références intéressantes

4. Bibliographie provisoire

ASSELIN, Viviane (2009) « Fuites. Prosopopée de la recherche sur le roman contemporain québécois contemporain », dans René Audet (dir.), Enjeux du contemporain, Québec, Nota Bene, coll. « Contemporanéités », p. 21-47.

BIRON, Michel (2005), « Le chaos dedans et dehors », Voix et images, no 89 (hiver), p. 133-139.

BIRON, Michel (2004), « Premiers romans », Voix et images, no 87, (printemps), p. 153-159.

BIRON, Michel, François DUMONT et Élisabeth NARDOUT-LAFARGE (2007), Histoire de la littérature québécoise, Montréal, Boréal.

DOLCE, Nicoletta (2012), La porosité au monde. L'écriture de l'intime chez Louise Warren et Paul Chamberland, Québec, Nota Bene.

GREIF, Hans-Jürgen et François OUELLET (2004), La littérature québécoise 1960-2000, Québec, L'instant même.

JEANNOTTE, Marie-Hélène (2010) « L'identité composée : hybridité, métissage et manichéisme dans “La saga des Béothuks”, de Bernard Assiniwi, et “Ourse bleue”, de Virginia Pésémapéo Bordeleau », Revue internationale d'études canadiennes, no 41, p. 297-312

LAFOREST, Daniel (2006), « Du poème au romanesque: l'espace problématique de l'image dans l'oeuvre d'Élise Turcotte », Voix et Images, vo. 31, no 3 (93), p. 59-73.

LAILLOU SAVONA, Jeannelle (2004), « Genre littéraire et genre sexué dans “Hier” de Nicole Brossard, Voix et Images, Vol. 29, no 2, hiver, p. 143-155.

LEFEBVRE, Marie-Thérèse (2012), “Porosité des pratiques. Étanchéité des discours: réflexions sur l'analyse de la diffusion musicale radiophonique au Québec entre 1922 et 1939”, Globe: revue internationale d'études québécoises, vol. 15, no 1-2, p. 65-81.

L’HÉRAULT, Pierre (1991), « Pour une cartographie de l’hétérogène : dérives identitaires des années 1980 », dans Sherry Simon, Pierre L’Hérault, Robert Schwartzwald et Alexis Nouss (dir.), Fictions de l’identitaire au Québec, Montréal, XYZ (Études et documents), p. 53-114.

L’HÉRAULT, Pierre (1993), « L’espace transfrontalier de la recherche », dans François DUMONT et Louise MILOT (dir.), Pour un bilan prospectif de la recherche en littérature québécoise, Québec, Nuit blanche éditeur, p. 241-259. (Coll. « CRELIQ, Série Séminaires », 5.)

MOSER, Walter et Régine ROBIN (1989), « Réflexion critique sur l'hétérogène », Études littéraires, Vol. 22, no 2, automne, p. 155-161

PATERSON, Janet (2001), « Le paradoxe du postmodernisme. L’éclatement des genres et le ralliement du sens », Robert Dion, Frances Fortier et Élisabeth Haghebaert (dir.), Enjeux des genres dans les écritures contemporaines, Québec, Nota bene, coll. « Les cahiers du CRELIQ » (Centre de recherche en littérature québécoise), p. 81-101.

RICARD, François (1988), « Remarques sur la normalisation d'une littérature », Écritures (Lausannes), no 31, p. 11-19.

SAMOYAULT, Tiphaine (2001), « L'Hybride et l'hétérogène », dans Doumet, Christian, Lagny, Michèle, Ropars, Marie-Claire, Sorlin, Pierre (dir.), L’Art et l’hybride, Saint-Denis, France, Presses Universitaires de Vincennes, p. 175-186.

VAUGEOIS, Dominique (2001), « Conditions et fonctionnement de l’hétérogénéité générique dans Henri Matisse, roman », dans Marc Dambre et Monique Gosselin-Noat (dir.), L’éclatement des genres au XXe siècle, actes du colloque tenu à Paris du 19 au 21 mars 1998, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle (Société d’étude de la littérature française du XXe siècle), p. 35-48. — Centrale Monographies (PQ305 S63.1998 ) Réservé-

WATTEYNE, Nathalie (2007), « Liminaire », Dossier : « Spécial écritures hétérogènes », Jet d’encre, no 10. En ligne : http://jetdencre.ca/numero-10-ete-2007/ .

WATTEYNE, Nathalie (2007), « Hélène Monette ou l'insoumission lyrique: L'Hétérogène comme discours d'opposition », Études canadiennes/Canadian Studies : Revue interdisciplinaire des Études Canadiennes en France, no 63, décembre, p. 121-130.

YOKEN, Mel B. (2000), « Entretien avec Gilles Marcotte », The French Review, vol. 73, no 5 (avril), p.944-952.

5. Articles et titres rejetés

Antonio Rodriguez (2007), "Verset et déstabilisation narrative dans la poésie contemporaine", Études littéraires, vol. 39, no 1, p. 109-124.

Dans le résumé, on pouvait lire: “La poésie française, dès 1980, permet d'interroger les variations historiques du verset et ses actualisations les plus récentes. Si une indétermination marque d'emblée cette forme, il apparaît progressivement que la porosité entre vers et prose engage une déstabilisation manifeste des identités discursives en poésie. Ainsi se détache-t-on de la seule structuration lyrique du verset pour l'associer à la trame narrative. Le verset contemporain favorise l'entrelacement des discours davantage que leur distinction. C'est ce que montrent les études sur la narrativité déceptive chez James Sacré et Olivier Barbarant, ainsi que sur la dimension épique chez Hervé Micolet.” — la question d'une porosité entre vers et prose me semblait intéressante, mais se révèle trop ciblée dans cet article.

Badasu, Cosmas Komla Mawuena (1996), Les Voix/voies émergentes de l'hétérogène: Altérité et spatialité dans le roman français (1871-1914), thèse, Université de l’Alberta.

Une partie du titre semble prometteur, mais on est davantage dans une perspective psychanalytique, trop loin de nous.

Bonhomme, Béatrice (2007), « Mémoire et porosité dans l'oeuvre poétique d'Henri Meschonnic », Contemporary French and Francophone Studies Vol. 11, no 3 ( Aug), p. 351-360. ; Bonhomme, Béatrice (2005), « Rimbaud: La Porosité comme modernité poétique », Dans Rimbaud et la modernité , par Bonhomme, Béatrice, 91-102. Fasano, Italy : Schena--PU de Paris-Sorbonne, 2005.

Utilise le concept pour parler des rapports entre espace intérieur et extérieur dans la poésie d’un auteur particulier. Mais n’apporte rien de nouveau. « Le travail poétique d’Henri Meschonnic est un travail de déplacement, de décentrement, de porosité […]. Le moi poétique devient un moi qui échappe à toute prise par une délocalisation constante et occupe la place à laquelle on ne l’attend pas, permettant de sortir de soi. Il y a ici une puissance de déplacement de même qu’Ulysse s’imagine toujours dehors. […]. Aucune frontière nette entre l’espace extérieur et l’espace intérieur, les deux domaines ne restent pas hétérogènes, on passe de l’un à l’autre sans même parfois s’en apercevoir. » (2007 : 351)

ANNEXE – EXTRAITS DE LA DEMANDE DE SUBVENTION

Hypothèse et définition de la porosité :

D’autre part, si la domination du narratif, le décentrement et le caractère hétérogène des pratiques littéraires contemporaines font consensus, il importe de tenter de dépasser le seul constat d’éclatement au profit d’une saisie et d’une caractérisation des pratiques narratives. À la suite de Marcotte qui, tout en déplorant la diversité et l’éclatement des pratiques, affirmait qu’il fallait néanmoins partir de l’hétérogène pour tenter d’appréhender la production littéraire contemporaine et y déceler des paradigmes (dans Yoken, 2000 : 951, voir également Asselin, 2009 : 28), notre hypothèse s’appuie sur un constat d’hétérogénéité qu’elle souhaite toutefois articuler à un processus constituant. La notion de porosité nous paraît apte à désigner ce processus de rencontre, d’échange et d’interinfluence des formes, des discours, des esthétiques et des pratiques qui informerait la production narrative contemporaine au Québec. Elle participerait ainsi d’un « pluralisme fort », pour reprendre l’expression de Nepveu qui, devant les premières manifestations des pratiques littéraires contemporaines, faisait le pari que ce décentrement sur fond de brouillage mènerait à « une nouvelle répartition des formes et des forces » (1988 : 212), distinct d’un « pluralisme mou » qui conduit à la confusion (Ibid.: 215). Notre hypothèse est donc que la porosité constitue un principe véritablement structurant des pratiques narratives contemporaines au Québec, principe dynamique qui appelle les zones de contact et qui renouvelle les extensions possibles du geste de raconter aujourd’hui.

Les déclinaisons de ce principe sont nombreuses : porosité du populaire et du savant, porosité des genres et des formes discursives et médiatiques, anciennes et nouvelles, porosité d’esthétiques contradictoires comme le baroque et le minimalisme, porosité de l’ici et de l’ailleurs, du réel et de la fiction, des langues et des registres, etc. Par exemple, devant le constat d’un apparent effritement du texte (réduction des chapitres à quelques pages ou à quelques lignes, explosion du texte laissant apparaître de grandes zones blanches sur les pages, multiplication des anecdotes et des protagonistes), il nous apparaît beaucoup plus pertinent d’interroger ces romans éclatés à la lumière de leur porosité, de leur perméabilité à d’autres formes discursives (telles la juxtaposition des éléments dans un recueil ou la gestion tabulaire de la poésie), à d’autres pratiques médiatiques (le cinéma, avec ses changements de scène fréquents), voire à des usages associés à la culture numérique (fragmentation chronologique des billets des blogs, logique accumulative). Ce nouvel art du bref et de la diffraction, que l’on observe notamment chez Dany Laferrière, Hervé Bouchard, David Leblanc et Nicolas Dickner, témoigne de cette malléabilité du narratif contemporain. Autre exemple : la cohabitation du réel et de l’imaginaire, elle aussi très fréquente, que ce soit dans l’autofiction ou dans des œuvres strictement fictives, comme celles de Marie-Claire Blais ou d’Élise Turcotte, gagne à être envisagée moins comme une ambiguïté que comme un principe structurant. Elle s’articule ainsi à une poétique de la voix – instrument « poreux » par excellence (pensons au chœur ou à l’omniscience) capable de traverser les époques et les consciences individuelles – et à une réflexion sur la médiation opérée par le récit et les arts dans un contexte d’expansion sans précédent des pratiques médiatiques.

Deuxième axe :

Le deuxième axe de recherche, poétique et esthétique, s’attachera pour sa part à l’étude des œuvres littéraires elles-mêmes et aux tendances dans lesquelles elles s’inscrivent. Son objectif premier est de mettre à l’épreuve notre hypothèse, envisagée cette fois dans une perspective textualiste, c’est-à-dire en tant que principe d’organisation et de signification des œuvres. Le travail sera mené à partir d’un inventaire de pratiques narratives représentatives de la production contemporaine, en partie constitué par les différents projets réunis par cette programmation, qu’il s’agisse de romans fragmentés ou minimalistes, de romans biographiques, de romans à narration problématique, de fictions d’auteur, de récits du lieu, de récits de soi, etc. Si l’on considérait souvent, en littérature moderne, le roman comme genre total, pouvant absorber les autres pratiques et les mimer, la situation générique paraît différente aujourd’hui : les œuvres ne se réclament pas volontiers du roman, elles s’inventent des étiquettes génériques et déjouent les attentes associées aux genres. Ce sont donc les mouvances (discursives, narratives, esthétiques) discernables dans ces œuvres qui seront interrogées. Plus concrètement, il s’agira d’identifier les principaux modes de manifestation d’un processus de porosité dans les textes. Si nous en avons déjà signalé certains exemples, l’inventaire devra être raffiné et conduire surtout à dégager des modèles de systématisation basés sur les éléments mis en contact (genres, médias, modes de référentialité, discours, niveaux narratifs, savoirs, esthétiques, etc.) ou sur les types de relation et d’échange instaurés. Ainsi, si la porosité s’oppose, dans le cadre de notre hypothèse, au pur relativisme et désigne un processus structurant, comment plus précisément opère-t-elle? Il importera, enfin, de définir les effets et les enjeux esthétiques de cette porosité, aussi bien au sein d’œuvres singulières que de différents ensembles constitués. Si d’aucuns voient dans ce phénomène le signe de la dispersion de la littérature contemporaine, de sa dilution dans un milieu médiatique en pleine expansion, il paraît pertinent d’en observer plus finement les possibilités et les usages. En regard du roman total, qui se donne comme une vaste et complexe unité organique, qu’ont à offrir ces œuvres narratives qui cherchent plutôt à exhiber une hétérogénéité et une perméabilité constitutives? Quelle vision du réel et du rôle du récit ce repositionnement du narratif vient-il sanctionner? Si, au sortir de la modernité, la littérature québécoise contemporaine était surtout vue comme la fin du récit collectif et identitaire, qu’ont à proposer les pratiques narratives fondées sur la porosité?