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MARIE-HÉLÈNE POITRAS - GRIFFINTOWN

ORION + POROSITÉ - FICHE DE LECTURE

I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE

Auteur : Marie-Hélène Poitras

Titre : Griffintown

Éditeur : Alto

Collection :

Année : 2012

Éditions ultérieures : version coda en 2013

Désignation générique : Aucune explicite

Quatrième de couverture : Le jour se lève sur Griffintown après le temps de survivance, les mois de neige et de dormance.

Hommes et chevaux reprennent le chemin de l’écurie. L’hiver a eu raison de quelques-uns. Certains, comme John, reprennent le collier comme on renoue avec une mauvaise habitude. Pour d’autres, qui traînent plusieurs vies derrière eux, il s’agit souvent du cabaret de la dernière chance. Marie, la Rose au cou cassé, cherche quant à elle un boulot qui la rapprochera des chevaux. Elle ignore ce que lui réserve l’été, le dernier de Griffintown. Car tandis qu’une procession de désespérés défile vers le Far Ouest à la recherche d’une maigre pitance, la Mouche ourdit sa vengeance.

Histoire de meurtre, d’amour et d’envie dans un décor où tous les coups sont permis, Griffintown expose au grand jour l’intimité des cochers du Vieux-Montréal, ces cow-boys dans la ville. Un détournement habile, porté par une langue sensible et rude, du western spaghetti sauce urbaine.

Notice biographique de l’auteur : Née en 1975, Marie Hélène Poitras a reçu le prix Anne-Hébert pour son premier roman, “Soudain le Minotaure” (2002). “La mort de Mignonne et autres histoires” (2005) a été finaliste au Prix des libraires du Québec. Elle a signé en 2009 un feuilleton, “Rock & Rose”, destiné aux 11 à 17 ans. Dans une vie parallèle, Marie Hélène Poitras est journaliste spécialisée en musique au journal Voir et éditrice de Zone d’écriture, un espace web de Radio-Canada consacré à la littérature contemporaine.“

II - CONTENU ET THÈMES

Résumé de l’œuvre : Le roman raconte le dernier été des cochers de Griffintown qui œuvrent dans le Vieux-Montréal. Paul Despaties, le propriétaire de l’écurie – appelée le « Château de tôle » – prépare la nouvelle saison avec l’assistance de Billy, le palefrenier, attendant de voir qui aura survécu ou non à l’hiver. Les cochers miséreux arrivent peu à peu, mais le début de la saison est bouleversé par le meurtre de Paul, dont Billy retrouve d’abord la botte, puis le corps et la camionnette. Pendant que Billy, promu au rang de directeur à la place de Paul, mène discrètement son enquête, la saison commence et les nouveaux aspirants cochers arrivent. Du lot, seule Marie, une jeune fille passionnée de chevaux mais légèrement déphasée, arrivera à se tailler une place parmi les « cow-boys », surtout grâce au mentorat de John avec qui elle aura une aventure. Le lot misérable des cochers et leur quotidien nous sont ainsi révélés au fil des pages, tout comme le monde quasi autarcique qui régit ce milieu dirigé par La Mère, figure légendaire qui tire les ficelles, auquel se mêle aussi la mafia et les promoteurs immobiliers, pressés de mettre en branle le projet « Griffintown 2.0 ». Découvrant l’auteur du meurtre de son fils, La Mère prendra sa revanche en tuant La Mouche, un « Shylock » acoquiné avec les ennemis de ce Far Ouest qui tient encore debout malgré tout, avant de se donner la mort. Ce ne sera pas suffisant pour sauver cette communauté de survivants puisque des complices de La Mouche ont mis le feu au « Château de tôle », tuant Billy dans l’incendie. Mary, qui a reçu une poutre, sera paralysée et John, qui a tenté de la sauver, défiguré. La Conquête de l’Ouest aura finalement eu le dessus sur la petite société cochère.

Thème principal : Marginalité

Description du thème principal : Tout, et tout le monde, est marginal dans Griffintown, et c’est l’accès à cette société vivant en dehors de la société et quasi en dehors du temps qui passe qui fait l’originalité et la singularité de l’œuvre. Ainsi, même si l’œuvre se passe à l’époque contemporaine, on a l’impression qu’elle est parfumée de « relents » historiques tout autant que de l’odeur des chevaux, eux aussi marginaux dans la ville. La misère est alors consubstantielle à cette marginalité, puisque personne n’y échappe, les cochers sombrant dans l’alcool, la drogue et l’itinérance. Le Far-Ouest est misérable, l’écurie est misérable, les chevaux sont misérables, les cochers sont misérables… Même Marie, qui se coule dans cet univers, semble échapper peu à peu à son ancien monde, ayant mis fin à sa relation de couple et ne se procurant plus que des figurines de chevaux pour remplir son appartement vide. Il est dit qu’« il y a quelque chose d’indompté et de cassé en elle. Elle est comme les chevaux qui l’entourent : son passé la hante. » (130) Cependant, au-delà de toute cette crasse et cette misère, une certaine solidarité se tisse entre les cochers, rendant le tout plus supportable.

Thèmes secondaires : la misère, les cochers, les chevaux, le quartier Griffintown, la mort, la vengeance, le désespoir, le poids du temps et de l’héritage, etc.

III- CARACTÉRISATION NARRATIVE ET FORMELLE

Type de roman (ou de récit) : roman

Commentaire à propos du type de roman : on peut difficilement caractériser simplement ce roman dans la mesure où il mélange plusieurs genres en les réactualisant. On le qualifie surtout de western spaghetti.

Type de narration : hétérodiégétique

Commentaire à propos du type de narration : Narration classique en accord avec le genre cinématographique dont il s’inspire.

Personnes et/ou personnages mis en scène : Personnages fictifs, mais le personnage de Marie semble d’inspiration autobiographique puisque Marie-Hélène avoue avoir fait deux étés comme cochères, elle qui est amoureuse des chevaux et a été enchantée de découvrir ces chevaux au cœur de la ville : « Marie célèbre en elle-même le mariage de deux mondes qu’elle a longtemps crus inconciliables. Elle a trouvé les chevaux dans la ville. Une petite victoire, un exploit, un ravissement. » (2012 : 90)

Lieu(x) mis en scène : Montréal, Griffintown, Vieux-Montréal, canal Lachine.

Types de lieux : Écuries, rues de Griffintown, Saloon, Vieux-Port.

Date(s) ou époque(s) de l'histoire : Pas de dates précises, mais époque contemporaine très récente, comme en fait foi le fameux projet « Griffintown 2.0 » et la référence au DIX30 (148).

Intergénérité et/ou intertextualité et/ou intermédialité : allusion à Kanye West (86) et à l’univers populaire du country. Référence à un genre cinématographique.

Particularités stylistiques ou textuelles : La narration et la forme sont plutôt classiques, mais cela sert très bien le propos. La présence de « portraits » donne un certain relief au tout et aux personnages. Écriture soignée mais univers miséreux, voire même morbide, mais auquel l’écriture donne un certain souffle, un certain charme et une certaine poésie.

IV- POROSITÉ

Phénomènes de porosité observés : porosité des genres et des formes discursives.

Description des phénomènes observés : entre le polar, le western spaghetti, le roman d’inspiration historique mais tout cela à la sauce contemporaine, appuyée par une prose légèrement poétique. Il y a donc une forme de réactualisation de formes plus anciennes et appartenant à un autre média. En entrevue, l’auteur affirme avoir voulu traduire en écriture le rendu des films de Sergio Leone et la musique d’Ennio Morricone. Il y a aussi de nombreux portraits qui parsèment le récit, permettant de dresser en quelque sorte la biographie de chacun des protagonistes.

Le porosité découle alors d’une forme de rencontre des genres que l’on retrouve aussi dans le récit lui-même, entre le monde quasi archaïque des cochers et le monde « de l’est », le monde contemporain qui frappe à la porte du territoire et veut se l’approprier. Le pastiche du style western spaghetti permet alors de mettre en scène des personnages déphasés, antihéros, quelque peu redoutables mais sympathiques également, ainsi que le monde anarchique et individualiste (quoique bien organisé) du monde des cochers. Dans ce roman, il y a à la fois construction et déconstruction du mythe du cow-boy, de la « légende » du cocher : « Ainsi délestés, les cochers se transforment en personnages truculents; c’est dans ces moments-là qu’ils incarnent le mieux leur légende. » (2012 : 93)

Comme je l’ai mentionné plus haut, même si l’œuvre se passe à l’époque contemporaine, on a l’impression d’y lire quelque chose d’historique. En tout cas, passé et présent sont liés, et la question de l’héritage trop lourd à porter et à supporter, à la fois celui des destins individuels et celui de Griffintown, sous-tend aussi le roman. Par exemple, Billy incarne « le dernier des Irlandais » : « Sur son lit de mort, sa mère Jane lui avait fait promettre d’honorer ses ancêtres, spectres étouffés sous l’asphalte d’un stationnement érigé sur la fosse où avaient été jetés tous les morts du typhus. Pour le dernier Irlandais de Goose Village, cet héritage miséreux était devenu trop encombrant. » (2012 : 100) Par ailleurs, nous somme devant un roman patrimonial et testamentaire, presque, du fait que Griffintown en est certainement le personnage principal. Son histoire, son patrimoine, son héritage, servent de trame de fond tandis que ses couleurs, ses habitants et son état délabré servent de décors. Si c’est un lieu sinistre, c’est tout de même le « cabaret de la dernière chance » pour la plupart des cochers, le seul moment de l’année où ils font quelque chose d’un peu plus honorable. Et les méchants, certainement, se sont davantage les promoteurs immobiliers et leur vision « sans vision » qui veulent s’accaparer le territoire et le rendre homogène au reste de la ville de Montréal : « Cochers, chevaux, calèches et miasme ne font pas partie du plan, ni du décor. On attend de ces cow-boys crasseux qu’ils capitulent. Ils appartiennent de toute façon à un âge révolu et vont devoir se replier. Sans quoi d’autres mesures seront envisagées. » (2012 :110) En somme, les chevaux dans la ville contemporaine, le « mariage de deux mondes », comme le dit Marie, ne semble finalement plus possible.

Auteur(e) de la fiche : Manon Auger