FICHE DE LECTURE
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : DOIZELET, Sylvie Titre : La terre des morts est lointaine. Sylvia Plath Édition : Paris, Gallimard Collection : L'un et l'autre Année : 1996
Appellation générique : Aucune explicitement mentionnée
Bibliographie de l'auteur : Exclusivement des romans (?) : Chercher sa demeure (1992), Haut lieu (1994), Sous quelle étoile (1995) L'amour même (1998), La dame de Pétrarque (2000).
Quatrième de couverture : À peu près vierge (reproduction d'une photographie de S.P., déjà en première de couverture, et mention de la collection).
Rabats : Oui. Rabat supérieur : Un extrait de l'ouvrage (que l’on retrouvera à la page 33) : « La tombe de son père est vide. Aucun ange n'est là, assis sur une pierre, qui l'attendrait et lui dirait : “ Tu le cherches?… ” Devant la tombe de son père, la solitude. “ Je pensais que même les os feraient l'affaire ”. Même les os ne sont pas là. Le Dieu qui ressuscite n'existe donc pas, le Dieu qui console non plus. Chaque fois qu'elle cherche son père, elle repart les mains vides. Chaque fois qu'elle demande : “ Es-tu là ? ” une voix répond, mais ce n'est jamais la voix d'Otto ». Rabat inférieur : Une notice concernant la collection L'un et l'autre telle qu'elle apparaît sur tous les ouvrages de la collection (voir fiche sur Benjamin ou Lettres sur l'inconstance de Michel MOHRT pour une transcription de cette notice).
LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES)
Auteur/narrateur : D’entrée de jeu, la narratrice se présente comme l’auteure, qui effectuerait en quelque sorte un pèlerinage sur les lieux de vie (quelques-uns de ceux-ci seulement) et de mort de Sylvia Plath , à la recherche d’endroits qui « parlent, ou au moins, se souviennent, acceptent de se souvenir » (p. 8), et qui se dira bientôt déçue du fait que plusieurs des lieux parcourus demeurent muets (ce qui contribue à susciter sa lecture personnelle, par moments imaginaire ?). La partie inaugurale de l'œuvre, intitulée « Lieux sans mémoire » et se voulant en quelque sorte un « pré-prologue » (le véritable prologue, sous-titré « Otto », venant immédiatement après), s'ouvre d'ailleurs ainsi : « Le voyage commence avec le petit village d'Heptonstall, dans le Yorkshire. Ce n'est même pas un village, c'est une colline, qu'il faut gravir par un escalier de pierre, invisible sous la bruyère. Tout en haut quelques maisons de terre noire, les ruines d'une chapelle, les tombes tout autour, et une église dite nouvelle, noire aussi. Il est écrit que le vieux cimetière contient cent mille corps. Un peu plus loin, un champ. L'herbe haute ne laisse dépasser que quelques centimètres des croix ou des pierres. J'ai beau aimer ces paysages austères et effrayants, j'aurais peur de rester seule à la tombée de la nuit, et plus encore, pour toujours, ici, sur cette colline, sans aucun abri. J'ai découvert les mots “In memory Sylvia Plath Hughes” » (p. 7).
Narrateur/personnage : Outre le dernier chapitre avant l’épilogue (chapitre intitulé « Cette heure mystique, imprévisible — où les choses iraient mieux ») et l’espèce de « pré-prologue » auquel je viens de faire allusion, où elle se présente comme un « pèlerin » sur les traces de Sylvia Plath, la narratrice n’apparaît pas à titre de personnage dans La terre des morts est lointaine.
Sujet d'énonciation/sujet d'énoncé : Doizelet/Plath, avec une espèce de sympathie de la part de la première à l’endroit de la seconde.
Ancrage référentiel : Tout un ensemble de faits véridiques concernant Plath (par exemple : études à Smith College, père spécialiste des abeilles, relation au père absent — il est mort en 1940 — qu'on pourrait qualifier de « contraignante », tentative de suicide en août 1953, arrivée en Angleterre de Plath (boursière) en septembre 1955, publication de son œuvre poétique surtout en revue et de son vivant, référence à Virginia Woolf, etc.). Des extraits de poèmes de Plath sont également cités entre guillemets dans leur traduction française (et parfois suivis de l'original anglais, en italique). Apparemment pas de fabulation, mais aucune indication précise quant aux sources bibliographiques et/ou aux diverses références qui auraient été utilisées par la narratrice pour dresser son portrait de Plath, vie et œuvre (on évoque bien le Journal et, cela va de soi, les poèmes (p. 42, 66…), mais sans plus).
Indices de fiction : -Doizelet prête des pensées et des sentiments au père de Plath une fois mort : « Longtemps il [le père] s'est demandé pourquoi, mort à l'hôpital, avec un diabète mal soigné, une jambe gangrenée, pourquoi il est devenu un noyé [dans l'œuvre de sa fille Sylvia] » (p. 17). Ou encore : « Après “ Daddy ”, les poèmes ne parlent plus d'Otto. Longtemps il a guetté, attendu. Espéré que sur la page blanche allait apparaître “ father ”. Puis il a compris qu'elle lui avait tout donné, dans ces mots, et qu'il fallait qu'il vive d'eux, jusqu'à la fin, ils seraient sa dernière nourriture. “ J'ai essayé de mourir pour revenir à toi ”, litanie qu'il devait se répéter à l'infini » (p. 20). -Les hypothèses de la narratrice appartiennent également, d'une certaine façon, à la fiction : « Peut-être a-t-elle écrit cela pour se débarrasser de lui [Otto]. Pour que, satisfait — que pouvait-elle lui donner de plus —, enfin il s'en aille et la laisse tranquille. Enfin regagne le fond des eaux et plus jamais ne remonte » (p. 21). -Certains éléments m'apparaissent par ailleurs indécidables, puisque je ne connais pas vraiment les œuvres de Sylvia Plath (s'agit-il, dans les extraits suivants, de pure fabulation un peu délirante), ou encore de la récupération, par Doizelet, de thèmes abordés de façon précise dans les œuvres de Plath ?). Ainsi, après avoir évoqué certains dires de Plath contenus dans « The Disquieting Muses » (poème de Plath où sont personnifiées ces « muses inquiétantes », à peu près l'équivalent des trois Parques), Doizelet écrit : « Sylvia Plath se souvient de trois femmes debout à gauche de son berceau, premières ombres, premières apparitions de ce qui n'aurait pas dû être là. Plus tard, ce sera la mythologie de l'absence, mais d'abord, il y a la présence, indésirable, maléfique » (p. 24). -Les propos de Plath dans ses œuvres (du moins, je crois que ce sont les propos de Plath, puisqu'ils sont en italique) se trouvent d'ailleurs complétés par ceux de Doizelet, qui semble faire parler l'auteure à son tour : « Mère. Je me demande si tu les as vues. Si tu les as vues, tu es coupable de n'avoir pas su les faire partir. Si tu n'as rien vu, tu es coupable d'avoir été aveugle, quelle est cette mère qui ne voit pas les trois Ladies of Sorrow penchées sur le berceau de son enfant » (p. 24). Autre exemple de ce phénomène : on trouve en exergue au début d’une section ces quelques lignes de Plath : « Chaque jour est une prière renouvelée : que Dieu existe, qu’il m’apparaisse, avec une force neuve, avec clarté », lesquelles se voient en quelque sorte « illustrées », « exemplifiées » par Doizelet dans la suite de la section, où elle invente à l’écrivaine des supplications qui témoignent de ses angoisses les plus prégnantes (implorations qui, on s’en rend vite compte, ne seront pas exaucées) : « Mon Dieu, fais que mon père ne meure pas, que la mer ne me le prenne pas, que je ne perde pas la foi, que je ne sente pas le doute, le froid m’envahir, que je résiste à la tentation d’essayer de me tuer, que je n’aille pas me cacher pour mourir, que je ne sois pas traînée à l’hôpital, que je ne subisse pas ce traitement barbare, ces électrochocs mal préparés, que je ressuscite, chaque fois. Que le bonheur avec Ted dure toujours, que j’aie la force de supporter toutes les heures noires, qu’il ne s’attache pas à une autre femme, que je ne connaisse pas cet enfer-là. […] » (p. 39).
Topoï : La question de la mort, celle de la mémoire (à laquelle on associe le « pèlerinage » entrepris par la narratrice), celle de la souffrance…
Biographé : Sylvia Plath, poétesse et romancière américaine (1932-1963).
Pacte de lecture : Tout au début de l’œuvre, la narratrice se présente comme une auteure sur les traces de Sylvia Plath, et qui tenterait de reconstituer une période de la vie de la poétesse et romancière américaine, période de détresse morale et de deuils. Au dernier chapitre de l’ouvrage (avant l’épilogue), la narratrice revient sur cette mise en scène d’elle-même et l’explicite un peu plus en insistant sur la part de fabulation qu’implique son travail de reconstitution : « Dans mon besoin de trouver le coupable, j’ai fait des listes, écrit des noms, marché pendant des heures. Yeats, la maison, Londres, l’hiver, quatre coupables dont je ne barrerai pas le nom. J’ai traversé Regent’s Park ; ses étangs clairs, ses dizaines d’oiseaux et de canards à l’œil satisfait, ses jardiniers qui cérémonieusement saluent les promeneurs. […] J’ai lu les biographies, je peux imaginer […] » (p. 109-110).
Thématisation de l'écriture et de la lecture : La narratrice propose souvent sa lecture des textes littéraires de Plath (poèmes, nouvelles, récits) : « Le “ je ” du poème est du voyage, le bruit des roues du train, les questions, l’inquiétude. Mais à destination, le “ je ” n’est plus que témoin, survivant. Il ne partagera pas le sort. Il regardera. Se souviendra. Une fois de plus, s’occupera des morts : “ J’enterrerai les morts… Je compterai et j’enterrerai les morts ” » (p. 35).
Attitude de lecture : Convient, bien que ce texte emprunte souvent la voie d’une forme de « mysticisme déçu et impossible » (donnant même, par moments, dans le « délire onirique ») lié, entre autres choses, à l’obsession de la mort chez le biographé . Un exemple : [À propos des « trois Ladies of Sorrow »] « Sylvia Plath se souvient de leur ombre, à sa naissance, les a guettées, pendant son enfance, et toute sa vie, les aura écoutées. Sirènes du monde de la terre, sirènes qui n’attirent pas au fond de l’eau mais à la voix tout aussi dangereuse. Elle n’aura jamais l’idée de ne plus les écouter. Puisqu’elle les a vues, les voit encore, elle ne remettra jamais en question leur pouvoir. Puisqu’elles sont là » (p. 25).
Hybridation, Différenciation, Transposition : Il faudrait se demander si on peut parler de transposition dans le cas présent, dans la mesure où Doizelet traduit de façon insistante dans son ouvrage deux éléments marquants de l'œuvre de Plath : une fixation pour la mort, ainsi qu'une relation particulière au père. Combinant ces deux éléments, Doizelet prête ici des sentiments, des pensées et des intentions au père mort en ce qui concerne la poésie de sa fille : « Et malgré tout il est tellement fier de ce poème, de toute l'encre qu'il a fait couler. Il ne comprend pas mieux pourquoi tout cela, l'entrée aux enfers, le chemin, jusqu'au dernier cercle, il ne comprend pas, mais il est prêt à mourir à nouveau, à l'abandonner à neuf ans une seconde fois, il est prêt à tout recommencer, pour ce poème. C’est tout ce qu’il peut dire. Il s’efface, il sait qu’il n’a aucune part à cet événement, même si elle l’appelle “ Daddy ”, et si depuis plus de deux cents poèmes elle prépare ses lecteurs à cette incantation, à lui seul adressée » (p. 19-20). (Voir aussi certains extraits cités à la rubrique « Indices de fiction ».) Le ton de l’ouvrage de Doizelet ne pourrait-il pas aussi être considéré comme une forme de transposition de celui de l’œuvre du biographé (voir note 3) ?
Autres remarques : À la fin de l'ouvrage se trouve une section « Sylvia Plath », où sont répertoriées toutes les œuvres de l'auteure américaine.
Lecteur/lectrice : Caroline Dupont