[Titre « poétique » avec le mot « contemporain »] : Discours et pratiques du narratif au Québec et en France depuis 1980
Réfléchir au concept problématique de « contemporain », à son archéologie, à sa difficile appré-hension, aux problèmes méthodologiques que cela suppose (notamment sur le plan historique, mais aussi sur le plan terminologique), l’interroger par rapport à la notion de modernité, de postmodernité, mais aussi d’extrême contemporain et d’ « actuel ».
À l’origine de cet ouvrage, se trouve l’hypothèse que le contemporain n’est plus un déictique pur, qu’il est une notion, un objet construit, particulièrement à l’intérieur du champ littéraire et que, par ailleurs, il y a une spécificité de la narrativité contemporaine repérable tant dans le discours critique que dans les pratiques littéraires.
On s’intéresse ici, d’une part, au discours qui construit la littérature comme contemporaine, à ce par quoi le contemporain peut exister parce que le discours critique (au sens large) a un caractère opératoire (partie I).
D’autre part, on se penche sur les œuvres produites dans la période contem¬poraine (pour l’instant : 1980 et après), en France et au Québec, pour repérer certaines mises en œuvre es-thétiques et poétiques d’un nouvel art narratif (partie II).
Partant du présupposé que ce qu’il y a de contemporain est autant dans le discours que dans les œuvres, il s’agira de montrer comment le narratif balise fortement la littérature contemporaine, non via l'hégémonisme du roman comme au 19e siècle, mais par la transversalité et la portée du narratif dans l'écriture contemporaine. Cette transversalité du narratif serait ainsi une des voies privilégiée par la littérature contemporaine afin de retrouver sa transitivité. Donc, la spécificité du narratif contemporain = ??
En résumé, nous proposons dans un premier temps une saisie du discours sur le narratif contem-porain – dans la mesure où il participe de la construction de celui-ci en insistant sur certains phé-nomènes, en mettant d’autres de côté, construisant notre regard et notre appréhension de cette production –pour voir ce qui ressasse mais aussi ce qui échappe dans ces discours. Dans un deu-xième temps, nous proposons une saisie des productions narratives contemporaines afin d’identifier cette fois certains éléments de ces productions qui, jusqu’à maintenant, ont échappés à la critique.
Certains postulats guideront la réflexion :
1ère partie : Il nous semble que c’est par une autre voie que celle du discours sur la postmodernité que le discours critique cherche à établir cette spécificité du narratif contemporain
2e partie : Qu’il y a un maillage singulier du narratif et de la littérature contemporaine et que cela se traduit par certains usages contemporains du narratif – et vice-versa : certains usages contem-porains du narratif traduisent un maillage singulier du narratif et de la littérature contemporaine.
Afin d’envisager comment le contemporain s’est construit, nous avons choisi de privilégier une posture métacritique. On s’intéresse ici, dans un premier temps, au discours qui construit la litté-rature narrative comme contemporaine, à ce par quoi le contemporain peut exister parce que le discours critique (au sens large) lui accorde une certaine valeur. On s’intéresse, dans un deuxième temps, aux œuvres narratives contemporaines elles-mêmes pour saisir ce qui, dans leur poétique et leur esthétique, fonde les grandes orientations thématiques et stylistiques de la littérature narrative contemporaine. Nous postulons, en effet, que le contemporain c’est aussi bien un discours sur la production littéraire qu’une production qui s’élabore au dehors de ces discours.
[À discuter :] Dans cette optique, nous poursuivons deux objectifs (sous-jacents), liés à l’idée de « valeur » du contemporain :
1) Questionner les mécanismes de valorisation qui ont cours au sein des diverses instances institutionnelles en identifiant les balises, les caractéristiques, mais aussi certaines apories, points aveugles et frictions du discours critique qui s’attache à définir cette période afin d’apercevoir, entre autres, les biais qu’introduisent les choix théoriques et méthodologiques des diverses critiques.
2) Questionner les enjeux esthétiques et poétiques soulevés par les œuvres narratives con-temporaines afin de mettre en relief les mécanismes de valorisation d’une certaine concep-tion « contemporaine » de l’écriture, de la création, de la représentation, de la littérature, etc.
* Ainsi, la « valeur », c’est ce qui permet de comprendre la structuration du champ sous le rapport de l’esthétique : (1) qu’est-ce qui est valorisé, qu’est-ce qui échappe dans le dis-cours critique et en constitue la marge ? (2) Qu’est-ce qui est valorisé, qu’est-ce qui échappe dans la démarche esthétique des auteurs contemporains ? En contrepartie, on se demande : est-ce que ces choix sont validés par l’institution (prix, anthologie, collections, éditions) ?
→ La confrontation sera donc discursive dans la première partie et mobilisera les œuvres dans la seconde partie. Deux précisions sont toutefois à apporter en ce qui a trait à notre fa-çon d’envisager le con¬tem¬porain : la relation France/Québec ; la restriction au champ du narratif.
Nous choisissons de nous situer au confluent des postures de la France et du Québec sur le con-temporain ; nous estimons en effet qu’un regard croisé permettra de mieux observer la construc-tion de cet objet discursif qu’est le contemporain. Dans cette optique, nous allons évaluer, dans un premier temps, tant les discours critiques sur le contemporain qui sont développés en France et au Québec que, dans un deuxième temps, les œuvres issues de ces deux littératures.
Nous justifions la pertinence de ce regard croisé sur la base, bien sûr, de la langue commune, mais surtout sur celle d’une communauté de pensée, du point de vue des discours, des idéologies qui se développent tantôt en parallèle, tantôt en dialogue.
→ Cette dimension sera par ailleurs à interroger : la modernité au Québec s’est-elle vrai-ment cons¬truite par rapport à la France ? Et qu’en est-il de l’américanité du Québec ? Se si¬tue¬rait-elle davantage dans les conceptions de l’écriture, dans les perceptions, dans les types de représentation que dans les œuvres elles-mêmes ?
Nous proposons ainsi que, par la circulation universitaire, par le recours aux mêmes ouvrages de référence, par le partage de certaines idéologies (d’une part, la fin des avant-gardes, la postmo-dernité ou modernité en réinvention ; d’autre part, la postmodernité littéraire, le structuralisme plus ou moins triomphant, le rejet des avant-gardes ou leur dérive), une certaine perméabilité des discours critiques entre la France et le Québec est perceptible, circulation qui, traditionnel¬le¬ment, allait de la France vers le Québec, mais qui, de plus en plus, se fait dans les deux sens.
D’où l’intérêt de faire dialoguer la critique et les œuvres de ces deux territoires, sur la base de l’interrogation suivante : la notion de contemporain désigne-t-elle en France et au Québec un même phénomène ? La notion recoupe-t-elle la même réalité en France et ici ? Ces acceptions « nationales » du contemporain se contaminent-elles, s’influencent-elles ?
Il ne s’agit pas ici d’une démarche strictement comparatiste, mais bien d’un regard global sur deux littératures qui présentent des phénomènes similaires mais qui, sans doute, se déclinent différemment. Il s’agira aussi, par ailleurs, de repérer les conta¬mi¬¬nations dans les œuvres, mal¬gré la diversité des réactions vis-à-vis des mêmes thèmes de réflexions (ex : les « retours à »).
Dans le même ordre d’idées, il s’agit également d’aller chercher des points de vue plus originaux, qui permettent de « traverser » les deux territoires, d’offrir de nouvelles perspectives. Ainsi, si on remarque de chaque côté une certaine homogénéité des discours critiques (et que l’on pourrait questionner d’ailleurs), il y a certainement beaucoup à apprendre d’une lecture conjointe de ces deux discours, tout comme d’une étude comparée d’œuvres françaises et québécoises réunies selon une problématique commune pour ensuite en saisir les singularités.
Outre la restriction à deux littératures seulement, nous nous proposons de nous restreindre aux seules œuvres narratives. Parmi les lignes de force du contemporain (aux côtés du lyrisme, du réel/fiction/virtuel, du sujet), nous élisons le narratif comme zone d’interaction privilégiée entre pratiques et discours. Dans cette optique, nous envisageons le narratif comme :
- une zone d’interaction à examiner, d’abord et avant tout, dans ses traces discursives : quels discours critiques sur ces pratiques ? (partie I) - une zone d’interaction à examiner dans ses manifestations littéraires : quelles pratiques, quelles oeuvres modelées par la rencontre de la narrativité et du contemporain ? (partie II)
* Nous posons ainsi comme hypothèse que le contexte contemporain favorise net¬te¬ment la mise en contact (et la contamination) des pratiques narratives et des discours théo¬riques en France et au Québec, mais qu’il ne laisse pas moins jaillir des sensibilités et des intérêts singuliers dont témoignent les oeuvres et les discours dans leurs traits et leurs obsessions.
* Qu’est-ce qui jaillira de l’étude de cette zone d’interaction, tant sur le versant critique que sur celui des pratiques ? → Il s’agira ici de faire des observations liées à cette zone d'interaction, de faire de cette zone le lieu d'hypothèses spécifiques (ou de points à développer en sous-texte pour les faire valoir en conclusion)
Cette partie sera l’occasion d’une mise en contexte, c’est-à-dire de donner des repères pour tous les publics visés, d’établir les faits et de faire la petite histoire de… Dire par quoi le contemporain se caractérise, ce qui en marque les bornes pour la critique : événements, circonstances, maisons d’édition, collections, grands colloques, prix, etc. Elle sera aussi l’occasion de revenir sur certains lieux communs permettant de définir cette période, afin d’en offrir une synthèse, dont le début en 1980, le lien avec la modernité/la postmodernité, la suprématie du narratif. En somme, un état des lieux.
- Considérations socio-éditoriales comparées, du milieu de siècle jusqu’à 1980 (brève mise en place du contexte socio-historico-éditorial pour la France et le Québec):
. les orientations idéologiques littéraires dominantes, les tensions entre les champs (restreint et populaire ; par exemple : l’organisation sociologique de la littérature dans le pré-80)
. l’état du milieu éditorial (éditeurs, collections, revues, prix)
Dans l’ensemble de cette partie, il s’agira de relire les principaux consensus du discours critique sur la production contemporaine, sous l’éclairage de la situation historique, par exemple, ou des réflexions poétiques et esthétiques. Il ne s’agit pas simplement de déblayer le terrain, mais de faire un retour sur les grands thèmes de la critique, sans exclure qu’on reprenne plus tard nous aussi les thèmes en question. En somme, il s’agira d’identifier ce qui « ressasse » dans le dis¬cours afin d’en prendre la mesure, de comprendre, de questionner la valeur de ces discours, de voir si on parle des mêmes choses quand on utilise les même mots, etc. ; mais aussi ce qui « échappe » au discours critique (ex : narrativité des femmes, écriture migrante, fictionalisation de la vie, le rapport au politique, le déclassement de l’écrivain, etc). C’est par le biais d’une discussion sur les grands « poncifs » des discussions critiques françaises et québécoises (pour les mesurer l’une à l’autre) que l’on va entrer, à notre tour, dans la discussion du/sur le contemporain.
Dans cette perspective, il serait intéressant d’identifier les « thèmes d’obsession » et de montrer comment le discours critique s’engouffre dans ces thèmes. Nous mettrions ainsi côte à côte di-vers phénomènes, mais nous pourrions par le fait même mettre de l’avant les forces qui mobilisent le discours critique. L’hypothèse, ici, est qu’il y aurait deux « versants » véhiculés par le discours critique : d’un côté, un versant négatif (deuil, crise, mort, etc.) et, de l’autre, un versant plus positif (mémoire, retour du sujet, transmission, etc.). Il s’agit donc (dans la première partie, mais aussi, de façon globale, dans l’ensemble de l’ouvrage) de déplacer les enjeux habituellement repérés, de reconsidérer, le cas échéant, les mouvements de crise comme les mouvements dynamiques.
La première partie sera en somme plus une étude des mouvements de transformation (dyna¬mique de changement) que de leurs résultantes. Le postulat serait que le discours met en place des vec-teurs de changement autour de certains pôles ; nous nous concentrerions pour notre part sur le narratif contemporain, en disant « voilà ce que le narratif contemporain a fait à l’idée de littéra-ture ».
Objectif(s) :
Simultanément :
- faire émerger les caractéristiques par lesquelles le discours critique pense le narratif con-temporain ;
- mettre en perspective les caractéristiques du narratif contemporain qui dominent dans les discours critiques sur le contemporain.
Ce qui revient, notamment, à mettre en relief :
- les manifestations [critiques ?] côté France, côté Québec.
- les zones de recoupement et les zones de singularités (points aveugles, apories, frictions)
- les éléments caractérisés positivement, les éléments caractérisés négativement
- les concepts que l’on retrouve dans les deux discours, mais qui ne caractérisent pas, de part et d’autre, les mêmes phénomènes ; et, inversement, les concepts différents qui carac-térisent un même phénomène
- les éléments oubliés ou négligés
- les œuvres et les auteurs d’obsession
→ Et à remettre en question l’idée d’homogénéité et de représentativité du corpus privilégiée par les critiques (fixation sur certains auteurs, oubli de certains autres) en ayant recours à une ap-proche qui soit plus englobante ; nous proposons ainsi des concepts transversaux permettant de relire les caractéristiques du contemporain à un niveau de généralité plus élevé.
Crise de la représentation Dénaturation de la mission représentative du roman Mort de la littérature (Nepveu) Deuil (entre autres, pour la littérature française qui découvre sa précarité) Perte du statut de l’auteur Parcellisation des sphères littéraires Absence de maître (figure du grand écrivain) Décentrement par rapport à la littérature Rapport critique de la littérature à elle-même
Mémoire, hérédité Repli familial/généalogique Liminarité de l’écrivain (absence de modèle) et de la mémoire (celle de la littérature ou de la nation) décentrée, pluralisée, atomisée Nostalgie, rupture Rapport à l’autre/rapport à soi Intertextualité
Retour du sujet, Minimalisme, étiolement du style (comme phénomène corollaire du repli sur l’intériorité), estompement du geste narratif (comme signal d’une quête intérieure) Subjectivité, sphère intime/du soi Pauvreté de la langue, du style, des thèmes
Hybridité, impureté, perte des repères génériques, mélange, éclatement Baroque, postmodernité Rapport de la littérature aux autres médias et aux technologies (subordination du littéraire ; ébranlement de la suprématie de la forme livre, de la grande édition) ; instabilité des fron-tières ; marginalisation ; Soupçon de la littérature par rapport à elle-même et à sa capacité à atteindre le réel, dans un contexte médiatique qui la relègue dans les marges
Récits d’errance, irrésolution de la quête, effritement de la trame narrative Fragmentation de la quête, relâchement, errance
- Les seuils du contemporain, en France et au Québec (tournant 1980 et après):
. les événements, les transformations, les éléments politico-culturels
- Les manifestations de la contemporanéité, en France et au Québec:
. dans le milieu éditorial (éditeurs, revues, collections) . dans l’évolution de l’institution (nouveaux prix, nouveaux éditeurs, nouveaux lieux cri-tiques (revues, internet, etc.))
- L’état du discours sur le contemporain (le « taux » de prise en charge de cette notion)
. présence d’un discours sur le contemporain
. caractère problématique de l’objet contemporain, vision du contemporain sous un éclai¬rage historique (détachement net du contempo¬rain ? sen¬timent de continuité ?)
Voir aussi: http://contemporain.info/wiki2/doku.php/fq-equipe:bilan-synthese_de_mi-parcours#e_axe_esthetique_et_poetique
Les idées défendues dans la deuxième partie sont en conjonction avec les éléments présentés dans la première. Plus spécifiquement, la deuxième partie pourrait être écrite à partir de thèmes qui permettent de proposer notre propre analyse du contemporain. En reprenant des termes poé-tiques et esthétiques qui permettent de mettre les œuvres en perspective, il s’agira, cette fois, de faire dialoguer des œuvres québécoises et des œuvres françaises, mais aussi de détacher les spé-cificités du narratif contemporain. Ce qui est recherché, c’est 1- une certaine originalité des points de vue qui puisse mettre en relief, comme dans la première partie, les points de saisie et de diffraction, tout comme les singularités entre les deux corpus. 2- une mise en relief des grands courants, thèmes, motifs (etc.) qui traversent la littérature narrative contemporaine française et québécoise.
Objectif(s) :
- À venir ?
IDÉES DE CHAPITRES :
- Autorité (narration, vraisemblance…) - Diffraction (éclatement de l’œuvre, influences médiatiques/médiologiques, multiplication des fils narratifs, dimension composite, intertextualité, internet) - Sensibilité (sens, émotion, phénomènes…) - Indécidabilité (genres, hybridations, hétérogénéité…) - Récursivité (intertextualité, autoréflexivité, dérivations, répétitions…) - Transitivité (réel, fiction, biographique, témoignage, document, archive…) - Tonalité (tons, minimalisme, ironie…) - Médialité : rapport de la littérature au déjà dit, au déjà montré, au déjà « médié » — rapport tantôt critique tantôt participatif — par le biais soit du soupçon, soit de la conscience (critique) d’une intertextualité (au sens large) généralisée. Le soupçon permettrait en fait de poser la ques-tion du rapport jamais immédiat avec la réalité (archives, livres, films, témoignages, etc.), sus-ceptible de générer, en même temps qu’une quête/enquête tournée vers le monde (présent ou passé), un regard critique, un soupçon quant à la possibilité d’épuiser ce monde ou de l’atteindre directement une fois pour toutes → les questions du réel et du retour (on n’aborde plus rien naï-vement dans une radicalité neuve, il y a toujours résurgence possible) peuvent s’intégrer au trai-tement de cette notion.
Retour sur la question de la valeur :
1ère partie : valider l'idée de motifs d'obsession (qui valorise certaines oeuvres au détriment d'au-tres, sur la base de paramètres non strictement de valeur littéraire/esthétique) Mécanismes de validation/valorisation, Distance critique minimale Durée et postérité des œuvres
2e partie :