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Éric Plamondon (2012), Mayonnaise

ORION + POROSITÉ – FICHE DE LECTURE

I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE

Auteur : Éric Plamondon

Titre : 1984 - volume 2 : Mayonnaise

Éditeur : Le Quartanier

Collection : Série QR – fiction & poésie

Année : 2012

Éditions ultérieures : Édition française chez Phoebus en 2014.

Désignation générique : Roman (couverture)

Quatrième de couverture : Gabriel Rivages mêle ici son destin à celui de Richard Brautigan. Il part à la rencontre de l’écrivain qui a changé sa vie. Sur les traces de celui qu’on a surnommé le dernier des beatniks, Rivages arpente à nouveau la côte ouest américaine. On passe par l’Oregon où Brautigan a grandi et par San Francisco où il devient écrivain. On croise aussi la grande et la petite histoire. Dans l’Amérique des sixties, Janis Joplin chante « Mercedes Benz » et offre son écharpe au futur auteur de « La pêche à la truite en Amérique ». Celui qui vendait ses poèmes au coin des rues dans Haight-Ashbury et North Beach devient célèbre. Pendant des années la poésie le sauve. Brautigan se tire une balle dans la tête en octobre 1984 dans sa maison de Bolinas. Les histoires de Brautigan ont toujours une fin étonnante.

« Mayonnaise » est le deuxième roman de la trilogie 1984, qui traverse le vingtième siècle sur les traces de trois figures américaines. Le premier, « Hongrie-Hollywood Express », paru en 2011, se construisait autour de la vie de Johnny Weissmuller, athlète et premier interprète de Tarzan au cinéma. Pomme S, le troisième, mettra en scène Steve Jobs, l’homme d’Apple.

Notice biographique de l’auteur : Aucune

II - CONTENU ET THÈMES

Résumé de l’œuvre : Le roman est composé de 113 chapitres courts – vignettes ou tableaux – qui fonctionnent chacun de manière relativement autonome, mais qui constituent autant de pièces d’un puzzle qu’on peut réunir pour former à la fois un portrait de l’écrivain américain, Richard Brautigan, dit le « dernier des Beatniks », et un portrait (quoiqu’un peu plus flou) de Gabriel Rivages qui serait le « bâtard de Brautigan » (189). Dans ce contexte, la fascination de celui-ci pour Brautigan, son œuvre et certains faits marquants de sa vie, s’explique par une sorte « d’atavisme », d’hérédité, de recherche des origines si on veut. Les fils narratifs sont plutôt minces, mais certains éléments de la vie de Brautigan sont mis de l’avant et en parallèle avec Gabriel, dont sa passion pour la pêche, mais surtout le processus d’écriture lui-même et les échos à la vie et l’œuvre de Brautigan. Ainsi, la forme du fragment emprunté ici rappelle l’écriture du poète et le mot « Mayonnaise » est celui qui clos le livre « La pêche à la truite en Amérique » de Brautigan : « La fin du livre n’est pas une fin. C’est la réalisation d’un désir. C’est une boutade annoncée, puis assumée. Je vous garde la surprise. Je dis simplement que le livre se termine par le mot mayonnaise. » (73) De même, le narrateur précise que, pour lui, la table des matières d’un livre de Brautigan « c’est un poème en soi », « c’est un chapitre au complet » (2012 : 124 – chapitre « Table des matières »). Cela nous amène à voir autrement la structure de Mayonnaise dont la table des matières semble, elle aussi, « de la poésie », une forme de clin d’œil à Brautigan. En d’autres termes, le roman donne à même sa trame narrative des clés de lecture.

Également, mentionnons l’importance des anecdotes, voire des « biographèmes » pour emprunter l’expression de Barthes, qui conduisent à des tableaux quasi encyclopédiques ou nous sont données, par exemple, l’histoire de l’origine de la machine à écrire, ou de la provenance du mot « gadget », etc. Même si c’est anecdotes semblent souvent lointaines, l’auteur finit toujours par les lier au portrait de Brautigan. On peut aussi constater que le livre est composé de quatre types de chapitres : les pensées de l’auteur (plus ou moins identifiable), les faits historiques ou « encyclopédique », la vie et l’œuvre de Brautigan et l’histoire de Gabriel Rivages dont la vie est des plus monotones.

Note : « Biographèmes » selon Barthes : J'aime certains traits biographiques qui, dans la vie d'un écrivain, m'enchantent à l'égal de certaines photographies ; j'ai appelé ces traits des « biographèmes ». (Roland Barthes, La Chambre Claire)

Thème principal : le suicide et la mort (et la « recette du bonheur » qui doit prendre comme une mayonnaise : « C’est là toute la beauté de l’émulsion. Comment mélanger deux substances qui ne se mélangent pas? » p. 16)

Description du thème principal : Même si l’ensemble des faits saillants de la vie de Brautigan se retrouve dans le livre, on sent bien que c’est davantage la question de sa mort par suicide (de sa disparition, de son abandon, de la découverte de son corps, etc.) qui constitue le nœud de l’enquête et de l’identification. Le pourquoi et le comment que cherche à comprendre autant le personnage de l’auteur que Gabriel Rivages (auteur et personnage) en passant par de multiples détours (dont, par exemple, les origines des armes à feu). D’ailleurs, le roman s’ouvre sur une citation d’Albert Camus dans « Le mythe de Sisyphe » : « il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. » (2012 : 7)

Je reproduis également une très bonne critique amateur qui explique bien la résonnance de ce thème : « La vie vaut-elle la peine d’être entretenue en terreau états-unien ? En reprenant comme titre le dernier mot de La Pêche à la truite en Amérique de Richard Brautigan, Éric Plamondon dresse le tableau de l’Amérique pour que le lecteur puisse répondre lui-même à cette question shakespearienne. La vie est une mayonnaise. L’auteur s’est intéressé à « cette mystérieuse émulsion pour ses propriétés de réussite et d’échec ». Le succès est important parce qu’elle nappe tous les plats de l’existence en commençant par celui des origines. La quête d’identité serait les prémices du bonheur. Pour Brautigan, elle commence à Montréal, où est né son grand-père maternel. C’est le point A d’une longue marche vers le point B se situant à Bolinas sur la rutilante côte californienne. À l’Est, rien de nouveau. Le paradis, c’est l’Ouest, en commençant par la ruée vers l’or et en atteignant son apogée avec le glamour hollywoodien. Le rêve américain : rêver de la côté Ouest où tout est permis. Le bonheur n’y a pas nécessairement ses entrées. La vie de Brautigan en est la preuve. L’œuvre de cet auteur est « une balle perdue » en marge de la culture des officines. Gabriel Rivages, l’alter ego de Plamondon, est un inconditionnel de ce beatnik. Comme ce dernier, il tente de se construire une réalité inspirée d’une contre-culture afin de se donner une conscience plus inclusive. Une conscience épousant l’idéal frénétique d’une génération, qui a rêvé sous l’effet de l’acide et de l’alcool. L’écriture suit le mouvement de cette quête échevelée. Écriture éclatée d’un roman qui semble tiré des informations de Wikipedia. En fait, le roman est très moderne de par sa fragmentation. Ça rencontre les exigences du lecteur formé par le zapping ou les réseaux sociaux. Cette forme risque de déplaire à plus d’un, mais les jeunes sauront davantage l’apprécier. » (http://www.pauselecture.net/livre-mayonnaise-12535.php )

Thèmes secondaires : l’Amérique, la quête d’identité et des origines, la banalité de l’existence, l’illégitimité, la Côte Ouest, les années 60, les Beatniks, l’alcoolisme, etc.

III- CARACTÉRISATION NARRATIVE ET FORMELLE

Type de roman (ou de récit) : récit biographique diffracté Commentaire à propos du type de roman : La dimension « récit » me semble s’imposer plus que celle de « roman » pour caractériser une trame narrative plutôt mince. La dimension biographique va de soi… Quant à la diffraction, même si c’est un terme emprunté à R. Audet, cela me semble approprié pour caractériser l’œuvre de Plamondon.

Note : Définition de la diffraction : « La notion de diffraction se présente comme une perspective d'ordre poétique de prise en charge de diverses manifestations d'un éclatement ou d'une pluralité interne des œuvres. Multiplication des fils narratifs ou des points de vue, dispersion du statut de héros à des communautés de personnages, investissement des zones de texte ou d'une matérialité des livres, foisonnement énonciatif : les tentatives d'expulsion de l'unité (discursive, actantielle, textuelle) de l'œuvre narrative sont ici saisies comme un trait de l'écriture, comme un processus contribuant à la modalisation de la représentation qu'elle propose. Le corpus s'étend des années 1980 à aujourd'hui. »

Type de narration : multiple

Commentaire à propos du type de narration : Dans les quatre premiers chapitres, on est en présence d’une narration autodiégétique, où le narrateur parle de lui (de ses mayonnaises et de tout ce qu’il ne sera pas). À partir du 5e chapitre, entre en scène un narrateur hétérodégétique qu’on identifie au narrateur des premiers chapitres et qui raconte les origines familiales de Brautigan. Mais, dès le 6e chapitre, un narrateur hétérodiégétique raconte la vie de Rivages qui devient alors objet de la narration. Ce procédé brouille parfois les pistes, puisqu’on oscillera entre ces trois types de narration tout au long du roman – et certains chapitres sont des poèmes – mais on peut simplement imaginer, pour clarifier les choses, que Rivages parle de lui à la troisième personne, ce qui n’empêche pas que, de prime abord, on ne sache pas toujours qui est mis en scène de Rivages ou Brautigan.

Personnes et/ou personnages mis en scène : Mise en scène d’une personne réelle et de son entourage (Richard Brautigan) dont le destin est tracé en parallèle d’un personnage fictif.

Lieu(x) mis en scène : Tacoma (Washington - lieu de naissance de Brautigan), Montréal (jeunesse de Rivages), Paris (vie d’adulte de Rivages – il y part en 1996), Eugene et Salem (Oregon), San Francisco.

Types de lieux :

Date(s) ou époque(s) de l'histoire : années 1960 – années 1980-2000 (époque contemporaine) + 19e-20e siècle (anecdotes historiques)

Intergénérité et/ou intertextualité et/ou intermédialité : « On n’apprend pas grand-chose de la jeunesse de Brautignan ni en lisant ses livres ni en lisant sa biographie. » (24) Il décrit, par exemple, les couvertures des livres de Brautigan (chap. 11), il cite des critiques de ses livres (chap. 13), la taille physique et la cote des archives Brautigan (chap. 23), etc.

Particularités stylistiques ou textuelles : récit fragmenté, diffracté. Différentes postures narratives.

IV- POROSITÉ

Phénomènes de porosité observés :

porosité des genres (poème, fragments, récit biographique, roman); porosité des postures d’écriture (style journalistique, style minimaliste, etc.); fiction et histoire (réel et fiction).

Description des phénomènes observés :

La porosité fiction/réel est assez patente. Je note toutefois que le roman « fictionnalise » plus ou moins la réalité. Ainsi, pas de dialogues ou de monologue rapporté ou d’accès à la conscience des personnages. Au contraire, cette difficulté à bien comprendre la personne réelle (son suicide, surtout, autour duquel tourne le livre) est thématisée et problématisée à quelques reprises, notamment au chapitre 19 « Pourquoi t’as fait ça Richard? » où deux interprétations possibles d’un même fait sont présentées. Ou encore : « On n’est pas là pour résumer les onze romans de Brautigan et ses dix recueils de poésie. Surtout que, s’il y a quelque chose de difficile à résumer, c’est bien l’œuvre de Brautigan. Mais bon, dans la mesure où certains lecteurs ne connaissent rien de cet écrivain, je vais dire quelques mots à propos du livre qui l’a rendu célèbre. » (2012 : 71)

On pourrait peut-être aussi parler d’une porosité entre le savant et le populaire, puisque le savoir encyclopédique côtoie des réflexions plus banales sur la quotidienneté. Cependant, ce savoir « encyclopédique » donne parfois l’impression de rester en surface, rappelant le phénomène wikipedia, où on peut sauter d’un sujet à l’autre pour acquérir une forme de connaissance non scientifiquement validée.

J’ajoute aussi porosité des postures d’écriture, dans la mesure où l’on sent que l’on est à la fois du côté de l’expérimental (faire un livre aussi original que ceux de Brautigan) mais d’également très « goût du jour » avec le savoir donné en feuilletés et l’impression de « zapping » d’un chapitre à l’autre.

Note : un des livres de Brautigan s’appelle Tokyo-Montana Express (102)

Auteur(e) de la fiche : Manon Auger

V- ANNEXE - Analyse proposée par Marie-Pascale Huglo dans son chapitre sur la scène

L’image d’une Amérique neurasthénique au désastre banal qui se dégage du récit de Léger contraste avec le XXe siècle qu’Éric Plamondon revisite dans les deux premiers tomes de sa trilogie québécoise. Il scrute et ravive le mythe américain en lançant son narrateur, Gabriel Rivages, sur la piste de Johny Weissmuller (2011) et de Richard Brautigan (2012), dans des fragments indépendants, numérotés et titrés, faisant se rencontrer le biographique et la fiction en passant, notamment, par l’histoire des machines. Le second degré passe par quantité de citations, d’anecdotes, de scènes de film et de savoir encyclopédique, mais il repose surtout sur un imaginaire mythique de la modernité américaine. La violence et le désastre sont loin d’être absents, mais ils participent à une grande épopée à laquelle Plamondon redonne un souffle bref. Ses fragments multiplient les amorces déroutantes suivies d’étincelles finales capables de faire converger le Geary Boulevard Tunnel et la vie de Brautigan, qui ne l’a pas connu : « Brautigan a longtemps habité sur Geary, mais quand les travaux du tunnel ont commencé, il a déménagé. » (2012 : 118). Le bouclage par l’absurde n’empêche pas la rencontre d’éléments hétérogènes dans un montage ludique qui se dégage des apprêts du style pour créer de minuscules happenings. Les scènes, plus narratives que visuelles, tiennent de l’anecdote et jouent comparativement peu d’un effet de présence. Elles sont un élément parmi d’autres du patchwork documentaire et fictif, traçant, par exemple, les contours net d’un mot mémorable (« I love Chaos », 2012 : 132-133). Les deux versions d’une même scène ne traduisent ni une incertitude ni une dérive du sens : elle acquièrent un pouvoir performatif tourné vers l’avenir dont le lecteur prend acte :

PREMIÈRE VERSION — Parce qu’il n’a aucun endroit où dormir et rien à manger, il prend une pierre et la lance dans une vitre du poste de police de la ville d’Eugene. On le met en prison pour la nuit. Il a de quoi manger et une piaule pour dormir. Le lendemain, il passe devant le juge. Il est condamné à quatre-vingt dix jours d’internement dans un hôpital psychiatrique. 
DEUXIÈME VERSION — Parce qu’une amie n’apprécie pas ses poèmes […] Brautigan saisit une agrafeuse et la lance de toute ses forces dans la vitre du bureau du shérif. On le met en prison pour la nuit. C’est comme un suicide en miniature. Le lendemain, il passe devant le juge. Il est condamné à quatre-vingt dix jours d’internement dans un hôpital psychiatrique. 
Pourquoi t’as fait ça, Richard ? (2012 : 42)

Ces deux versions juxtaposées exemplifient à leur manière les variations sur Brautigan que Plamondon propose, non pour accentuer ce qui, d’une vie, échappe, mais pour performer et raviver à chaque fois, dans des rencontres improbables et les rebonds du sens, le mythe du « dernier Beatnik » américain, dont Rivages serait le « bâtard » (2012 : 106). Dans Mayonnaise, les pirouettes ne manquent pas de panache : chaque entrée constitue à elle seule une épopée miniature, dans un dispositif plaçant la légende au cœur de l’imaginaire américain, dont l’héritage se bricole et se fabule.

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