FICHE DE LECTURE

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : José Saramago Titre : L’année de la mort de Ricardo Reis Lieu : Paris Édition : Seuil Collection : « Points » Année : [1984] 1988 Pages : 412 p. Cote : Désignation générique : roman

Bibliographie de l’auteur : Le Dieu manchot, Le radeau de pierre, Quasi Objet, Histoire du siège de Lisbonne, L’Évangile selon Jésus-Christ, L’Aveuglement, Tous les noms, Manuel de peinture et de calligraphie…

Biographé : Fernando Pessoa (par le biais d’un de ses hétéronymes, Ricardo Reis)

Quatrième de couverture : « Ricardo Reis est l’un des hétéronymes du grand poète portugais Fernando Pessoa. Créature imaginaire, qui pourtant s’inscrit dans la réalité en signant une œuvre poétique importante, il devient, sous la plume de José Saramago, le personnage central d’une fiction romanesque. Dans une Lisbonne changeante, que les reflets du Tage font parfois paraître comme irréelle, Ricardo Reis poursuit une quête d’identité où se mêlent le vrai et le faux; les morts côtoient les vivants, les sages, les fous, en un mystérieux jeu de miroirs. / En choisissant le thème du double, José Saramago interroge les relations entre la littérature et le mythe, le mensonge et l’Histoire, et nous donne à lire un roman étourdissant. »

Préface : La préface, qui est plutôt un avant-propos ou un court préambule, rappelle le procédé des hétéronymes propre à Pessoa : « un groupe d’écrivains de noms divers et d’esthétiques différentes auxquels il attribuait certaines de ses œuvres. » (p. 1.) L’année de la mort de Ricardo Reis, « C’est l’histoire, en quelque sorte devenue indépendante, d’un de ces hétéronymes, Ricardo Reis – poète de la fuite du temps et épicurien à la “sérénité crispée”. » (p. 1.) Ricardo Reis a une biographie précise : parti du Portugal au moment de l’instabilité de la jeune république (Reis est monarchiste), après un exil doré au Brésil, il revient dans une Lisbonne nostalgique et policière. « Il s’agit donc ici d’une fiction greffée sur une fiction et engendrant un mystérieux jeu de miroirs […] » (p. 1.) ,

Rabats :

Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : Note du traducteur. Les éléments importants qui se dégagent de cette note sont l’importance de la double fiction (« Saramago […] fabule la rencontre de ces deux non-existences, celle du poète mort et celle de son hétéronyme, doublement fictif. » (p. 10)), la vérité de la fiction (« il convient de considérer à son tour le roman de José Saramago comme le produit de la relation entre la littérature et le mythe, ce dernier subissant ici un traitement ironique et démystificateur. » (p. 11)) et l’ancrage référentiel si important, « évoqué à travers des documents d’époque et des journaux – la guerre d’Espagne, l’avènement de Salazar et la création de l’État nouveau, la guerre d’Abyssinie, etc. » (p.10.)

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : Rien ne permet d’identifier l’auteur au narrateur, sinon que ce dernier semble contemporain du temps de l’écriture : il fait des prolepses, parle « d’aujourd’hui ». Il n’y a jamais de je narrateur, mais plusieurs digressions politiques, philosophiques ou autres lui sont attribuables, ainsi qu’un important dispositif métalangagier, le narrateur étant toujours penché sur ses propres paroles, leur contenu et leur forme, comme ici : « Au bas d’un escalier raide, une figurine en fonte, au bout de son bras droit, un globe de verre, un page en habit de cour, mais faut-il le préciser, n’est-ce pas un pléonasme, car nul ne se souvient d’avoir vu un page qui ne fût pas en habit de cour, c’est pour porter l’habit qu’ils sont pages, il aurait mieux valu dire, un page vêtu en page […] » (p. 20.) À même la narration, le narrateur surveille et corrige son propre langage, sa propre narration. Autre exemple : « À chacun de nous de décider si de semblables détails sont indispensables ou pas à la compréhension du récit […] » (p. 121.)

Narrateur/personnage : Le narrateur n’est pas un personnage. Il est hétérodiégétique, et il n’a même pas accès à toutes les pensées des personnages du récit. En effet, comme le narrateur de Marbot de Hildesheimer, le narrateur de L’année de la mort de Ricardo Reis adopte un point de vue volontairement limité, copié sur la biographie (alors que c’est d’un roman qu’il s’agit). Par exemple : « Au restaurant, Ricardo Reis emplit de vin son verre, fait de même pour celui de son invisible invité puis, comme s’il portait un toast, l’approche de ses lèvres, n’étant pas dans sa tête, nous ne saurons jamais ni à qui ni pourquoi, bornons-nous à imiter les employés du restaurant, qui ne prêtent plus guère attention à ce client qu’on ne remarque d’ailleurs presque pas. » (p. 404.) Autre exemple : « une jeune fille vierge, car elle l’est sûrement, même si cela n’a pas été dit, et comment savoir, puisqu’elle n’en parle pas, c’est là un sujet des plus intimes […] » (p. 131.) Mais ces restrictions semblent occasionnelles, ponctuelles, préméditées et non systématiques, car parfois, le narrateur raconte les pensées de Reis, fussent-elles très complexes et abyssales : « Si je ne suis que ça, songe Ricardo Reis après avoir lu, qui donc maintenant est en train de penser ce que je pense, ou pense ce que je suis en train de penser dans le théâtre de ma pensée […] » (p. 26.)

Biographe/biographé :

Autres relations :

L’ORGANISATION TEXTUELLE

Synopsis : Le poète et médecin Ricardo Reis, après un exil de 15 années au Brésil, revient au Portugal, à Lisbonne, en ayant comme prétexte la mort du poète portugais Fernando Pessoa. Il arrive juste au tournant de la nouvelle année 1936 (Pessoa étant mort fin 1935). Ricardo Reis s’installe à l’Hôtel Bagança, où il fait connaissance de Lidia, la femme de chambre qui porte le même nom qu’une muse de ses poèmes; une relation ancillaire s’établit, au vu et au su du personnel de l’hôtel. Il y rencontre aussi Marcenda, fille de Coimbra qui vient régulièrement à l’Hôtel avec son père; elle a le bras gauche paralysé et son père prend le prétexte des traitements à Lisbonne pour venir y voir sa maîtresse. Aussi Ricardo Reis fait-il un soir la rencontre de Fernando Pessoa, ou de son fantôme, qui lui explique que les morts errent sur terre pendant les 9 mois suivant leur mort, soit le temps de la vie embryonnaire. Un jour, la Police de la sécurité nationale le somme de se présenter au commissariat. Le gérant, les employés et les clients de l’hôtel l’apprenant, tous se méfient de « monsieur le docteur » (comme ils l’appelaient). Il décide alors de s’acheter une maison. Lidia vient y faire le ménage et faire l’amour avec lui. Ricardo Reis recommence à pratiquer la médecine en remplaçant un docteur malade. Pessoa continue de lui rendre visite. Ainsi que Marcenda; elle conserve sa virginité mais Ricardo Reis l’embrasse sur la bouche. Elle décide de partir et de ne plus voir le médecin trop vieux pour elle. De toute façon, son père a décidé que les traitements ne donneraient rien et de l’amener prier à Fatima. Pour la trouver, Ricardo Reis s’y rend, mais en vain, il y a des millions de pèlerins. Il lui enverra un dernier poème en poste restante à Coimbra. Entre-temps, Lidia tombe enceinte de Ricardo, qui pense à renier sa paternité mais ne le fait pas, faute de temps ou de courage. Lidia a un frère communiste qui est marin. Pendant la guerre civile d’Espagne, sa flotte tente une rébellion et est coulée par la garde côtière. À la toute fin, Fernando Pessoa vient dire adieu à Ricardo Reis, ses neuf mois étant écoulés, mais Ricardo Reis décide de partir avec Pessoa, dans le monde des morts – d’où le titre : L’année de la mort de Ricardo Reis, qui est l’année suivant la mort de Fernando Pessoa (1887-1935).

Ancrage référentiel : ancrage historique très important (comme l’a dit le traducteur – cf. plus haut), appuyé par des journaux et des documents d’époque. Références à des personnages historiques comme Franco ou Salazar. Événements réels (guerre d’Espagne, guerre d’Abyssinie, etc.). Lieux réels (Lisbonne, Coimbra, etc.). La vie de Ricardo Reis étant d’emblée irréelle, l’ancrage référentiel se porte non pas sur des événements de la vie, mais sur un contexte historique mondial.

Indices de fiction : Incarnation d’un personnage fictif (auteur d’œuvre réelles toutefois), Ricardo Reis. Mais cela qui fait croire que Reis n’est qu’une créature imaginaire, Saramago considère que c’est une méprise : « ça y est, il ne manquait plus que cette méprise, cette négligence, ce on-dit, quand nous savons bien, nous, que Ricardo Reis est cet homme qui lit le journal de ses propres yeux, ouverts et vivants, ce médecin de quarante-huit ans, un an de plus que Fernando Pessoa […] » (p. 36.) Résurrection ou apparition posthume d’un personnage réel, Fernando Pessoa, « comme s’il n’y avait rien de bizarre dans le fait que Fernando Pessoa soit là à attendre […] » (p. 79.) Ainsi, le fictif devient « réel » (Reis s’incarne) et le réel devient « fictif » (Pessoa devient un fantôme, un revenant). Structure en chiasme par laquelle l’œuvre affirme son autonomie, son autoréférentialité qui en fait une fiction. Et la rencontre des deux personnages réels/fictifs ne peut qu’advenir dans cette fiction, comme le note Saramago : « Cette conversation doublement improbable, nous l’avons transcrite comme si elle avait eu lieu, c’était le seul moyen de la rendre plausible. » (p. 146.)

Rapports vie-œuvre : Suprématie, du moins sur la longue durée, de l’œuvre sur l’homme de chair, « car pour ce qui est son esprit et de son pouvoir créateur, le destin leur a octroyé une étrange beauté immortelle, ce reste appartient au génie de Fernando Pessoa. » (p. 37.) L’œuvre acquiert une existence indépendante de son auteur : c’est le principe même de la « biographie » de Ricardo Reis, qui est œuvre, qui est créature imaginaire, et qui devient, dans l’espace de la fiction, « vivant ». Ainsi en va-t-il de Lidia, qui des poème de Reis (lui même personnage de Pessoa), est devenu, chez Saramago, un personnage de roman avec un « existence » : « la situation est vraiment comique, se moque Pessoa, vous avez tellement invoqué Lidia que Lidia a fini par apparaître […] » (p. 116.)

Thématisation de l’écriture et de la lecture : La poésie de Reis ou Pessoa est peu évoqué, mais le statut de poète de Reis l’est beaucoup plus, à côté de ses autres statuts cependant, qui tous en font l’homme qu’il est, c’est-à-dire une mosaïque d’identités : « le médecin n’est pas en quête de malades, le poète n’a déjà que trop de muses inspiratrices, l’homme ne cherche pas de fiancée […] » (p. 104.) Aussi, il est dit et redit que les morts ne peuvent plus lire, ne comprennent plus les lettres, devenues des hiéroglyphes pour eux. Je ne sais comment interpréter cette thématisation de la lecture…

Thématisation de la biographie : Aucune.

Topoï : Identités, Histoire, mort, hétéronomie, politique, fantôme, relation ancillaire, la dernière année…

Hybridation :

Différenciation :

Transposition : Transposition d’un auteur fictif en personnage fictif, autrement dit, transposition d’une figure de Pessoa vers Saramago : appropriation, anthropophagie.

Autres remarques :

LA LECTURE

Pacte de lecture :

Attitude de lecture : Se lit comme un roman, ce que c’est, mais la part référentielle du livre (référence aux œuvres imaginaires et aux événements historiques) fait de L’année de la mort de Ricardo Reis un objet limite intéressant pour les études biographiques.

Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage