FICHE DE LECTURE

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Christoph Ransmayr Titre : Le dernier des mondes Lieu : Paris Édition : Flammarion Collection : « Le livre de poche » Année : [1988] 1989 Pages : 309 Cote : UQAM : PT2678A67L4714.1991 Désignation générique : aucune

Bibliographie de l’auteur : Le dernier des mondes est le deuxième roman de cet auteur autrichien. Le premier s’intitule Les effrois de la glace et des ténèbres (1984).

Biographé : Ovide (Publius Ovidius Naso)

Quatrième de couverture : « Le poète latin Ovide a été exilé aux confins de l’Empire, à Tomes, la “ville de fer”, sur la mer Noire. Un de ses disciples entreprend le voyage dans l’espoir de retrouver le manuscrit des Métamorphoses. « Ainsi commence une aventure qui le mènera dans un monde où la réalité et le rêve, le passé et le présent s’entrecroisent, mêlant les images du XXe siècle – micros et cinéma, mais aussi camps de concentration – à celles d’un monde romain revisité par la fantasmagorie. »

Préface : Court avant-propos éditorial qui fait un résumé à peine plus long que celui de la quatrième de couverture.

Rabats : aucun

Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) :

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : L’auteur n’est pas le narrateur.

Narrateur/personnage : Le narrateur n’est pas un personnage : il est hétérodiégétique, omniscient, focalisation zéro.

Biographe/biographé : Même si le biographe n’intervient jamais dans le récit, Le dernier des mondes semble découler d’une admiration pour le poète latin semblable à celle dont témoigne le personnage principal, Cotta. Bien que d’un autre côté, l’emphase qui est mise sur l’énormité du nez d’Ovide (d’où vient le génitif qui a collé à son nom : Naso, nom majoritairement utilisé dans le roman) est assez iconoclaste! « L’empreinte avait reproduit sur le médaillon, avec une minutie proche de la raillerie, le nez étonnamment long du malheureux poète, sa forme si étonnante et inoubliable qu’elle avait valu au poète, en des temps plus joyeux, ce surnom tantôt amical, tantôt ironique. Nason, c’était le nom par lequel ses amis l’appelaient, et l’insulte que lui lançaient ses ennemis […] » (p. 91).

Autres relations :

L’ORGANISATION TEXTUELLE

Synopsis : Voir « Quatrième de couverture ».

Ancrage référentiel : Les référents sont nombreux, mais ne sont toujours que le matériau romanesque dont use Ransmayr pour élaborer sa fiction. Autrement dit, le référent ne garde jamais une valeur factuelle. Il y a deux sortes de référents : historique et mythologique. Les référents historiques proviennent de deux périodes, l’Antiquité, d’une part, le XXe siècle, d’autre part. Ainsi, l’auteur témoigne d’une connaissance nourrie de la vie d’Ovide, de Pythagore, de Cotta (le personnage principal, qui a vraiment existé, dont Ovide parle dans certains de ses écrits), d’Auguste, etc. Par exemple, il est vrai qu’Ovide a été banni de Rome à cause de soupçons de complot et qu’il a été déporté au bout du monde, c’est-à-dire sur les côtes de la mer Noire. « Nason [Ovide] c’était le Romain, le banni, le poète, qui habitait avec son valet grec à Trachila, un hameau abandonné, à quatre ou cinq heures de marche au Nord de la ville. Publius Ovidius Naso […] » (p. 14). Ransmayr puise abondamment et librement dans l’histoire antique, mais l’histoire telle qu’attestée par les historiens. Par ailleurs, le récit est bien ancré dans l’histoire du XXe siècle : le cinéma, les chambres à gaz, ne sont que deux exemples d’inventions ou d’événements auxquels réfère implicitement ou explicitement Ransmayr. Les autres référents sont d’ordre mythologique; plus précisément, il sont tirés de a mythologie romaine. Ainsi, sur la trentaine de personnages qui peuple le roman, la plupart sont issus de mythes : Actaéon, Alcyoné, Cyparissus, Icare, Orphée, etc.

Indices de fiction : On le voit, la mosaïque de références historiques et mythologiques ne peut qu’être fictionnelle, car elle donne lieu à des anachronismes. Pythagore devient le serviteur d’Ovide (sic), Cotta fait l’amour à Écho, et sous le règne d’Auguste César, on regarde des films que vient projeter un lilliputien dans la ville de fer, Tomes, « ce lilliputien qui venait en ville au mois d’Août dans une voiture bâchée et projetait des films d’amour, à la nuit tombée, sur le mur blanc de l’abattoir. » (p. 13.) En plus, bien sûr, les personnages historiques et mythologiques sont mis sur un même plan diégétique. Fait intéressant, à la toute fin de son roman, en paratexte, Ransmayr établit un « Répertoire ovidien ». Il y a deux colonnes mises en parallèle, l’une décrivant les « Personnages du Dernier des Mondes » et l’autre les « Personnages de l’Ancien Monde ». Ainsi, l’auteur témoigne de toute la connaissance historique et mythologique qui sous-tend son roman, mais aussi des transformations qu’il a fait subir aux référents dans leur transposition à la fiction. Il appert que l’auteur s’est toujours basé sur la « biographie » des personnages historiques et mythologiques pour construire leur propre histoire ou biographie dans son roman. Par exemple, l’histoire de Térée, Roi de Thrace, se répète exactement dans Le dernier des mondes, où il devient le boucher de la ville, qui viole et mutile Philomèle, la sœur de son épouse Procné qui, quand elle découvre cela, tue son fils, Itys, pour accabler son mari. Chaque personnage est ainsi doté, à des degrés divers, de traits et de l’histoire qu’il avait originellement dans l’Histoire ou la mythologie. Néanmoins, je l’ai déjà dit, tout devient fiction dans ce qui est bel et bien avant tout un roman historique de science fiction (nouveau genre qui a fait fortune : Le dernier des mondes est un best seller traduit en plusieurs langues).

Rapports vie-œuvre : On observe à quelques reprises dans Le derniers des mondes ce mouvement inversé que remarquent, par exemple, presque tous les biographes de Proust : non seulement l’œuvre mime-t-elle la vie, mais la vie mime l’œuvre. Ainsi en est-il quand Cotta remarque que « les murs de sa chambre ressemblaient aux décors des Métamorphoses » (p. 177). Bien sûr, ici, ce n’est pas vraiment la vie, mais l’œuvre qui imite… l’œuvre, puisque le récit est toujours fictif et que, par ailleurs, Ovide n’apparaît que comme objet de la quête du héros, Cotta : Le dernier des mondes n’est sa biographie que de façon très oblique. J’ai déjà dit que les personnages historiques étaient transposés en conservant traits et « biographie »; de la même manière, des passages de l’œuvre d’Ovide est transposée dans le roman de Ransmayr parfois presque littérale, comme ici : « Fama cria. Car, avant même d’avoir passé tendrement sa main épouvantée sur le front de son fils, elle savait que rien ne perturberait plus l’être troublé qu’elle avait enfanté dans la douleur et maintenu en vie : il était devenu pierre. » (p. 199.) En somme, l’œuvre d’Ovide et l’œuvre de Ransmayr, ainsi que la vie d’Ovide et la vie des personnages de Ransmayr, s’entremêlent sans cesse, ce dont rend bien compte cette phrase : « Banni de Rome, chassé du royaume de la nécessité et de la raison, el poète avait achevé sur la mer Noire le récit des Métamorphoses, avait fait d’une montagne nue qui tombait dans la mer, où il avait souffert du froid et de l’éloignement, son propre rivage, et de ces barbares qui l’importunaient et l’avaient repoussé dans la solitude de Trachila, il avait fait ses personnages. » (p. 265.) Alors qu’en fait, Ransmayr puise dans l’œuvre d’Ovide pour créer sa fiction, il renverse la hiérarchie et dit que c’est Ovide, en tant que personnage de son roman, qui a puisé dans son œuvre à lui, c’est-à-dire dans ses personnages, ses décors et son actions, pour créer les Métamorphoses! C’est un renversement qui vise à l’appropriation.

Thématisation de l’écriture et de la lecture : Ransmayr fait d’Ovide un poète subversif : « Mais le seul titre de ce livre, dans la ville où résidait l’empereur Auguste, avait été un geste d’outrecuidance, un appel à la révolte, dans Rome où le moindre bâtiment était un monument à la gloire de l’Empire et rappelait la permanence, la durée, l’impérissabilité du pouvoir. Nason l’avait intitulé Métamorphoses, et la mer Noire était le prix de ce titre. » (p. 43.) L’écriture et l’écrivain sont par ailleurs les deux objets de la quête du héros : « sa quête du poète et de son œuvre calcinée » (p. 208). Finalement, il ne retrouve jamais le poète, qui est probablement mort en montagne, mais retrouve l’œuvre dispersée autour de lui, dans la vie des personnages du dernier des mondes.

Thématisation de la biographie : Il n’y a pas de thématisation de la biographie proprement dite, mais il y a thématisation de la mythification, ce qui peut être pertinent. En effet, banni, Nason devient un mythe dans Rome : « Quels que fussent les mythes dans lesquels le destin de Nason se décomposa sous les coups de la politique, toutes les interprétations de son bannissement ne furent jamais autre chose que des jetons de propagande dans les luttes pour le pouvoir, où les différents partis étaient tous également utiles de différentes façons et où il n’était donc pas nécessaire de justifier leur raison d’être ou de les faire concorder d’une manière ou d’une autre avec les réalités de l’exil et de la vie réelle. » (p. 122.) J’inscrit cette thématisation de la mythification dans « Thématisation de la biographie » parce qu’il me semble qu’aujourd’hui, la biographie participe parfois justement de ce genre de récupération propagandiste. De la façon la plus intellectuelle, c’est Sartre qui fait de Baudelaire l’illustration de sa théorie existentialiste; de la façon la plus populaire, ce sont tous les biographes de Georges Bush ou de John Kerry qui sortes leurs ouvrages peu de temps avant les élections pour influencer le vote. Dans la biographie contemporaine se dessinent les mythes et les jeux politiques.

Topoï : Sur les traces de… : ce topos important en biographie est bien présent dans le roman de Ransmayr. Quand Cotta cherche Ovide, il se dit : « Nason était passé ici. C’était le chemin de Nason. » (p. 15.) Topos du document détruit : Ovide est victime d’un autodafé et Cotta craint que même ses Métamorphoses, dont on n’avait entendu que des passages en date, ne soient détruites. Voir p. 20-21.

Hybridation : D’abord roman, l’œuvre de Ransmayr emprunte beaucoup à l’Histoire, à la mythologie, un peu à la biographie. Le sous-genre (novateur) est le « roman historique de science fiction ».

Différenciation :

Transposition : Le dernier des mondes est un tissu complexe de transpositions mythologiques, historiques et littéraires.

Autres remarques : Même si Ovide n’apparaît qu’en arrière-plan, et que Le dernier des mondes est bien plus un roman qu’une biographie, je crois que ce cas reste pertinent, pour la fictionnalisation du matériau historique, ainsi que pour la transposition des matériaux mythologiques et littéraires, surtout.

LA LECTURE

Pacte de lecture : Malgré l’érudition de Ransmayr (connaissances des mythes, de l’œuvre d’Ovide, de l’histoire), son roman demeure plus près de la paralittérature que de la littérature : c’est une science fiction nouveau genre.

Attitude de lecture : Je n’ai pas eu le plaisir coupable de la lecture facile dont on s’attend en ouvrant un best seller de science fiction du genre; le roman est bien plus descriptif que narratif.

Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage