Table des matières

BILAN DE RECHERCHE SUR L’ÉCRIVAIN IMAGINAIRE EN LITTÉRATURE CONTEMPORAINE

1- Résumé de la recherche :

Ma précédente recherche consistait à repérer sur une période d’un peu plus de dix ans (1998-2010) toutes les œuvres littéraires mettant en scène en scène un écrivain réel ou fictif. À partir de cette bibliographie (grosso modo 600 titres), il s’agissait, pour cette recherche-ci, d’isoler exclusivement les œuvres qui mettaient en scène des écrivains imaginaires et de voir ce qu’il en était. Une première bibliographie a été établie (92 titres). D’autres recherches ont été ensuite nécessaires afin de s’assurer du statut générique, voire du « degré » de fiction (de la figure d’écrivain) de ces œuvres du corpus − à savoir, en premier lieu, s’il s’agissait bel et bien d’écrivains fictifs dans chacune des oeuvres. Ce n’était pas toujours le cas et pas toujours facile à déterminer − j’y reviens. Il faudrait en fait peut-être plus parler du statut de fiction, pour l’instant, que du statut générique. Des multitudes de stratégies sont à la disposition des auteurs afin de « statuer » sur la fiction (ou de jouer avec, mettons). Autant de romans à clés (pseudo-autobiographiques) deviennent de véritables « pièges à fiction » (statut fictionnel problématique), mais, quand même, des phénomènes de mode semblent aussi venir cristalliser des manières de faire, des enjeux fictionnels types.

Une question préliminaire : quelles sont les bases à la disposition du chercheur afin de déterminer la fiction d’un « roman » ? Et poser la question « qui parle ? » implique des éléments qui échappent à la « connaissance » critique et littéraire. Par exemple, avec le roman Histoire de l’homme que sa femme vient de quitter de Jean-Philippe Arrou-Vignod, que fait-on avec l’histoire d’un personnage écrivain français (donné comme imaginaire) qui se fait laisser par sa femme et qui part à Berlin cuver sa peine ? Peut-être que tout est très autobiographique même si toutefois la figure du personnage écrivain dont il relate la vie est fictionnalisée. Peut-on parler d’écrivain imaginaire ? De roman autobiographique ? D’autofiction ? D’autobiographie romancée ? Autre exemple : l’autofiction. Un personnage « autofictif » est-il fictif ou autobiographique ? Si on suit la définition de Vincent Colonna (il n’y a de vrai dans l’autofiction que le nom de l’auteur), la figure, après, résulte tout de même d’une bonne part de l’imaginaire .

Dans la bibliographie revue et corrigée, à la fin des notices, en orange, j’ai choisi ces critères classificatoires : « autofiction » (statut générique/fictif problématique), « autobiographie » (et donc elles seraient carrément à biffer de cette bibliographie), « autobiographique » (sur la base des recherches on ne parlerait pas d’autobiographie comme genre, mais on note tout de même des recoupements entre l’intrigue du livre et des éléments de la vie de l’auteur ), et « non pertinent ». Non pertinent : parce que certains livres peuvent bien présenter un écrivain imaginaire, l’œuvre n’a pas de rapport avec la problématique vie-œuvre et s’analyse mal (sinon pas du tout, aucune pertinence) avec le modèle de fiche en vigueur.

2- Les constats, les hypothèses :

À la négative :

1- Comme on l’imagine d’après ce que je viens d’avancer plus haut, la figure d'écrivain imaginaire, finalement, reste marginale par rapport à l'imposante bibliographie des « romans biographiques » mettant en scène un écrivain . Des 92 titres, on passe à : 56 mettant en scène un écrivain imaginaire, 14 non pertinents, 6 autobiographies, 8 autofictions (des Français, sinon c’est classé dans « autobiographique ») et 9 autobiographiques. Il faut encore noter que tout n’est pas nécessairement figé. Des 56 qui restent, certains pourraient s’avérer non pertinents et, à l’opposée, certains romans autobiographiques et autofictions pourraient finalement être pertinents (c’est le cas, notamment, à mon avis, de Danse avec la vie, de Zoé Valdès, sorte d’autofiction où cependant la relation vie-œuvre est explorée et où on a affaire comme lecteur à une œuvre fictive, de 2ème degré, dans l’œuvre réelle qu’est le roman Danse avec la vie…) Il faudrait seulement accepter qu’une part suffisante de fiction, dans l’autobiographique et l’autofiction (c’est du cas par cas), peut demeurer intacte pour que l’on puisse parler de figures d’écrivains (au moins en partie) imaginaires.

2- Le rapport entre la vie et l’œuvre dans une bonne partie des œuvres contemporaines mettant en scène un écrivain imaginaire me semble être nul. C’est peut-être un peu redondant ce que je dis, mais je persiste : des 56 titres « pertinents », plusieurs, après lecture, pourraient ne plus l’être, sinon à la négative : il n’y a pas ici d’articulation entre la vie et l’œuvre, l’œuvre est évacuée, la figure sociale de l’écrivain est évacuée, ne reste plus qu’une vie intime et une figure accessoire d’écrivain imaginaire.

3- Le modèle de fiche en vigueur sur les figures d’écrivain n’arrive donc pas toujours, dans ces cas-ci, à cerner vraiment bien les enjeux des œuvres au corpus, car ils (les enjeux) ne concordent pas avec ceux que tentent de traquer la fiche…

4- Autrement dit − et on reconnaîtra la paraphrase −, l’articulation de la vie et de l’œuvre (pour les « romans » mettant en scène un écrivain imaginaire) n’est peut-être pas tant un enjeu majeur de cette écriture contemporaine, sinon à la négative, où la figure d’écrivain est accessoire. Si on ne nie pas cette articulation − ces écrivains sont tout de même bien de leur temps et plus personne ne croit en la fameuse mort de l’auteur −, la tendance est, à mon avis, à la séparation de l’œuvre de la vie, au profit de la vie (intime surtout, et parfois sociale).

L’œuvre inventée (nécessairement inventée dans ces cas-ci puisque l’écrivain est imaginaire) ne semble pas attirer beaucoup les auteurs (réels, s’entend). Borges a perdu de son lustre, faut-il croire, le jeu est ailleurs − devenir un personnage (autoreprésenté et pseudo-fictif) de fiction en littérature.

5- Dans les « pires » cas, la figure d’écrivain est accessoire, fait partie avant tout de la situation initiale du roman qui offre ensuite une intrigue qui a à voir avec bien des choses sauf le métier d’écrivain. Par exemple : Le Diable et la Licorne de Jean-Pierre George, L’orgie échevelée de Patrick Besson. Ces deux titres offrent d’ailleurs à peu près la même intrigue érotique.

6- Dans la veine de ce que Viart avance sur la filiation, on trouvera quelques titres où un écrivain enquête sur la vie de quelqu’un (mais pas forcément d’un écrivain, par ex. Geneviève Parot, La folie des solitudes). Des romans plus ou moins autobiographies qui mettent en scène un écrivain qui regarde en arrière, où c’est le biographique (la biographie de l’autre) qui intéresse. (Le topos : on commande un texte à quelqu’un qui devient « enquêteur » : par exemple Pacific agony de Bruce Benderson , Portrait de l’écrivain en animal domestique de Lydie Salvayre , Le violoniste de Paolo Maurensig et Son absence de Justine Augier .) Ces titres participent d’une sorte de soif de la vie, de l’histoire (avec ou sans majuscule), du récit : l’enquête sur l’autre est une quête de soi (image nulle mais claire).

7- Par rapport aux statuts génériques, sur quelques recoupements :

A) Le roman du milieu de l’édition : Le contrat de Donald Westlake, Jésus Hermès Congrès de Jean-Yves Jouannais.

B) Dans la même veine, roman critique de l’édition ou de la scène médiatique : Papier mâché de Patrice Delbourg.

C) Le roman du nègre (assez important en nombre) : L’amour caméléon de François-Xavier Bellest, Les nègres du traducteur de Claude Bleton, Faire le mort de Didier Blonde, Roman nègre de Dan Franck, La fille du directeur de cirque de Jostein Gaarder.

D) Le roman de l’universitaire : La littérature de Mathieu Lindon, Pensées secrètes de David Lodge, Colloque sentimental de Julie Wolkenstein.

E) Science-fiction et fantastique : Petite tribu [sic] de femmes de Jean-Pierre Otte, Le faune d’Anna-Karin Palm, Le gène du doute de Nicos Panayatopoulos.

F) Fictions « postmodernes » : Le livre qui n’existe nulle part d’Alain Jouffroy , Danse avec la vie de Zoé Valdès .