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FICHE DE LECTURE
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Élisabeth BARILLÉ Titre : Anaïs Nin, masquée, si nue Lieu : Paris Édition : Robert Laffont Année : 1991 Pages : 311 p. Cote : PS 3527 1865 Z565 Désignation générique : Aucune
Bibliographie de l’auteur : Corps de jeune fille (1986) ; L’envie de Marie (1989) ; Exaucez-nous ! (1999) ; Un couple modèle (2001) ; Singes (2004).
Biographé : Anaïs Nin
Quatrième de couverture : Note sur Anaïs Nin, suivie, en plus petit caractère, de la présentation du projet de l’auteur : «Élisabeth Barillé […] jongle avec les facettes d’un personnage qui lui ressemble dans un jeu romanesque de confessions, monologues, récits croisés, rythmé par d’insolites “clips” littéraires ou Anaïs apparaît inspirée, tragique, scandaleuse. Une femme libre.»
Préface : Très courte «note de l’auteur» qui reprend d’abord une citation de Nin : «J’ai toujours éprouvé un vif désir d’écrire la vie de quelqu’un. La “forme” me plaît en elle-même : un style libre, une analyse de caractère sans le recours d’une intrigue.» Suivie de ce commentaire de l’auteur : «Ces paroles d’Anaïs Nin ont inspiré ce portrait, romanesque, bien sûr, mais tissé dans la matière même de son œuvre, de sa vie.»
Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : Cette biographie fait partie de la collection «Elle était une fois». Sur la deuxième de couverture, on décrit ainsi cette collection : «C’est une collection de rencontres entre une femme d’aujourd’hui et une femme du temps jadis. L’une écrit, l’autre chante, peint, courtise, pose, compose ou joue. C’est une collection de biographie, mais de biographies littéraires où la voix de l’auteur, sa musique, son style comptent autant que le personnage auquel il s’attache. C’est une collection de biographies-miroirs où deux femmes se reflètent, se font écho, se répondent. Ainsi s’instaure entre elles, par delà les époques, un échange insolite qui renouvelle les lois du genre et fait de ces livres beaucoup mieux que des biographies : de surprenants dialogues de femmes.»
LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :
Auteur/narrateur : Les voix se mélangent ici. Il y a celle d’un narrateur hétérodiégétique qui raconte certains passages de la vie de Nin sous forme de sommaire et que l’on peut associer à l’auteur, ainsi que dans les passages que j’appellerai des variations sur divers thèmes (qui font une page) qui sont plus proches de l’essai. Il y a aussi un narrateur hétérodiégétique qui raconte la vie de Nin sous forme de scènes romancées et que l’on doit donc différencier de l’auteur, puis des «récits» indépendants qui sont attribués à des personnages qui racontent alors en mode homodiégétique.
Narrateur/personnage : Le changement de narrateur à l’intérieur du livre engage divers rapport entre les narrateurs et le personnage principal, faisant osciller la focalisation de zéro à interne. Nin est tantôt vue par la domestique de sa mère, tantôt par une tante, tantôt par son mari, tantôt par des amis, tantôt par son psychanalyste du moment, etc. Chaque nouveau personnage-narrateur nous offre un portrait physique et psychologique de Nin à divers moments de sa vie. La scène d’agonie (si propre aux vies fictionnelles si l’on s’accorde à Cohn) est racontée par Nin elle-même et trois lettres d’Hugo Guiler (l’époux de Nin) livrent divers aspects de leur liaison conjugale. À d’autres moments, la narration hétérodiégétique nous fournit des scènes entre Hugo Guiler et sa mère, par exemple, – où celle-ci nous livre un point de vue extérieure sur la jeune fille. Nous avons donc une multitude de points de vue sur le personnage principal, mais aussi sur tous les autres personnages, ainsi que sur le récit qui peut nous offrir des scènes dédoublées selon la focalisation engagée. Nous avons également le point de vue de la biographe qui fournit ses propres interprétations et qui insiste à quelques reprises sur le témoignage du frère d’Anaïs avec qui elle a entretenu une correspondance pendant la rédaction de la biographie et qui lui a permis de rectifier certains faits : «Anaïs aimait dramatiser, explique Joaquin Nin-Culmell son frère dans une des nombreuses lettres qu’il m’a adressées. […] Notre “pauvreté” était toute relative ! Nous avons toujours eu une bonne. » (p.26)
Biographe/biographé : Comme l’auteur se fait relativement absente, la relation bio/bio se saisit essentiellement par le portrait qui est fait de la biographée. Teintée d’une certaine fascination, ce portrait tente avant tout de saisir la complexité de la personnalité de Nin, sans complaisance ni vénération. Si la biographée ressemble à la biographe, comme le souligne la quatrième de couverture, ce jeu d’identification n’est pas mis en scène. Ses références à sa correspondance avec le frère de Nin (à qui elle semble accorder davantage de crédit qu’à Nin elle-même), témoigne d’un souci de lucidité face à l’interprétation de la vie de la biographée. Elle s’efforce toutefois de rectifier certains jugements plutôt négatifs vis-à-vis de Nin ; parlant de ces nombreuses liaisons avec ses analystes, Barillé souligne : « On a parlé de coquetterie, de nymphomanie, parfois d’hystérie. J’y vois plus simplement un affranchissement. Séduire son psychanalyste, c’est en finir avec l’analyse, sans pour autant renoncer à l’inconscient. » (p.142)
Autres relations : Nin a toujours aimé s’entourer d’êtres d’exception, d’artistes surtout. Dès son plus jeune âge, ses murs sont tapissés de figures d’écrivain qui ne l’intimident nullement et qui, au contraire, l’aide à s’inscrire au sein de cette communauté particulière (p.39). Toute sa vie, elle recherche le génie, le talent, la passion et fréquente plusieurs écrivains et artistes masculins, dont, bien sûr, Henry Miller, mais aussi Lawrence Durrel, Antonin Artaud, André Breton, etc. La plupart de ses personnages se retrouvent ici au premier plan, évoluant autour de la figure de Nin qu’ils éclipsent par leur popularité précoce. Tiraillée entre sa fascination et son amertume, Nin laisse trop souvent la nourricière en elle prendre le pas sur l’artiste (p.232), se plaçant elle-même dans l’ombre des autres, alors qu’elle ne rêve que de gloire et de liberté.
L’ORGANISATION TEXTUELLE
Synopsis : La biographie commence en 1914 alors qu’Anaïs, onze ans, débarque à New York après la traversée de l’Atlantique où elle commence la rédaction de son premier journal – son enfance est racontée par sa mère. Le récit, linéaire et détaillé, suit dès lors Anaïs à travers son adolescence, ses premiers amours, son premier métier de mannequin, son mariage, puis son retour en France. Viennent ensuite sa rencontre avec Miller et sa femme, sa vie mondaine à Paris, ses premières psychanalyses, la rédaction de ses premiers romans, etc. De retour à New York, Anaïs décide d’avoir sa propre presse pour s’éditer elle-même. Travaillant d’arrache-pied, Anaïs désespère de ne jamais connaître le succès. Parallèlement, elle se décide à écrire des romans érotiques sur commande. Se faisant un nouvel amant, Rupert Pole, elle partage dès lors sa vie entre lui et son mari qui a renoncé aux finances pour faire du cinéma «underground». Petit à petit, sa réputation commence à s’établir et, à soixante ans, elle se décide à publier son journal dans une forme expurgée et c’est le succès immédiat. Le mouvement féministe se réclame d’elle et elle donne des conférences. Luttant contre un cancer pendant quelques années, elle finit par succomber à l’âge de 74 ans.
Ancrage référentiel : La vie de Nin sert en fait d’ancrage référentiel à partir duquel se déploie tout le reste, c’est-à-dire tant les récits des personnages que les variations sur divers thèmes. L’auteur demeure donc fidèle, c’est-à-dire qu’elle n’invente pas de fait comme tel, mais brode autour de ceux-ci.
Indices de fiction : Nombreux. Notamment l’accès aux pensées des personnages, les dialogues et les monologues intérieurs, ainsi que la prédominance des scènes sur les sommaires.
Rapports vie-œuvre : Pour Nin, sa vie qu’elle mène avec passion doit servir de carburant à l’écriture, chaque expérience intéressante doit être écrite (p.170). Le Journal se révèle être la forme ultime de cette fusion entre la vie et l’œuvre que souhaite réaliser Nin elle-même. Très tôt, alors qu’elle s’adonne à la lecture des diaristes réputés, elle décide de « le conduire comme une œuvre » (p.36). Il ne s’agit pas pour elle de se souvenir, mais de se faire entendre, comprendre et aimer à travers lui, car c’est lui qui lui confère le statut d’artiste (p.38). Menant sans cesse une double vie peu de temps après son mariage, son écriture se nourrit alors de ses forces antagonistes qui sont en elle. Dès lors, elle entame des romans, des nouvelles, des pièces de théâtre, mais « n’est fidèle qu’à son Journal » (p.77) qui demeure le miroir de sa vie où elle se projette en auteur et en actrice. En fait, « Anaïs n’a cessé d’osciller entre la réalité d’une illusion (le roman) et l’illusion d’une réalité (le journal) » (p.91). Mais le journal est toujours paradoxal dans cette relation de la vie à l’œuvre puisque, en tentant de saisir la vie par écrit, il la déforme invariablement. La crainte de blesser, obnubilée par celle de tout capturer, de tout révéler, fait du Journal un lieu où se dresse un conflit éthique particulier, tout comme le désir de dessiner et d’embellir la réalité. La biographe se montre donc très suspicieuse vis-à-vis des informations sur la vie de Nin qu’elle récolte dans le Journal (exemple, p.153). À l’inverse, elle n’hésite pas à voir dans le Journal la matière des œuvres de fiction : « Il n’est pas un jour où elle n’en relise les copies dactylographiées, “pour se rafraîchir la mémoire”, dit-elle. Et pour nourrir sa fiction. Son Journal lui sert de carnet de notes. Ses romans révèlent ce qu’elle doit taire. La romancière brode sur les silences de la diariste. » (p.260) Mais, plus encore, retenons que Nin, lorsqu’elle tentait de faire publier son Journal et qu’elle se butait au refus des éditeurs, leur « citait Oscar Wilde : devenir une œuvre d’art m’importe plus que d’en créer une » (p.276) et c’est ce à quoi elle s’attarde tout au long de sa vie, tout en prenant soin d’en garder une trace écrite. En fait, elle forge sa légende pendant toute sa vie, à travers elle (et le Journal qui la symbolise) qu’à travers tout autre œuvre (p.288). La biographe lui fait dire : « Le défi est là. S’offrir ! S’immoler à la littérature ! Prenez ma vie ; c’est mon œuvre… » (p.277) Nin avait une foi absolue dans l’art puisque lui seul peut changer la vie (p.298).
Thématisation de l’écriture et de la lecture : 1- L’écriture : l’écriture est beaucoup thématisée puisqu’elle est au centre de la vie de Nin qui commence très jeune à s’y adonner avec passion. Son premier Journal se veut une longue lettre qu’elle adresse à son père absent et qui marque l’écriture d’un pouvoir de séduction. Sa seule arme pour reconquérir ce père qui l’a abandonnée est l’écriture : « Sans les mots, je ne suis rien. Une jeune fille banale. » (p.37) Par la suite, l’écriture revêt un caractère transgressif dès lors qu’Anaïs doit se cacher pour tenir son Journal et est envahie par le peur de trahir et de blesser, mais tire la matière même de son écriture de cette transgression des interdits à laquelle elle s’adonne avec volupté. C’est par le biais d’une écriture plus proche de son esthétique, soit un essai sur D.H. Lawrence, qu’elle accède à la publication. Nin écrit par nécessité, mais souhaite écrire pour le monde entier et, si elle se dit une artiste depuis son enfance, elle ne peut se dire écrivain que lorsqu’elle sera enfin publiée. Lorsque son Journal le sera à la fin de sa vie, Nin penchera alors pour une écriture plus sociale, entretenant une épuisante correspondance avec ses nombreuses lectrices (p.282). 2- La lecture : Elle est thématisée seulement lors de l’enfance et de l’adolescence de Nin, alors que celle-ci devient autodidacte et s’adonne à divers genres. La lecture est si importante pour l’enfant que, ne sachant pas quel livre choisir à la bibliothèque municipale, elle décide de tout lire en ordre alphabétique (p.30). 3- Écriture et lecture : la relation Nin-Miller se construit davantage sur cette dialectique que sur une passion physique. Miller séduit Anaïs par ses mots et ils sont unis davantage par l’écriture et la lecture de leurs lettres, par le plaisir de se perdre dans l’écriture et d’être lu, compris, entendu, que par un amour véritable (p.122). La biographe remarque d’ailleurs : « Pas de correspondance plus suspecte que celle de deux écrivains pour qui les mots priment sur les sentiments ; et dont les effusions ne servent que le style. » (p.125)
Thématisation de la biographie : Peu thématisée à deux exceptions près. 1- Dans un chapitre intitulé « Modèle », la biographe relève qu’une des nouvelles de Vénus Érotica, écrite à la première personne et intitulée « Artistes et modèles », semble être d’inspiration autobiographique : « Anaïs se joue du lecteur. Mais avec quoi joue-t-elle ? Avec ses fantasmes ? Où ses souvenirs ? J’ai choisi la seconde hypothèse. » (p.52) Il s’ensuit que le reste du chapitre raconte la visite d’Anaïs qui va poser chez un sculpteur dans un récit oscillant entre le première et la troisième personne. Le caractère fictionnel de cette scène est donc clairement assumé par la biographe. 2- Selon la biographe, le Journal et sa publication ont offert à Anaïs un refuge contre ses diverses peurs. Elle écrit : « J’ai toujours pensé qu’Anaïs avait publié son Journal pour déjouer tout complot biographique. Pour assurer sa paix posthume, son salut. » (p.183)
Topoï : Le goût de la liberté est un topos omniprésent qui traverse la biographie entière. Tous les gestes d’Anaïs semblent être dictés par ce besoin, telles ses nombreuses évasions et sa tendance au saphisme qui s’associe davantage pour elle au dandysme qu’à la sexualité comme telle (p.119). Il en va de même pour son désir de devenir psychanalyste (afin de devenir indépendante financièrement et de pouvoir écrire ce qu’elle veut) et d’avoir sa propre presse pour éditer enfin ses oeuvres. Ajoutons à ce topos : le désir de plaire, la vocation d’écrivain, la recherche du succès et de la gloire, la recherche de soi à travers la figure de l’autre, la relation père-fille, l’exil, le travestissement, etc.
Hybridation : Entre biographie et roman, entrecoupé d’essais.
Différenciation : Différenciation de la biographie traditionnelle par le recours aux procédés romanesques sans nier ou exhiber pour autant son caractère fictionnel, sans justifications ou explications du projet biographique autre que celui de la quatrième de couverture.
Transposition : Le passage du biographique au romanesque (souvent, un moment de la vie de Nin est décrit sous forme biographique et est suivi d’une reprise sous la forme fictionnelle) nous offre une transposition marquée par un « changement du domaine de validité », offrant à la lecture une variation de registre. La vie de Nin y est abondamment transposée, son œuvre également, mais les sources exactes ne sont jamais données. Les voix de la biographe et de la biographée s’entremêlent donc.
LA LECTURE
Pacte de lecture : Cette biographie ne présente pas clairement son ambiguïté ; celle-ci se décèle à travers les indices de fiction qui parsèment le texte. Elle peut donc être reçue comme factuelle, comme une version romancée mais conforme à la vie de la biographée.
Attitude de lecture : Biographie très intéressante tant dans son propos, son style, sa mise en scène. Convient bien, à mon avis, au corpus, sans révolutionner pour autant le genre de la « biographie fictive ».
Lecteur/lectrice : Manon Auger