**1. Degré d’intérêt général** //Le récital// est peut-être le premier roman de Nicolas Gilbert, mais cela ne saurait excuser les maladresses qu’on y relève. La qualité de l’écriture me semble en deçà de ce à quoi Leméac nous a habitués. À la lecture, j’ai eu l’impression d’un récit qui s’adressait à de jeunes lecteurs ou, du moins, à des lecteurs dont on sous-estime l’intelligence : non seulement on leur dit tout mais, par là même, on leur prend la main pour les guider dans un parcours qui, paradoxalement, n’a rien de particulièrement compliqué. Pour toutes ces raisons, le livre m’a ennuyée. **2. Informations paratextuelles** 2.1 Auteur : Nicolas Gilbert 2.2 Titre : //Le récital// 2.3 Lieu d’édition : Montréal 2.4 Édition : Leméac 2.5 Collection : - 2.6 (Année [copyright]) : 2008 2.7 Nombre de pages : 148 2.8 Varia : **3. Résumé du roman** Six personnages racontent une fraction d’une soirée pour l’essentiel articulée autour d’un concert de musique contemporaine. Ils sont respectivement pianiste, compositeur, placier, esthète, serveuse et puceau (!). Ils en viennent, à un moment ou à un autre, à se croiser pour mieux se relancer sur l’art et sur l’amour. **4. Singularités formelles** Le roman est divisé en deux parties, lesquelles donnent chaque fois la parole aux six personnages. Les noms et les rôles de ceux-ci, de même que le moment de la soirée (Bernard, l’Esthète. 19 heures ; Antoine, le Puceau. 21 heures), sont utilisés pour titrer les chapitres, dont l’ordre ne respecte pas la chronologie de la soirée. À cette segmentation formelle s’interposent des capsules « Hors-temps », qui servent à décrire les lieux, d’une vue d’ensemble de la rue où niche l’action jusqu’aux détails de la salle de spectacle. Si l’on en croit la quatrième de couverture, « l’intelligence de la structure » révèlerait des liens étroits entre l’écriture et la composition musicale – inspirée de celle d’Olivier Messiaen (p. 146). L’un des personnages a la gentillesse de le préciser et d’en exposer les ressemblances. **5. Caractéristiques du récit et de la narration** En donnant la parole à six personnages, le roman pratique la multiplication des voix narratives et des points de vue. Si ceux-ci soulignent à grand trait l’écart entre ce qui est perçu et ce qui est réellement vécu, celles-là s’expriment sensiblement toutes de la même façon, comme s’il s’agissait de la même personne. Ainsi, en dépit d’une pluralité de voix qui, d’ordinaire, est susceptible de confondre ou de heurter le lecteur, le récit manque de relief. De même, le désordre chronologique ne perturbe en rien la lecture, d’une part parce que l’heure à laquelle s’adresse le personnage est chaque fois précisée, d’autre part parce que l’ « action » étant articulée autour d’un concert de musique, il est aisé de retracer l’avant (le stress, la préparation à la soirée…), le pendant (la performance, l’écoute…) et l’après (la fête). Cette facilité ne serait pas tant regrettable si le récit n’affichait pas ouvertement l’ambition contraire : « À mon humble avis, tu ne devrais pas relater la soirée dans l’ordre chronologique parfait, mais suivre une sorte de parcours en dents de scie menant du début à la fin de la soirée. Cela ajoutera une touche d’imprévisibilité et forcera le lecteur à travailler un peu, à faire des déductions. […] [P]ar respect pour l’intelligence du lecteur, donne-lui certaines pistes pour comprendre ta structure, envoie-lui des signaux, mais ne lui dis surtout pas tout, laisse-lui du travail à faire. Ne te gêne pas pour l’induire en erreur de temps à autre, pour l’envoyer sur de fausses pites. Utilise des paradoxes, des doubles sens, des mises en abyme : l’important, c’est que ton lecteur ‘‘bouge’’, qu’il soit actif » (p. 146-147). Je ferai preuve de nuance (ou d’indulgence) : la trop grande lisibilité du récit a quelque chose à voir avec l’expérience du lecteur. Certains auront sans doute l’impression de « travailler », car il reste que le récit ne respecte pas la linéarité ni l’unicité narrative. **6. Narrativité (Typologie de Ryan)** 6.1- Simple 6.2- Multiple 6.3- Complexe 6.4- Proliférante **6.5- Tramée** 6.6- Diluée 6.7- Embryonnaire 6.8- Implicite 6.9- Figurale 6.10- Anti-narrativité 6.11- Instrumentale 6.12- Suspendue **Justifiez :** À la lumière de ce qui a été dit précédemment, il faut conclure à une narration tramée. **7. Rapport avec la fiction** Le roman se présente comme une immense mise en abyme, racontant en filigrane comment l’un des personnages, Sophie, a conçu le projet de regrouper des récits de diverses personnes pour former un ensemble cohérent. Ainsi, le lecteur tiendrait entre ses mains le travail d’un personnage ; à ce titre, l’auteur (réel) aurait pu oser l’ambiguïté en jouant avec l’identité de celui à l’origine de l’œuvre. Il se contente d’un jeu purement fictif, au cours duquel il est constamment fait référence au geste d’écriture, au récit en train de s’écrire. Cela dit, on aura droit à une brève apparition de Nicolas Gilbert, l’auteur (p. 88), mais cette fictionnalisation de la figure auctoriale ne réussit pas à brouiller les frontières entre fiction et réalité. **8. Intertextualité** Les références intertextuelles sont nombreuses, relevant tantôt de la musique (Pierre Boulez, Claude Vivier), tantôt de la littérature (Balzac, Sollers, Butor). Parmi celles-ci, on retrouve quelques imposteurs fictifs (Stéphane Simard, Jean Gauthier) qui, là c’est vrai, brouillent quelque peu les frontières entre réalité et fiction. Cela dit, les références intertextuelles n’ont d’autre fonction qu’ornementale ; elles ne participent pas au déroulement du récit ni ne s’incarnent dans la fiction. **9. Élément marquant à retenir** On retiendra (s’il le faut) une dénonciation du postmodernisme qui, d’une part, reprend les principaux éléments entendus dans le discours critique (l’ère du vide, la perte des Grands Mythes et des Grands Idéaux) et, d’autre part, reflète sans doute une certaine perception de l’air du temps. Le personnage dans la vingtaine milite (en paroles seulement) pour remettre sur pied les grands modèles abattus par les parents de sa génération.