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MURA-BRUNEL, Aline & Franc SCHUEREWEGEN (dir.), L’Intime – L’Extime

CRIN n 41, 2002.

MURA-BRUNEL, Aline, « Intime/Extime - Introduction », p. 5-10.

« Il [le sujet] n’est plus aujourd’hui une entité concevable, mais un espace insondable que l’écrivain s’epuise à contempler ou à éviter. Pire : s’aviser d’écrire l’intime, c’est risquer d’être pris pour un imposteur. » p. 5

* « dire ou écrire l’intime, c’est le priver assurément de sa qualité d’intime, le détruire peut-être [… ] » « C’est aussi avec le social que se conjugue le nouveau discours de l’intime, écrire sur soi impliquant un détour par l’autre et par le monde. » (p. 5)

« S’élabore dans un nombre de romans aujourd’hui un processus d’extimation : le sujet se confronte à “ la violence de l’extériorité” et le langage de l’intimité se confond avec l’observation de la surface des choses et de l’horizon des expériences. » (p. 5)

s’extimer : « se déporter à la limite extérieure de lui-même, qui l’intime affleure, paradoxalement, dans la représentation du monde, de l’autre, de la foule des villes. La question ontologique se conjugue alors, au sein d’écrits métissés de discours factuels et fictionnels, avec l’errance de personnages perméables aux infimes fluctuations du paysage urbain. » (p. 6)

Pierre Bergounioux (2001, RdSH) : « On ne fait jamais qu’intérioriser le monde extérieur, qui est lui-même un legs des âges antérieurs. Nos aspirations, les replis de notre cœur, les clairières de notre âme, ses pentes, ses abîmes, cette voix qui murmure en nous, comme une source, nous les avons pris dehors. » (cité sur la page 8)

« Michel Foucault montre comment le sujet se déploie à la limite extérieure de lui-même dans un espace vide, pour construire, un quasi-sujet, des bribes de vérité sur lui-même, renonçant pour ce faire à “la vieille trame de l’intériorité” et aux pratiques antérieures de l’introspection. » (p. 9)

p. 10 Le retour au sujet s’opère par la langue. Dans les texte de Richard Millet, le sujet « s’extime », se dit en interrogeant sa relation à la langue, se pense à l’intérieur de la langue, advient en tant que sujet depuis le « fond des langues ». On est là loin de l’acceptation traditionnelle de l’être intime (secrets, fantasmes, etc.), plus près d’une « intimité exposée, transférée, “révisitéé”. »

LAPACHERIE, Jean-Gérard, « Du procès d’intimation », p. 11-21.

Lapacherie se sert des origines étymologies des mots « intime » et « extime » pour élaborer le procès (dans le sens de processes, et dans le sens juridique) d’ « intimation » (« l’intimité – ce que le sujet est censé avoir de plus cher, de plus secret, de plus précieux – est forcée, comme on force la porte d’une chambre, par un ou des étrangers » p. 12) et d’ « extimation » (l’intimité, projetée hors du sujet, vers l’extérieur, montrée ou exhibée en quelque sort, est traitée par le sujet qui écrit en objet étranger comme si cet objet était situé hors de soi » p. 12).

* « à partir de la fin du XVe siècle, [l’écriture] a permis à des hommes, de plus en plus nombreux, à mesure que l’apprentissage de l’écriture se répandait, de s’extraire de la communauté à laquelle ils appartenaient naturellement et où ils étaient condamnés à rester éternellement, pour accèder à une vie intime et à la conscience de soi » (p. 15) Cela fait penser à Annie Ernaux, (La Place)

BLANCKEMAN, Bruno, « Figures intimes/postures extimes », p. 45-51.

Pour Blanckeman, c’est l’écriture de l’intime qui s’inspire de la fiction plutôt que l’invers : « Plus les récits de soi se multiplient, plus ils recourent à des formes narratives et des modes de représentation empruntés à l’univers de la fiction. […] En accord avec l’univers composite des fantasmes, des songes, des méditations, des désirs, le romanesque révèle l’intime sans le trahir et l’exprime sans l’exposer. » (p. 45) L’intime représente une « possible structure de soi par l’incertitude », « intime qui réalise sa seule résonance dans un espace public » (p. 51)

Blanckeman identifie cinq formes dominantes des récits de soi, les organisant par ordre décroissant en fonction de leur « charge romanesque » :

« la forme autofictionnelle » : (deux modes) :

1/ « mode phénomènologique » : « le sujet se constitue en narrant une suite d’événements vécus, mais l’événement relaté ne se distingue pas de la conscience qui s’y projette : devenu phénomène, l’événement inclut une part de fantasme plus ou moins manifeste, et le fantasme lui-même devient un événement à part entière, qui prend corps narrativement. » (Guibert, Sollers, Doubrovski) (p. 46)

2/ « mode épiphanique » : « le récit de soi est aussi un récit de vie ais un récit poétique, qui laisse de côté les circonstances vécues, qui les abstrait, qui vise à dégager une vérité essentielle de soi. » (Duras, des Forêts, Louis-Combet) (p. 47)

« la forme généalogique » :

Les écrivains qui pratiquent cette forme cherches à se connaître en « interrogeant leur lignée, en reconstituant la vie avant leur vie […]. L’écrivain semble voué à composer des fictions rétrospectives depuis des souvenirs romancés ou des hypothèses aléatoires. » (Bergounioux, Millet, Rouaud) (p. 47)

« la forme littérariste » :

« qui manipule les signes ostentatoires du littéraire, qu’ils relèvent de la dynamique des genres, de la poétique des formes ou de la rhétorique des styles. […] Cet ordre suppose, pour être pleinement efficace, une parfaite adéquation structurale entre la pratique textuelle appliquée et l’expérience existentielle retenue. » (p. 48)

degré « doux » : le sujet « se démet de toute intimité pour mieux se recréer, à savoir se configurer et se raconter au travers de modèles-types ou de formes-schèmes de récits romanesques on ne peut plus distincts du genre autobiographique) (Renaud Camus Roman roi, Marie Redonnet Nevermore, Modiano) (p. 48)

degré « algorithmique » : l’écrivain soumet l’expression à un ensemble de règles coercitives et un système de contraintes, ainsi programmant sa propre subjectivité. « l’intime comme point de dépression qui aspire le Sujet, le désagrège, le voue à la disparition. » (Perec) (p. 49)

« la forme dialoguale » :

Le récit se lit comme un dialogue avec l’autre, cherchant à « combler une silence et donner voix à une absence que le sujet lui-même ressent comme fondatrice. » (Pachet, Lê, Sarraute Enfance) (p. 49)

« la forme ethnographique » :

« l’écrivain consigne sa propre expérience comme un témoignage sur l’homme et se condition […]. Ce type de récit ne relève donc pas d’une culture de la subjectivité intimiste, le Moi ne l’intéresse pas en tant que tel ; il ne relève pas non plus d’une culture du Sujet philosophique, l’être abstrait ne le concerne davantage : entre le singulier et l’universel, le récit ethnographique cible le sujet commun, celui qui, dans un temps de civilisation donné, se fonde à l’interaction de l’intime et du culturel. » (p. 50) Ces récits représentent un acte de destitution plus que de constitution narrative de soi. (Ernaux)

DUCAT, Philippe, « Houellebecq ou la casse du sujet », p. 53-65.

Plus la téchnologie avance, moins on comprend, ou moins on peut nous comprendre, dans les objets qui nous entoure. Ce qui nous entoure devient donc aussi opaque que nos corps. Deux sphères : « Dans la première était l’être, et la séparation ; dans la seconde sphère était le non-être, et la disparition individelle. » (Houellebecq, Les Particules élémentaires, p. 293)

« Je ressens ma peau comme une frontière, et le monde extérieur comme un écrasement. L’impression de la séparation est totale. » (Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, p. 171) * Cette frontière est-elle présente/sentie, chez les écrivains contemporains au Québec vs. en France ?

L’idée d’une vide intérieure (certes présente chez les minimalistes en France), qui fait contraste avec un plein extérieur (même un trop-plein extérieur) des médias, des produits, des lumières, etc. (p. 56)

L’attente ou la perspective d’une relation ou d’une intimité (avec l’autre, avec soi) crée une certaine tension narrative. (p. 58) * Tout comme le manque de tension narrative crée une certaine tension, une attente de l’événement.

L’identité narrative n’est plus possible – elle se perd dans l’oubli, dans l’écriture même. On atteste d’une « désagrégation de l’expérience quotidienne », on peut donc « douter que le sujet soit désormais capable de répondre, comme d’une histoire consistante et transmissible, […] de la continuité de son existence. » (p. 63)

WAGNER, Frank, « “Qu’est-ce que c’est, moi ?” (La dialectique “intime / extime” dans (et autour de) La Reprise, d’Alain Robbe-Grillet) », p. 67-79.

-mise en cause de la dichotomie « dedans / dehors », « intime / extime » (p. 67) « le sujet, fragmentaire, lacunaire et en grande partie absent à lui-même ne peut s’appréhender que dans le cadre de l’activité scripturale, espace-temps qui lui permet d’inventer sa subjectivité, tout particulièrement en régime fictionnel […] » (p. 77)