FICHE DE LECTURE
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Michel Schneider Titre : Morts imaginaires Lieu : Paris Édition : Gallimard Collection : « Folio » Année : [2003] 2005 Pages : 410 p. Cote : Désignation générique : aucune
Bibliographie de l’auteur : Essais psychanalytiques : Blessures de mémoire, Voleur de mots; romans : Bleu passé, Je crains de lui parler la nuit; biographies ou essais biographiques : Glenn Gould, piano solo, Maman (sur Proust), Baudelaire : les années profondes, La tombée du jour : Schumann.
Biographés : Montaigne, Pascal, Mme de Sévigné, Julie de Lépinasse, Voltaire, Mme du Deffand, Kant, Benjamin Constant, Goethe, Pouchkine, Stendhal, Chateaubrillant, Balzac, Henri Heine, De Quincey, Dumas, Flaubert, Maupassant, Tchekhov, Schwob, Jean Lorrain, Tolstoï, Rilke, Pozzi, Freud, Walter Benjamin, Marina Tsvetaïeva, Zweig, Herman Broch, Robert Walser, Dorothy Parker, Alexandre Vialatte, Dino Buzzati, Nabokov, Jean Rhys et Truman Capote.
Quatrième de couverture : Citation : « Je tiens ici le registre des morts imaginaires d’écrivains réels. J’ouvre le rideau au moment où La commedia è finita, ce qui n’est pas forcément un mal, si j’en crois plusieurs de ces mourants, écarquillés devant la merveille d’une robe qui bruit : alors, la vie leur apparaît toute neuve. » Puis l’éditeur qualifie l’œuvre de Schneider : « Une certaine histoire de la littérature, où les derniers instants de Pascal, Kant, Flaubert, Rilke, Zweig, Buzzati et tant d’autres sont comme l’ultime révélateur de… la vie. »
Préface : Le premier chapitre, intitulé « À l’heure de notre mort » (p. 13-44), fait office de préface; ce n’est pas un récit de mort comme les suivants (excepté le dernier), mais un essai sur l’entreprise à venir. Ce chapitre n’est pas sans rappeler la préface de Schwob aux Vies imaginaires. Il est question de la conception schneiderienne de la biographie, de la question de la fiction et de la vérité, du pourquoi du projet, de l’érudition dont Schneider ne s’excuse pas, etc. Comme toujours chez Schneider, le texte est très riche, presque surchargé, et il irradie en tous sens. Pour démêler le tout, et pour souligner les éléments d’importance, je reviendrai à ce chapitre d’ouverture dans différentes catégories que demande la présente fiche de lecture.
Rabats : aucun
Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) :
LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :
Auteur/narrateur : Comme il s’agit d’un essai biographique, l’auteur s’identifie au narrateur : le « je », c’est Michel Schneider lui-même.
Narrateur/personnage : Narrateur hétérodiégétique, non personnage.
Biographe/biographé : La relation qu’entretient Schndeider avec ses biographés (et avec leurs livres) est très personnelle et amoureuse. (À propos de sa relation à Schwob, par exemple, voir « Synopsis ».) Dans cette perspective, il tutoie Balzac et mélange son « tu » au « je ». Le biographe le reconnaît lui-même : il dit emprunter à De Quincey ce qui est devenu « [s]a seule méthode : éprouver de l’affection pour l’intelligence de l’écrivain, suprême lueur, au moment où elle vacille, et sceller l’invention de sa vie du seau contrefait de la réalité. » (p. 230) La relation est à la limite de la projection au sens psychanalytique : « Ces mots, je crois maintenant les avoir écrits, ces visages d’écrivains furent les reflets où je me cherchai. » (p. 394) On voit bien, en somme, comment la relation biographe/biographé est personnelle, affective, et parfois fusionnelle.
Autres relations :
L’ORGANISATION TEXTUELLE
Synopsis : Dans des textes qui ont la brièveté des « Vies », mais qui sont des « Morts », Schneider recense et interprète les ultima verba d’une trentaine d’écrivains. Par ricochet, il s’intéresse à la question de la mort dans leur œuvre et dans leur vie, ainsi qu’à la manière dont ils sont morts. Il y a là une filiation avouée de Marcel Schwob et de ses Vies imaginaires. Schneider consacre une « mort » à Schwob et écrit : « Les Vies imaginaires de Marcel Schwob, publiées en 1896, restent un de ces livres que je trimbale un peu partout, que je caresse et rudoie comme une partie de moi, un membre fantôme qu’on m’aurait pris. Elles sont le miroir clair dans lequel je cherche mes sombres Morts imaginaires. » (p. 228-229). Ainsi, Schneider reprend les postulats biographiques de Schwob et s’attache aux détails singularisants, aux bizarreries des écrivains. Par exemple, dans sa mort d’Emmanuel Kant, il reprend la description de De Quincey de la manière singulière dont le philosophe faisait tenir ses bas avec un système à ressorts fort fragile et compliqué de sa confection. Ou encore, il écrit que « De Quincey était très petit, avait une figure d’une contenance remarquable, des yeux pâlis, des cheveux grisonnants. » (p. 180) Aussi, Schneider reprend la structure chronologique des Vies imaginaires : il va de la mort la plus ancienne (celle de Montaigne) à la plus récente (celle de Capote) parmi ses écrivains d’élection. Dans chaque « mort », le biographe recherche les rapports entre mourir et écrire. Enfin, il encadre sont texte de réflexions plus essayistiques : le premier chapitre, « À l’heure de notre mort », annonce et explique le projet, et réfléchit de manière générale sur les morts d’écrivains et leur écriture; la dernière continue cette réflexion en ajoutant une dimension très personnelle : Schneider parle de sa propre mort à venir, lui qui se voit vieillir, et raconte même un épisode où il a pensé à se suicider mais a été sauvé par le livre.
Ancrage référentiel : Schneider souligne l’érudition à l’œuvre dans ses Morts imaginaires. « On jugera peut-être ces pages trop érudites et grevées de dettes citationnelle. Je ne m’en excuse pas. On est ce qu’on doit aux autres. » (p. 20). L’érudition manifeste aussi bien un ancrage dans le référent littéraire que dans le référent « factuel ». La recherche de Schneider porte autant sur les œuvres que sur la vie, que sur les archives et les biographies de ses écrivains d’élection. Ainsi, son œuvre comprend une quantité impressionnante d’informations factuelles. Cela dit, le discours biographique n’hésite pas à recourir à la fiction (on le verra), à avouer son ignorance (voir p. 130 ou p. 287) ou à remettre en cause l’utilité de l’ancrage factuel : « En 1901, en novembre – précision aussi inutile que de dire si son gilet était sombre ou clair, qu’importe que l’écrivain mourût en automne ou au printemps, à neuf heure ou à cinq, l’heure où sortent les marquises dans les romans qu’on répugne à écrire, diront ceux qui n’aiment pas les romans, c’est-à-dire les vies –, en novembre 1901 donc, Tchekov écrit à sa femme, l’actrice Olga Knipper, rencontrée trois ans plus tôt et épousée depuis peu […] » (p. 220)
Indices de fiction : Déjà, dans la réédition de Glenn Gould, piano solo, Michel Schneider avait fait un réquisitoire fictionnaliste pour faire taire ses détracteurs qui l’accusaient d’avoir fait plusieurs erreurs concernant les faits de la vie de Gould. L’effet, selon moi, était assez fâcheux : le biographe avait l’air d’adopter une position qui exalte la non-vérité seulement pour justifier ses erreurs passées et pour se venger de ses critiques. Maintenant, avec Morts imaginaires, la position est la même mais l’effet est plus heureux. On le voit tenter de s’inscrire dans la tradition de Marcel Schwob et opter dès le départ pour une part de fiction et d’invention. « Toute biographie est un roman » (p. 19), lance-t-il dès le premier chapitre. Il définira ensuite la biographie comme un mélange de « souvenirs et mensonges, visages et masques, personnes et personnages » (p. 42). Par conséquent, son entreprise se sait d’avance promise à la fiction : « Je ne prétends pas traquer la vérité nue de l’histoire sous ces rhabillages posthumes. Le caractère véridique de ces paroles et de ces scènes finales m’importe peu. On entre dans l’écriture à ce point exacte où les mots ne veulent rien dire, où l’on ne les comprend plus, où on les regarde. » (p. 44)
Dans les faits, cette orientation fictionnaliste engendre des choix biographique justifiée uniquement par le désir du biographe : « On mourra seul. Voilà ce que je choisi comme sa dernière parole. » (p. 75) Ou encore : « J’aime à croire que Kuchiouk-Hânem revint danser devant Flaubert mourant sur son ottomane. » (p. 205)
Après tout, les biographies sont des récits : « Ce ne sont que des récits, et, le plus souvent, des récits de récits. Restent les mots. Seulement les mots » (p. 390).
Rapports vie-œuvre : Ce qui intéresse Schneider, c’est que ses biographiés soient des écrivains. Dans le premier chapitre, il dit ne lire que des biographies d’écrivains. Or, comme il écrit en fait des thanatographies d’écrivain, le rapport vie-œuvre se double d’un rapport mort-œuvre (« les rapports entre mourir et écrire » (p. 31)). Schneider réhabilite en partie Sainte-Beuve (il en parle dans son Proust et a écrit un article là-dessus si je ne m’abuse), mais à l’envers : c’est l’œuvre qui va éclairer la vie et la mort. Schneider le dit mieux que moi : « Proust débat contre Sainte-Beuve : l’écrivain ne fait pas des livres avec sa vie. Cette position – comme la contraire d’ailleurs – me semble ignorer le vrai. Les écrivains font leurs livres avec leur mort, et certains même font leur mort avec leurs livres » (p. 220) « Il faut donc lire les livres que ces écrivains ont écrits : c’est là que leur mort est racontée. Un écrivain est quelqu’un qui meurt toute sa vie, à longues phrases, à petits mots. » (p. 20)
Ainsi, par exemple, Schneider imagine la mort de Toltoï à partir de celle de son personnage Ivan Ilitch (p. 249-252).
Thématisation de l’écriture et de la lecture : Avec la mort, l’écriture est le thème central des Morts imaginaires. À travers le trépas et les derniers mots, Schneider se demande sans cesse : qu’est-ce qu’écrire? Et qu’est-ce qu’être écrivain.
La lecture, quant à elle, est particulièrement thématisée dans le dernier chapitre, « Et maintenant », où Schneider traite longuement de sa relation très intime avec les livres (en tant qu’objets quasi corporels). Mais la lecture des œuvres des biographés traverse l’ensemble de l’essai biographique.
Thématisation de la biographie : (Voir aussi « Indices de fiction ».) La biographie est très thématisée; de toute évidence, Schneider est au fait des théories et des pratiques de la biographie moderne. Il cite Schwob de mille manières; il biographie Kant à partir des textes biographiques de Wasianski et De Quincey; il donne trois versions biographiques de la mort de Balzac; il parle des « Vies parallèles » de Plutarque; etc. De façon générale, les biographes apparaissent chez Schneider comme des auteurs, au sens étymologique : ils en rajoutent. « Après [la mort], les témoins et les biographes jouent le seul rôle qu’ils peuvent jouer : habilleuses, ils font aux écrivains morts une dernière tête pour qu’ils aillent dîner en ville avec la postérité. Ils font écriture de tout » (p. 83) Les biographes sont des écrivains d’un type particulier, insistants, curieux, rapaces, nécrophiles et contrefaiseurs.
Topoï : Le topos important, évidemment : l’agonie. Mais aussi : les derniers jours de… La déchéance physique et/ou psychologique, les derniers mots.
Hybridation : Il y a de l’autobiographie dans cette biographie (dans le dernier chapitre surtout); c’est un essai, aussi – essai critique sur les derniers mots d’écrivains.
Différenciation : La dérive générique par rapport à la tradition schwobienne me paraît importante. Schneider reprend comme en négatif les Vies imaginaires, le genre des « vies », et crée symétriquement le genre des « morts ».
Transposition : Il y a quelques cas (dans la vie de Tolstoï par exemple) de transposition de l’œuvre du biographé dans sa vie (ou sa mort en l’occurrence).
Autres remarques :
LA LECTURE
Pacte de lecture :
Attitude de lecture :
Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage