INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Mikhaïl Boulgakov Titre : Monsieur de Molière, suivi de La Cabale des dévots Édition : Robert Laffont Collection : Pavillons Année : 1972 (écrit en 1932-1933) Appellation générique : Roman biographique

Bibliographie de l’auteur : « Romans » : le Roman théâtral (1966), le Maître et Marguerite (1968), la Garde blanche (1970); Théâtre : la Fuite – les Journées des Tourbine (1971), l’île pourpre (1971), le Songe de l’ingénieur Rhein (1972).

Quatrième de couverture : La pièce et le roman biographique, écrits d’une seule foulée, se complèteraient. La première serait l’illustration du second. Boulgakov est avant tout un homme de théâtre. La biographie est à lire « comme une de ces “parades” auxquelles excellaient jadis ces bateleurs qu’étaient les comédiens ». Il s’agit bien d’un roman, non d’une biographie orthodoxe. En racontant Molière, Boulgakov se raconte, puisque lui aussi a eu à affronter « sa cabale des dévots et des courtisans. » Lui aussi a eu son Louis XIV tyrannique, c’est-à-dire Staline. « Boulgakov a vécu Molière ». (C’est l’auteur qui met « vécu » en caractère gras.)

Préface : Dans sa préface, le traducteur, Paul Kalinine, aborde la réception controversée de l’œuvre de Boulgakov en général et de Monsieur Molière (à l’origine : la Vie de Monsieur Molière) et la Cabale en particulier. Boulgakov se fait reprocher sont interprétation historique de Molière, surtout sa position sur l’inceste de Molière avec Armande Molière, née Béjart – considérant que cette dernière serait la fille et non la sœur de Madeleine Béjart. À sa décharge, Kalinine dit que la vérité factuelle, tirée de l’histoire comme donnée immanente, est avantageusement remplacée par une « pudeur » et une « tendresse » dans le traitement de sa thèse, lesquelles mènent à une « vérité dramatique plus forte […] que l’exactitude historique où s’enlise une dramaturgie pusillanime et sans imagination. » (Vérité dramatique, car même dans le roman biographique se lit un apport du théâtre).

Rabats : Cf. Bibliographie de l’auteur.

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : Bien qu’il n’en fasse pas mention explicitement, il semble bien que le narrateur soit Boulgakov, qui se dévoile par plusieurs « je », plusieurs prises de positions (« Je le déclare tout net, voilà qui paraît peu vraisemblable. Aucun prête, que je sache, ne s’est engagé dans une troupe de théâtre. » (p.57); ou encore, sa position sur l’inceste de Molière avec Armande, par exemple), plusieurs opinions, sur les œuvres, par exemple (« Je dois vous avouer que l’élément turc dans la comédie me laisse plutôt froid. » (p.202)), plusieurs exclamations, etc. Il emploi également souvent, pour parler de Molière, l’expression « mon héros », laquelle, en plus de montrer la présence subjective du narrateur, révèle l’appropriation du biographé par son biographe.

Narrateur/personnage : Le narrateur, par un procédé d’ordre littéraire, n’est personnage que dans le premier chapitre, « Entretien avec l’accoucheuse » – fort théâtralisé du reste. Il explique à l’accoucheuse de la dame Poquelin, née Cressé, que l’enfant qu’elle tient dans ses bras va devenir le grand Molière – « -Madame, lui dis-je, soyez prudente en le prenant dans vos bras, n’oubliez pas qu’il est né avant terme. Sa mort serait une perte irréparable pour votre pays! » (p.19) – qu’il sera plus connu que le Roi régnant, qu’il sera traduit en toutes les langues, qu’il influencera des milliers d’écrivains, qu’il sera biographier par une certaine George Sand et par un certain Vladimir Zotov, etc. Et la sage-femme de répondre, bien entendu : « -Vous m’étonnez, monsieur! » (p.20)

Par ailleurs, le narrateur est le plus souvent omniscient. Il a accès aux pensées des personnages, même à celles du Roi Soleil : « “Comme il a vieilli!” songeait Louis en le regardant. » (p.195) Qui plus est, il sait ce à quoi pense Molière au seuil de la mort : « Il a le temps de se demander avec curiosité : “À quoi peut bien ressembler la mort?” et il la voit aussitôt. » (p.225) Toutefois, Boulgakov met au point un procédé littéraire d’ordre auditif qui limite l’accès aux paroles des personnages. Par exemple, cette fin de dialogue entre Molière et Madeleine : « Et de nouveau – comme il y a bien longtemps, après la déconfiture de l’Illustre Théâtre – les amants commencèrent à se parler tout bas. » (p.88); ou encore, à propos de M. Ménage : « La suite de son discours se perdit dans les fracas des carrosses. » (p.116) Dans le même ordre d’idées, il adopte des points de vue volontairement limités : « De la fenêtre de la maison, on peut voir que le plus vieux insiste cependant que son ami se contente de donner brièvement la réplique. » (p.209)   

Ancrage référentiel : Comme indiqué dans la préface, Boulgakov interprète à son gré l’histoire de Molière, ou du moins certains éléments de sa vie. L’inceste avec Armande est d’ailleurs le principal ressort de l’intrigue de la pièce la Cabale des dévots, où Molière apparaît comme une sorte d’Œdipe, qui commet l’inceste sans le savoir. Toutefois, le roman biographique n’est pas que pure divagation. Les événements principaux, les lieux, les déplacements, les représentations, les études, l’ordre d’écriture des pièces, la mort par fluxion de poitrine (dans la pièce cependant, par commodité, Boulgakov le fait mourir sur scène, alors qu’il n’y avait eu qu’un malaise) : tous ces faits de base sont respectés par l’auteur.

Indices de fiction : Boulgakov apporte une cohérence aux faits, crée une continuité qui relève de la pratique romanesque. Par ailleurs, il y a quelques courts monologues intérieurs, la narration omnisciente, des procédés tels que l’indéfinition première des personnages (« un homme » (p.218)), la narration omnisciente, le côtoiement du biographe et de la sage-femme de Molière, etc. : autant d’éléments qui ressortissent à la fictionnalisation. Les emprunts aux théâtres font aussi en sorte que se donnent à entendre des dialogues qui ne peuvent qu’être imaginaires.

Topoï : La rupture de la filiation, l’apprentissage, la répression de l’État et de l’Église, l’inceste, la réussite, l’échec, la maladie (l’hypocondrie), l’agonie, la mort.

Biographé : Molière, qui apparaît ici sous un jour assez humain, avec son caractère, ses peurs, sa soumission au Roi, son autocensure, son aspect volage, etc. Pacte de lecture : La désignation générique, la quatrième et la préface veulent dire au lecteur de ne pas trop se fier aux « faits » énoncés dans la biographie et de considérer son aspect romanesque et théâtral. Ce pacte se respecte assez facilement. L’œuvre se lit un peu comme un roman de l’artiste. La voix du narrateur ressemble aussi un peu à une sorte de voix-off dans un long film historique, basé sur un roman historique. L’abondance des dialogues ajoute évidemment à la dramatisation de la vie de Molière.

Thématisation de l’écriture : Dans Monsieur de Molière, l’action d’écrire est à peu près ignorée : tout d’un coup, Molière a déjà écrit telle ou telle pièce. L’emphase est mise sur sa représentation, sur son interprétation. D’ailleurs, pour désigner Molière, le biographe emploi le, plus souvent l’expression « le directeur » (de la troupe) et rarement « l’écrivain » ou « le dramaturge ». Cela dit, l’œuvre en tant que telle est toujours mise en rapport avec la vie et l’entourage de Molière. Par exemple, Boulgakov attribue parfois certaines aspects d’une pièce aux lectures de Molière : « Il se peut également que Molière ait puisé la matière de sa comédie [le Mariage forcé], non dans les aventures du volage Philibert [de Grammont], mais dans celles du Panurge de Rabelais. » (p.161) Mais surtout, Boulgakov dit bien que les spectateurs regardaient les pièces de Molière comme des « pièces à clef », cherchant sans cesse quelle personne se cache derrière tel personnage. Selon le biographe, parfois même, sur commande du roi, Molière mettait effectivement en scène une personne réelle désignée.

Attitude de lecture : La biographie « se lit comme un roman », selon l’expression consacrée. Le lecteur n’a pas l’impression d’en apprendre beaucoup plus sur Molière, mais il se fait offrir une vue d’ensemble cohérente sur lui. L’aspect théâtral fait en outre en sorte que Molière apparaît « incarné » au lecteur. Cette incarnation est encore plus vraie dans la Cabale.

Hybridation, Différenciation, Transposition : Hybridation : cette biographie emprunte à trois genres littéraire. LE ROMAN : comme l’indique la désignation générique, il s’agit d’un roman avant même de s’agir d’une biographie. LE THÉÂTRE : homme de théâtre, Boulgakov incorpore beaucoup de dialogue à son ouvrage et utilise parfois un présent de l’indicatif dans ses descriptions, lesquelles ressemblent alors à des didascalies. L’ESSAI : le discours argumentatif occupe somme toute beaucoup de place dans la biographie. Le biographe réfute certaines thèses biographiques et défend les siennes, comme celle de l’inceste avec Armande. C’est en cela qu’il y a apport de l’essai. Transposition : il y a bien entendu transposition du vécu de Molière, lequel sert de matériau au roman, qui s’en sert pour inventer une intrigue. Il y a aussi transposition dramatique, puisque les personnages historiques sont mis en scène dans des dialogues. Ce dernier type est d’autant plus vrai dans la Cabale.

Autres remarques : À propos, la Cabale a été peu abordée dans cette fiche de lecture. C’est parce que si elle peut présenter de l’intérêt pour les études sur la transposition dramatique spécifiquement, elle n’est que très peu pertinente pour l’ensemble des recherches que nous menons. En revanche, Monsieur de Molière me semble, sous plusieurs aspects, assez pertinent.

Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage