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Aline MURA-BRUNEL (dir.), Chevillard, Echenoz. Filiations insolites

par Mariane Dalpé

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Aline MURA-BRUNEL (dir.) Titre : Chevillard, Echenoz. Filiations insolites Lieu : Amsterdam/New York Édition : Rodopi Collection : CRIN (Cahiers de recherche des instituts néerlandais de langue et de littérature française), no 50 Année : 2008 Pages : 140

RÉSUMÉ

Remarque : Bien que le titre du livre laisse entendre que les articles qui y figurent traitent de la question de la filiation, on n’a pas affaire ici à une utilisation semblable à celle qu’en font des auteurs comme Viart ou Demanze, pour qui la dimension généalogique et familiale est primordiale. Pour presque tous les auteurs, filiation semble être pris uniquement comme un synonyme d’intertexte. C’est donc uniquement l’héritage littéraire qui est mis en jeu dans ces textes. De plus, les auteurs ne s’interrogent pas de manière générale sur le rapport au passé qu’entretiennent Echenoz et Chevillard, mais s’intéressent spécifiquement à leur rapport à l’histoire littéraire.

Aline MURA-BRUNEL, « Introduction », p. 7-13.

L’introduction de l’ouvrage n’est pas des plus substantielles, puisqu’elle consiste presque exclusivement en un résumé des diverses contributions. L’auteure introduit toutefois son texte en abordant la question de l’histoire littéraire dans la littérature contemporaine, laissant entendre que ce sont davantage les filiations symboliques plutôt que familiales qui feront l’objet des études proposées dans l’ouvrage.

Extrait de la conclusion : « [I]l apparaît que la survie du roman et/ou du romanesque est précisément tributaire de la reconnaissance d’une lignée généalogique, fictive ou symbolique, lointaine ou immédiatement antérieure, fût-ce dans une dynamique contradictoire. Pour autant, il ne s’agit pas, d’un point de vue critique, de s’en tenir à une lecture historique des textes ou de stricte poétique intertextuelle mais d’instaurer une libre circulation entre les œuvres littéraires et de souligner des parentés parfois même contestées entre celles-ci afin d’en éprouver paradoxalement la singularité et fondamentalement la résistance. » (2008 : 13)

Jean-Gérard LAPACHERIE, « Quand le roman représente les conventions qui le régissent », p. 15-25.

Le texte de Lapacherie s’intéresse à la manière dont Jean Echenoz joue sur les conventions littéraires dans son roman Cherokee. Il explique qu’il semble paradoxal qu’Echenoz, associé aux Éditions de Minuit qui furent un des hauts lieux du formalisme et de l’avant-garde littéraire avant les années 1980, produise une œuvre qui semble revenir aux conventions littéraires. L’auteur montre qu’il en va autrement, en réalité : « L’intérêt de Cherokee est […] dans la reprise de ces conventions, dans le fait qu’elles sont citées, comme s’il s’agissait d’extraits d’autres œuvres, et mises en scène. Le roman est […] la représentation, au sens théâtral de mise en scène, dérisoire, désinvolte et parodique des conventions culturelles de la représentation. » (2008 : 20) À travers ce roman, ce sont donc les codes de la représentation eux-mêmes qui sont mis en question, Echenoz s’interrogeant à savoir si l’art peut être autre chose que conventions.

Aline MURA-BRUNEL, « Balzac/Echenoz : un couple insolite », p. 27-36.

L’article de Mura-Brunel repose sur une intuition de l’auteure : même s’il ne s’en réclame pas directement, Echenoz est bel et bien influencé par Balzac. Elle s’emploie donc à rechercher des liens intertextuels ténus et insolites entre l’œuvre de ces deux écrivains.

Je cite un extrait de la conclusion, où l’auteure commente la récurrence de la question de la mort de l’artiste (et par conséquent de l’art) dans les récits de notre époque : « Le roman contemporain n’en finit pas d’égrener ses raisons d’en finir et, dans ces mots de la fin perpétuellement reconduits, il perdure inlassablement. Plus que jamais, la littérature se complaît dans les méandres d’un discours autotélique – dans le sillage des innombrables textes qui ne sont rien d’autre que des allégories de la création (ceux de Gautier, de Balzac, de Nerval et de Mallarmé), mais sans la foi dans le pouvoir salvateur de l’Art. Chaque récit de plus pose alors les jalons d’une nouvelle poétique du roman. » (2008 : 36)

Marie FOURNOU, « Représentation du féminin chez Théophile Gautier et Jean Echenoz, une postérité déroutante : de l’ascendance niée au renouvellement », p. 37-51

L’article de Fournou analyse la typologie féminine dans l’œuvre d’Echenoz, la mettant en relation avec celle qu’on retrouve chez Gautier (Echenoz refuse toutefois qu’on établisse une filiation entre Gautier et lui). Elle souligne « qu’à travers cette succession, cette pléthore de personnages féminins, Echenoz procède à l’institution d’une typologie féminine, étant alors lié, à son insu peut-être, à une tradition esthétique fortement controversée par la modernité. » (2008 : 38)

L’auteure traite également du caractère fantastique dans l’œuvre d’Echenoz – que l’auteur lui-même nie vigoureusement –, qui semble inspiré de celui qu’on retrouve chez Gautier. Elle écrit : « Cherchant à cerner une réalité moderne qui nécessite des moyens d’investigation différents, Echenoz, pour envisager le réel, le dépasse donc, l’abolit, le contourne par un fantastique impliquant un rapport de proximité avec la sensibilité humaine, reposant non pas sur une activité du raisonnement mais sur une perception, une appréhension, une vision particulières et intimes du monde. » (2008 : 51)

Jackie RUBICHON, « Au Piano de Jean Echenoz : un roman néo-réaliste », p. 53-62.

L’auteure introduit son texte par un commentaire général sur la littérature contemporaine. S’inspirant des travaux de Bruno Blanckeman, elle associe les œuvres d’Echenoz à ce qu’il décrit comme des « récits indécidables » et note que les récits contemporains « profitent autant des acquis du formalisme des années soixante que de ceux du récit traditionnel » (2008 : 53)

Le postulat sur lequel repose l’argumentation de Rubichon est que l’œuvre d’Echenoz relève de ce qu’elle nomme un « néo-réalisme » : « il semblerait en effet que ces nouveaux écrivains tels Echenoz ressentent vivement le besoin de décrire la réalité contemporaine ; or, pour dire le réel aujourd’hui, ces écrivains préfèrent se placer à côté, se décaler et envisager ainsi une pluralité de points de vue. » (2008 : 53)

Par exemple, Rubichon explique qu’Echenoz tente de signaler la vacuité de la description en recourant à des accumulations de détails tout à fait inutiles. Elle montre aussi comment Echenoz désamorce ses propres récits en usant de procédés qui soulignent au lecteur leur caractère fictionnel.

En conclusion, elle écrit : « Les nouveaux écrivains mettent, semble-t-il, tout à plat pour mieux reconstruire : reconstruire une définition de la littérature, une définition du sujet après avoir osé affronter sa vacuité. Il semblerait alors que le romanesque contemporain puisse se définir seulement si l’on consent à passer par cette mort, cette vacuité afin de parvenir de l’autre côté de l’amenuisement et au-delà de cette mort. » (2008 : 62)

Maud FOURTON, « L’écrivain et son trouble : l’éditeur – à propos de Jérôme Lindon de Jean Échenoz », p. 63-71.

Cet article se penche sur Jérôme Lindon, un ouvrage qu’Echenoz a consacré à son éditeur, qui a été pour lui une figure paternelle pendant plus de deux décennies. Il s’agit d’une filiation choisie par l’écrivain lui-même et en laquelle « on pourrait plus largement percevoir l’expression d’une réticence d’Echenoz à l’égard de l’artifice des filiations, voire des écoles littéraires, leur désamorçage par le texte lui-même. » (2008 : 67)

Dans sa conclusion, l’auteure réfléchit sur le caractère paradoxal du terme filiation, dont elle souligne qu’il possède davantage d’acceptions que les deux volets sur lesquels elle s’est penchée : filiation fictionnelle (l’éditeur devient le père symbolique de l’auteur) et intertextuelle.

Sébastien BONNEMASON-RICHARD, « Les filiations insolites – Jean Echenoz, avant-garde l’air de rien », p. 73-79.

L’auteur décrit d’abord le refus, de la part de la jeune génération des écrivains associés aux Éditions de Minuit, de reconnaître qu’ils se situent dans la filiation de leurs prédécesseurs, voire de reconnaître qu’ils forment une famille littéraire. Pourtant, la démarche de ces auteurs repose autant sur la continuité que sur la rupture, puisqu’ils sont motivés tant par l’exploration formelle que par la réappropriation des « matériaux du récit », selon l’expression de Barthes. L’auteur montre cependant qu’en réinvestissant les codes traditionnels du romanesque dans des récits minimalistes, Jean Echenoz et ses contemporains cherchent en réalité à les subvertir. L’auteur s’arrête plus particulièrement à décrire le cadre spatio-temporel et les personnages qu’on retrouve dans les ouvrages de ces auteurs, montrant ainsi que des procédés qui semblent correspondre à ceux de la représentation romanesque se révèlent en fait tout autres, puisqu’ils servent plutôt à montrer la vacuité de la narration référentielle. « Le récit minimaliste ne se contente pas de représenter. Il remet aussi et surtout en cause la représentation de la réalité. Ainsi, tout en racontant une histoire, les procédés narratifs sont alors démantelés. L’écriture minimaliste poursuit donc le travail de subversion de l’avant-garde, mais ne se prive pas de ré-exploiter les éléments narratifs traditionnels rejetés par cette même avant-garde. » (2008 : 79)

Nadine LAPORTE, « Jean Echenoz. Pour une littérature vagabonde : de L’Équipée malaise à Au Piano », p. 81-93.

Le texte de Laporte s’intéresse à la filiation improbable entre Echenoz et Victor Segalen. Elle analyse donc les liens entre l’œuvre d’Echenoz et le roman policier, montrant que celle-ci répond aux codes de ce genre, mais en finissant toujours par décevoir les attentes.

Christina HORVATH, « Éric Laurrent : Héritier, pasticheur ou épigone de l’esthétique échenozienne ? », p. 95-104.

L’auteure se propose ici d’interroger la filiation entre Echenoz et Eric Laurrent, un auteur de la génération suivante chez qui on retrouve un réinvestissement semblable du récit d’aventures et du roman d’espionnage.

René AUDET, « Éric Chevillard et l’écriture du déplacement : pour une narrativité pragmatique », p. 105-116.

René Audet cherche dans cet article à définir la poétique du déplacement qui caractérise l’œuvre de Chevillard.

Audet explique que, dans Préhistoire, Chevillard propose une vision du temps qui relève de la distorsion et cherche à montrer combien l’histoire peut être malléable. « L’histoire est infiniment interprétable, car le récit que l’on en fait dépend des événements qui sont retenus et de la logique dans laquelle ils s’inscrivent. C’est ce qui permet au narrateur d’émettre l’hypothèse que l’Histoire peut s’écrire à rebours, dans une logique inversée non pas de progrès, mais de dépouillement […]. C’est bien l’interprétation qui diffère – au sens d’une herméneutique et au sens d’une performance, comme le révèle cette insistance sur le fait que la matière des œuvres narratives est unique, que les motifs sont récurrents, mais que seule l’incarnation […] relève de la subjectivité de chaque écrivain […]. » (2008 : 109)

L’auteur poursuit en ajoutant que chez Chevillard, on retrouve moins des récits à proprement parler que du narratif. « On en reste au stade préliminaire de l’élaboration narrative, la matière (l’histoire) n’accédant pas à sa mise en forme (le récit) : cette pré-histoire, riche d’un potentiel […], ne peut toutefois prendre comme objet que cette tentative de réalisation du récit. Circularité toute contemporaine, cette élection du processus comme objet central du roman pourrait contredire la démonstration proposée par le narrateur : l’histoire n’est-elle pas fixe, établie, seule son interprétation, sa mise en récit restant à accomplir ? » (2008 : 109)

Extrait de la conclusion : Les romans de Chevillard « incarnent bien la réflexion suscitée par les défis actuels de la représentation, par ses problèmes et ses contraintes. Néanmoins persiste toujours le désir de raconter, éminemment contemporain – quitte à ce que soit raconté le geste même de raconter. » (2008 : 116)

Marie-Odile ANDRÉ, « Filiation insolite : un vaillant petit Chevillard », p. 117-126.

L’article de Marie-Odile André étudie le roman Un Vaillant Petit Tailleur de Chevillard, réfléchissant à la fois à l’intertextualité et à l’auctorialité. En effet, ces questions s’imposent puisque Chevillard procède à une réécriture du texte des frères Grimm, qui avaient eux-mêmes mis sur papier un conte traditionnel oral, démarche qui leur confère une autorité par rapport au conte lui-même (autorité que le narrateur du roman de Chevillard met à mal, puisqu’il se moque des frères Grimm). L’auteure se penche notamment sur les procédés d’amplification qui caractérisent le texte de Chevillard, où le narrateur se donne pour objectif de transformer le conte du vaillant petit tailleur en une œuvre majeure comme, par exemple, Don Quichotte. L’auteure écrit : « À l’auctorialité fantoche des frères Grimm répond ainsi l’auctorialité mégalomaniaque et omnipotente du narrateur lui-même devenu à l’issue du livre, l’auteur autoproclamé du conte. » (2008 : 125-126)

Laurent DEMANZE, « Roland Barthes : une écriture orpheline », p. 126-135.

Ce texte n’est pas pertinent pour nous, puisque Roland Barthes ne fait pas partie du corpus contemporain.